Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean 11,1-45.
Un homme était tombé malade. C’était Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de sa soeur Marthe.(Marie est celle qui versa du parfum sur le Seigneur et lui essuya les pieds avec ses cheveux. Lazare, le malade, était son frère.)Donc, les deux soeurs envoyèrent dire à Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade. »En apprenant cela, Jésus dit : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. »Jésus aimait Marthe et sa soeur, ainsi que Lazare.Quand il apprit que celui-ci était malade, il demeura pourtant deux jours à l'endroit où il se trouvait ;alors seulement il dit aux disciples : « Revenons en Judée. »Les disciples lui dirent : « Rabbi, tout récemment, les Juifs cherchaient à te lapider, et tu retournes là-bas ? »Jésus répondit : « Ne fait-il pas jour pendant douze heures ? Celui qui marche pendant le jour ne trébuche pas, parce qu'il voit la lumière de ce monde ;mais celui qui marche pendant la nuit trébuche, parce que la lumière n'est pas en lui. »Après ces paroles, il ajouta : « Lazare, notre ami, s'est endormi ; mais je m'en vais le tirer de ce sommeil. »Les disciples lui dirent alors : « Seigneur, s'il s'est endormi, il sera sauvé. »Car ils pensaient que Jésus voulait parler du sommeil, tandis qu'il parlait de la mort.Alors il leur dit clairement : « Lazare est mort,et je me réjouis de n'avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. Mais allons auprès de lui ! »Thomas (dont le nom signifie : Jumeau) dit aux autres disciples : « Allons-y nous aussi, pour mourir avec lui ! »Quand Jésus arriva, il trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà.Comme Béthanie était tout près de Jérusalem - à une demi-heure de marche environ -beaucoup de Juifs étaient venus manifester leur sympathie à Marthe et à Marie, dans leur deuil.Lorsque Marthe apprit l'arrivée de Jésus, elle partit à sa rencontre, tandis que Marie restait à la maison.Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort.Mais je sais que, maintenant encore, Dieu t'accordera tout ce que tu lui demanderas. »Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera. »Marthe reprit : « Je sais qu'il ressuscitera au dernier jour, à la résurrection. »Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra ;et tout homme qui vit et qui croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »Elle répondit : « Oui, Seigneur, tu es le Messie, je le crois ; tu es le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde. »Ayant dit cela, elle s'en alla appeler sa soeur Marie, et lui dit tout bas : « Le Maître est là, il t'appelle. »Marie, dès qu'elle l'entendit, se leva aussitôt et partit rejoindre Jésus.Il n'était pas encore entré dans le village ; il se trouvait toujours à l'endroit où Marthe l'avait rencontré.Les Juifs qui étaient à la maison avec Marie, et lui manifestaient leur sympathie, quand ils la virent se lever et sortir si vite, la suivirent, pensant qu'elle allait au tombeau pour y pleurer.Elle arriva à l'endroit où se trouvait Jésus ; dès qu'elle le vit, elle se jeta à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. »Quand il vit qu'elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus fut bouleversé d'une émotion profonde.Il demanda : « Où l'avez-vous déposé ? » Ils lui répondirent : « Viens voir, Seigneur. »Alors Jésus pleura.Les Juifs se dirent : « Voyez comme il l'aimait ! »Mais certains d'entre eux disaient : « Lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? »Jésus, repris par l'émotion, arriva au tombeau. C'était une grotte fermée par une pierre.Jésus dit : « Enlevez la pierre. » Marthe, la soeur du mort, lui dit : « Mais, Seigneur, il sent déjà ; voilà quatre jours qu'il est là. »Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l'ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. »On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : «Père, je te rends grâce parce que tu m'as exaucé.Je savais bien, moi, que tu m'exauces toujours ; mais si j'ai parlé, c'est pour cette foule qui est autour de moi, afin qu'ils croient que tu m'as envoyé.»Après cela, il cria d'une voix forte : « Lazare, viens dehors ! »Et le mort sortit, les pieds et les mains attachés, le visage enveloppé d'un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller. »Les nombreux Juifs, qui étaient venus entourer Marie et avaient donc vu ce que faisait Jésus, crurent en lui.
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris.
Correspondance dans Maria Valtorta : Tome 8, Chap 3, p 15 - CD8 , piste 18 -
Je me trouve encore dans la maison de Lazare et je vois que Marthe et Marie sortent dans le jardin pour accompagner un homme plutôt âgé, d'aspect très digne et je dirais que ce n'est pas un hébreu car il a le visage complètement rasé comme les romains.Une fois qu'ils sont un peu éloignés de la maison, Marie lui demande: “Eh bien, Nicomède? Que dis-tu de notre frère? Nous le voyons très… malade… Parle.”L'homme ouvre les bras dans un geste de commisération qui constate le caractère inéluctable du fait, et il dit en s'arrêtant: “Il est très malade… Je ne vous ai jamais trompées depuis les premiers temps où je l'ai soigné. J'ai tout essayé, vous le savez. Mais cela n'a pas servi. J'ai aussi… espéré, oui, j'ai espéré qu'il pourrait au moins vivre en réagissant contre l'épuisement de la maladie grâce à la bonne nourriture et aux cordiaux que je lui préparais. J'ai essayé aussi des poisons indiqués pour préserver le sang de la corruption et pour soutenir les forces selon les vieux principes des grands maîtres de la médecine. Mais le mal est plus fort que les remèdes employés. Ces maladies sont une sorte de corrosion. Elles détruisent, et quand elles apparaissent à l'extérieur, l'intérieur des os est déjà envahi. Comme la sève d'un arbre monte du bas jusqu'au sommet, ainsi, dans ce cas, la maladie s'est étendue depuis le pied à tout le corps…”. “Mais il n'a que les jambes de malades…” dit Marthe en gémissant.“Oui. Mais la fièvre détruit là où vous pensez qu'il n'y a que santé. Regardez cette petite branche tombée de cet arbre: elle paraît rongée ici près de la cassure. Mais, voilà… (il la brise entre ses doigts). Voyez-vous? Sous l'écorce lisse, il y a la carie jusqu'à l'extrémité qui semble encore vivante parce qu'il y a encore des petites feuilles. Lazare, désormais est… mourant, pauvres sœurs! Le Dieu de vos pères, les dieux et les demi-dieux de notre médecine n'ont rien pu faire… ou voulu faire. Je parle de votre Dieu… Et donc… oui, je prévois que désormais la mort est très proche à cause aussi de l'augmentation de la fièvre, symptôme de la corruption entrée dans le sang, des mouvements désordonnés du cœur et de l'absence de stimulations et de réactions chez le malade et dans tous ses organes. Vous voyez! Il ne se nourrit plus, il ne retient pas le peu qu'il prend, et il n'assimile pas ce qu'il retient. C'est la fin…Et - croyez à un médecin qui vous est reconnaissant en souvenir de Théophile - et ce qu'il faut plutôt désirer, c'est la mort désormais… Ce sont des maux effroyables. Depuis des milliers d'années ils détruisent l'homme et l'homme n'arrive pas à les détruire. Les dieux seuls le pourraient si…” Il s'arrête, les regarde en passant ses doigts sur son menton rasé. Il réfléchit puis il dit: “Pourquoi n'appelez-vous pas le Galiléen? C'est votre ami. Lui peut, car il peut tout. J'ai contrôlé des personnes qui étaient condamnées et qui sont guéries. Il sort de Lui une force étrange. Un fluide mystérieux qui ranime et rassemble les réactions dispersées et leur impose de vouloir guérir… Je ne sais pas. Je sais que je l'ai suivi aussi, en restant mêlé à la foule, et j'ai vu des choses merveilleuses… Appelez-le. Moi, je suis un gentil, mais j'honore le Thaumaturge mystérieux de votre peuple. Et je serais heureux si Lui pouvait ce que moi je n'ai pas pu.”“Lui est Dieu, Nicomède. Il peut donc tout. La force que tu appelles fluide, c'est sa volonté de Dieu” dit Marie.“Je ne me moque pas de votre foi. Au contraire je la pousse à grandir jusqu'à l'impossible. Du reste… On lit que les dieux sont descendus parfois sur la Terre. Moi… je n'y avais jamais cru… Mais avec la science et la conscience d'homme et de médecin, je dois dire qu'il en est ainsi, car le Galiléen opère des guérisons que seul un dieu peut opérer.”“Non pas un dieu, Nicomède. Le vrai Dieu” insiste Marie.“C'est bien. Comme tu veux. Et moi je croirai en Lui et je deviendrai son disciple si je vois que Lazare… ressuscite. Car désormais, plutôt que de guérison, c'est de résurrection qu'il faut parler. Appelez-le donc et d'urgence… car, si je ne suis pas devenu idiot, il mourra tout au plus d'ici le troisième crépuscule à partir de celui-ci. J'ai dit "tout au plus". Ce pourrait être avant, désormais.”“Oh! si nous pouvions! Mais nous ne savons pas où il est…” dit Marthe.“Moi, je le sais. C'est un de ses disciples qui me l'a dit et qui allait le rejoindre en accompagnant des malades, et deux étaient des miens. Il est au-delà du Jourdain, près du gué. C'est ce qu'il a dit. Vous, peut-être, savez mieux l'endroit.”“Ah! dans la maison de Salomon, certainement!” dit Marie.“C'est très loin?”“Non, Nicomède.”“Et alors, envoyez-lui tout de suite un serviteur pour Lui dire de venir. Je vais revenir plus tard et je reste ici pour voir son action sur Lazare. Salut, dominae. Et… réconfortez-vous mutuellement.” Il s'incline et s'en va vers la sortie où un serviteur l'attend pour tenir son cheval et lui ouvrir le portail.“Que faisons-nous, Marie?” demande Marthe après avoir vu partir le médecin.“Nous obéissons au Maître. Il a dit de le faire appeler après la mort de Lazare. Et nous le ferons.”“Mais, une fois qu'il va être mort… à quoi servira-t-il d'avoir le Maître ici? Pour notre cœur, oui, ce sera utile. Mais pour Lazare!… J'envoie un serviteur l'appeler.”“Non. Tu détruirais le miracle. Lui a dit de savoir espérer et croire contre toute réalité contraire. Et si nous le faisons, nous aurons le miracle, j'en suis sûre. Si nous ne savons pas le faire, Dieu nous laissera avec notre présomption de vouloir faire mieux que Lui, et Il ne nous accordera rien.”“Mais tu ne vois pas combien souffre Lazare? Tu ne te rends pas compte comment, dans les moments où il est conscient, il désire le Maître? Tu n'as pas de cœur, toi, de refuser cette dernière joie à notre pauvre frère!… Notre pauvre frère! Notre pauvre frère! Bientôt nous n'aurons plus de frère! Plus de père, plus de mère, plus de frère! La maison détruite, et nous seules, comme deux palmiers dans un désert.” Elle est prise d'une crise de douleur, je dirais même d'une crise de nerfs toute orientale, et elle s'agite, se frappant le visage et se décoiffant.Marie la saisit, lui impose: “Tais-toi! Tais-toi, te dis-je! Il peut entendre. Je l'aime plus et mieux que toi et je sais me dominer. Tu sembles une femmelette malade. Tais-toi, dis-je! Ce n'est pas par cette agitation que l'on change les destinées, ni non plus que l'on émeut les cœurs. Si tu le fais pour émouvoir le mien, tu te trompes. Penses-y bien. Le mien se brise dans l'obéissance. Mais il tient bon par elle.”Marthe, dominée par la force de sa sœur et par ses paroles, se calme quelque peu. Mais dans sa douleur, plus calme maintenant, elle gémit en appelant sa mère: “Maman! Oh! maman, console-moi. Il n'y a plus de paix en moi depuis que tu es morte. Si tu étais ici, maman! Si le chagrin ne t'avait pas tuée! Si tu étais ici, tu nous guiderais et nous t'obéirions pour le bien de tous… Oh!…”Marie change de couleur. Sans faire de bruit elle pleure le visage angoissé et se tordant les mains sans parler.Marthe la regarde et elle dit: “Notre mère, quand elle fut près de mourir, me fit promettre que je serais une mère pour Lazare. Si elle était ici…”“Elle obéirait au Maître, car c'était une femme juste. C'est inutilement que tu essaies de m'émouvoir. Dis-moi donc que j'ai assassiné ma mère par les douleurs que je lui ai données. Je te dirai: "Tu as raison". Mais si tu veux me faire dire que tu as raison de vouloir le Maître, je te dis: "Non". Et je dirai toujours: "Non". Et je suis certaine que du sein d'Abraham elle m'approuve et me bénit. Allons à la maison.”“Plus rien! Plus rien!”“Tout! C'est tout que tu devrais dire. En vérité tu écoutes le Maître et tu sembles attentive pendant qu'il parle, mais ensuite tu ne te rappelles pas ce qu'il dit. Ne nous a-t-il pas toujours dit qu'aimer et obéir nous rend fils de Dieu et héritiers de son Royaume? Et alors comment peux-tu dire que nous allons rester sans plus rien, si nous avons Dieu et si nous possédons le Royaume grâce à notre fidélité? Oh! comme, en vérité, il faut être absolues, comme je l'ai été, dans le mal, pour pouvoir être aussi, et savoir, et vouloir être absolues dans le bien, dans l'obéissance, dans l'espérance, dans la foi, dans l'amour!…”“Tu permets aux juifs de se moquer du Maître et de faire des insinuations sur son compte. Tu les as entendus avant-hier…”“Et tu penses encore aux croassements de ces corneilles et aux cris de ces vautours? Mais laisse-les cracher ce qu'ils ont en eux! Que t'importe le monde? Qu'est le monde par rapport à Dieu? Regarde: moins que ce taon dégoûtant, engourdi par le froid ou empoisonné pour avoir sucé des ordures et que j'écrase ainsi” et elle donne un énergique coup de talon à un taon qui chemine lentement sur le gravier du sentier. Puis elle prend Marthe par le bras en disant: “Allons, viens à la maison et…”“Au moins faisons le savoir au Maître. Envoyons Lui dire qu'il est mourant, sans dire autre chose…”“Comme s'il avait besoin de l'apprendre de nous! Non, ai-je dit. C'est inutile. Lui a dit: "Quand il sera mort, faites-le-moi savoir". Et nous le ferons. Pas avant.”“Personne, personne n'a pitié de ma douleur! Et toi moins que tous…”“Et cesse de pleurer ainsi. Je ne puis le supporter…” Dans sa douleur elle se mord les lèvres pour donner du courage à sa sœur et ne pas pleurer elle aussi.Marcelle sort en courant de la maison, suivie de Maximin: “Marthe! Marie! Accourez! Lazare est mal, il ne répond plus…”Les deux sœurs arrivent en courant pour entrer dans la maison… et après un moment, on entend la forte voix de Marie qui donne des ordres pour les secours qui s'imposent et on voit les serviteurs qui accourent avec des cordiaux et des bassins d'eau bouillante, et on entend des chuchotements et on voit des gestes de douleur…Le calme revient tout doucement après tant d'agitation. On voit les serviteurs qui parlotent entre eux, moins agités, mais qui ponctuent leurs dires par des gestes qui marquent un grand découragement. Certains hochent la tête, d'autres ouvrent les bras et les lèvent vers le ciel comme pour dire: “C'est ainsi”, d'autres pleurent et d'autres encore veulent espérer un miracle.Voici de nouveau Marthe, pâle comme une morte. Elle regarde derrière elle pour voir si on la suit. Elle regarde les serviteurs qui se serrent anxieux autour d'elle. Elle se tourne pour regarder si de la maison il sort quelqu'un pour la suivre. Puis elle dit à un serviteur: “Toi! Viens avec moi.”Le serviteur se détache du groupe et la suit vers la tonnelle des jasmins et y entre. Marthe parle sans quitter des yeux la maison qu'elle peut voir à travers l'entrelacement des branches: “Écoute bien. Quand tous les serviteurs vont être rentrés, et que je leur aurai donné des ordres pour qu'ils soient occupés dans la maison, tu iras aux écuries, tu prendras un cheval des plus rapides, tu le selleras… Si par hasard quelqu'un te voit, dis que tu vas chercher le médecin… Tu ne mens pas et je ne t'apprends pas à mentir car vraiment je t'envoie au Médecin béni… Prends avec toi de l'avoine pour la bête et de la nourriture pour toi et cette bourse pour tout ce qui pourrait arriver. Sors par la petite porte et passe par les champs labourés pour que les sabots ne fassent pas de bruit. Éloigne-toi de la maison, puis prends la route de Jéricho et galope sans jamais t'arrêter, même la nuit. As-tu compris? Sans jamais t'arrêter. La nouvelle lune éclairera ta route si l'obscurité vient pendant que tu galopes encore. Pense que la vie de ton maître est entre tes mains et dépend de ta rapidité. Je me fie à toi.”“Maîtresse, je te servirai comme un esclave fidèle.”“Va au gué de Béthabara. Passe-le et va au village après Béthanie d'au-delà du Jourdain. Sais-tu? Là où Jean baptisait au début.”“Je sais. J'y suis allé moi aussi pour me purifier.”“Dans ce village se trouve le Maître. Tout le monde t'indiquera la maison où il habite. Mais, si au lieu de suivre la route principale, tu suis les rives du fleuve, cela vaut mieux. On te voit moins et tu trouves la maison par toi-même. C'est la première de l'unique route du village qui va de la campagne au fleuve. Tu ne peux te tromper: une maison basse sans terrasse ni chambre du haut, avec le jardin qui se trouve, quand on vient du fleuve, avant la maison, un jardin fermé par un petit portail de bois et une haie d'aubépine, je crois, une haie en somme. Tu as compris? Répète.”Le serviteur répète patiemment.“C'est bien. Demande de parler avec Lui, avec Lui seul, et dis-lui que tes maîtresses t'envoient pour Lui dire que Lazare est très malade, qu'il va mourir, que nous n'en pouvons plus, que Lazare veut le voir et qu'il vienne tout de suite, tout de suite par pitié. As-tu bien compris?”“J'ai compris, maîtresse.”“Et ensuite, reviens tout de suite, de façon que personne ne remarque trop ton absence. Prends une lanterne avec toi pour les heures sombres. Va, cours, galope, crève le cheval, mais reviens vite avec la réponse du Maître.”“Je le ferai, maîtresse.”“Va! Va! Tu vois? Ils sont déjà tous rentrés dans la maison. Va tout de suite. Personne ne te verra faire les préparatifs. Je te porterai moi-même la nourriture. Va, je te la mettrai au seuil du petit portail. Va! Et que Dieu soit avec toi. Va!…”Elle le pousse, anxieuse, et puis court rapidement à la maison en prenant toutes les précautions et tout de suite après se glisse au dehors par une porte secondaire, du côté sud, avec un petit sac dans les mains, rase une haie jusqu'à la première ouverture, tourne, disparaît…
On a ouvert toutes les portes et toutes les fenêtres de la pièce de Lazare pour lui rendre moins difficile la respiration. Autour de lui, absent, dans le coma - un lourd coma qui ressemble à la mort dont il ne diffère que par le mouvement de la respiration - sont les deux sœurs, Maximin, Marcelle et Noémi, attentifs au plus léger mouvement du mourant.Chaque fois qu'une contraction de douleur déforme la bouche, et qu'il semble qu'elle s'apprête à parler, ou que les yeux se découvrent par un mouvement des paupières, les deux sœurs se penchent pour saisir une parole, un regard… Mais c'est inutile. Ce ne sont que des actes incoordonnés, indépendants de la volonté et de l'intelligence, qui toutes les deux sont désormais inertes, perdues. Des actes qui viennent de la souffrance de la chair, comme vient d'elle la sueur qui rend brillant le visage du mourant et le tremblement qui par intervalles secoue les doigts squelettiques et en contracte les articulations. Les deux sœurs l'appellent aussi, avec dans leurs voix tout leur amour. Mais le nom et l'amour se heurtent aux barrières de l'insensibilité de l'intelligence et, comme réponse à leur appel, le silence de la tombe.Noémi, toute en pleurs, continue de mettre contre les pieds, certainement gelés, des briques enveloppées dans des bandes de laine. Marcelle tient dans ses mains une coupe dans laquelle trempe un linge fin dont Marthe se sert pour humecter les lèvres desséchées de son frère. Marie, avec un autre linge, essuie la sueur abondante qui ruisselle du visage squelettique et baigne les mains du mourant. Maximin, appuyé à un chiffonnier élevé et sombre, près du lit du mourant, observe debout, par derrière Marie penchée sur son frère.Rien d'autre. Un silence absolu, comme s'ils étaient dans une maison vide, dans un lieu désert. Les servantes qui apportent les briques chaudes ont les pieds nus et marchent sans faire de bruit sur le dallage. Elles semblent des apparitions.Marie dit à un moment donné: “Il me semble que la chaleur revient dans les mains. Regarde, Marthe, ses lèvres sont moins pâles.”“Oui. Même la respiration est plus libre. Je le regarde depuis unmoment” observe Maximin. Marthe se penche et l'appelle doucement mais intensément: “Lazare! Lazare! Oh! Regarde, Marie! Il a eu comme un sourire et un battement des paupières. Il va mieux, Marie! Il va mieux! Quelle heure avons-nous?”“Nous avons dépassé d'un moment le crépuscule.”“Ah!” et Marthe se redresse en serrant ses mains sur sa poitrine, en levant les yeux dans un geste visible de muette mais confiante prière. Un sourire éclaire son visage.Les autres la regardent étonnés et Marie lui dit: “Je ne vois pas pourquoi doit te rendre heureuse le fait d'avoir dépassé le crépuscule…” et elle la scrute, soupçonneuse, anxieuse.Marthe ne répond pas, mais reprend la pose qu'elle avait avant “Une servante entre avec des briques qu'elle passe à Noémi.Marie lui commande: “Apporte deux lampes. La lumière baisse et je veux le voir.” La servante sort sans bruit et revient de suite avec deux lampes allumées. Elle en met une sur le chiffonnier, sur lequel s'appuie Maximin, et l'autre sur une table encombrée de bandes et de petites amphores, placée de l'autre côté du lit.“Oh! Marie! Marie! Regarde! Il est vraiment moins pâle.”“Et il paraît moins épuisé. Il se ranime!” dit Marcelle.“Donnez-lui encore une goutte de ce vin aromatisé qu'a préparé Sara. Il lui a fait du bien” suggère Maximin.Marie prend sur le dessus du chiffonnier une petite amphore au col très fin en forme de bec d'oiseau, et avec précaution elle fait descendre une goutte de vin dans les lèvres entrouvertes.“Va doucement, Marie. Qu'il n'étouffe pas!” conseille Noémi.“Oh! il avale! Il le cherche! Regarde, Marthe! Regarde! Il tire la langue pour chercher…”Tous se penchent pour regarder et Noémi l'appelle: “Trésor! Regarde ta nourrice, âme sainte!” et elle s'avance pour le baiser.“Regarde! Regarde, Noémi, il boit ta larme! Elle est tombée près des lèvres et il l'a sentie, il l'a cherchée et avalée.”“Oh! ma joie! Si j'avais mon lait d'autrefois, je te le ferais passer goutte à goutte dans la bouche, mon agnelet, même si je devais m'épuiser le cœur et mourir ensuite!” Je comprends que Noémi, nourrice de Marie, a été aussi la nourrice de Lazare.“Maîtresses, Nicomède est revenu” dit un serviteur en apparaissant sur le seuil.“Qu'il vienne! Qu'il vienne! Il nous aidera à le ranimer.”“Observez! Observez! Il ouvre les yeux, il remue les lèvres” dit Maximin.“Il me serre les doigts avec ses doigts!” crie Marie et elle se penche pour dire: “Lazare, m'entends-tu? Qui suis-je?”Lazare ouvre réellement les yeux et il regarde: un regard vague, voilé, mais c'est toujours un regard. Il remue les lèvres non sans peine et il dit: “Maman!”“Je suis Marie. Marie! Ta sœur!”“Maman!”“Il ne te reconnaît pas et il appelle sa mère. Les mourants, c'est toujours ainsi” dit Noémi, le visage baigné de larmes.“Mais il parle, après si longtemps, il parle. Et c'est déjà beaucoup… Ensuite, il ira mieux. Oh! mon Seigneur, récompense ta servante!” dit Marthe avec encore ce geste de fervente et confiante prière“Mais que t'est-il arrivé? Peut-être as-tu vu le Maître? T'est-il apparu? Dis-le-moi, Marthe! Tire-moi d'angoisse!” dit Marie.L'entrée de Nicomède empêche la réponse. Tous s'adressent à lui pour lui raconter comment, après son départ, l'état de Lazare s'était aggravé au point d'être mourant, et qu'on l'avait cru déjà mort, et puis comment, avec des soins, on l'avait fait revenir mais pour la respiration seulement. Et comment depuis peu, après qu'une de leurs femmes avait préparé du vin aromatisé, la chaleur lui était revenue et il avait avalé et cherché à boire et avait aussi ouvert les yeux et parlé…Ils parlent tous ensemble avec leurs espoirs rallumés qui se heurte à la tranquillité quelque peu sceptique du médecin qui les laisse parler sans dire un mot.Finalement ils ont terminé et le médecin dit: “C'est bien. Laissez-moi voir.” Il les écarte pour s'approcher du lit et en ordonnant d'apporter les lampes et de fermer la fenêtre, parce qu'il veut découvrir le malade. Il se penche sur lui, l'appelle, l'interroge, fait passer la lampe devant le visage de Lazare qui maintenant a les yeux ouverts et semble comme étonné de tout. Ensuite il le découvre, étudie sa respiration, les battements du cœur, la température et la rigidité des membres… Tous sont anxieux dans l'attente de ce qu'il va dire. Nicomède recouvre le malade, le regarde encore, réfléchit, puis il se retourne pour regarder ceux qui sont là et il dit: “Il est indéniable qu'il a repris de la vigueur. Actuellement il va mieux que quand je l'ai vu, mais ne vous faites pas d'illusion. Ce n'est qu'une rémission. J'en suis tellement certain, comme je l'étais qu'il approche de sa fin que, comme vous le voyez, je suis revenu, après m'être dégagé de toute occupation, pour lui rendre la mort moins pénible pour autant qu'il m'est permis de le faire… ou pour voir le miracle si… Avez-vous pourvu?”“Oui, oui, Nicomède” interrompt Marthe, et pour empêcher toute autre parole, elle dit: “Mais n'avais-tu pas dit que… d'ici trois jours… Moi…” Elle pleure.“Je l'ai dit. Je suis un médecin. Je vis au milieu des agonies et des pleurs. Mais l'habitude de voir des douleurs ne m'a pas encore donné un cœur de pierre. Et aujourd'hui… je vous ai préparées… par un terme suffisamment long… et vague… Mais ma science me disait que la solution était plus rapide et mon cœur mentait pour vous tromper par pitié… Allons! Soyez courageuses… Sortez… On ne sait jamais jusqu'à quel point les mourants entendent…” Il les pousse dehors, toutes en pleurs, en répétant: “Soyez courageuses! Soyez courageuses!”Près du mourant il reste Maximin… Le médecin aussi s'est éloigné pour préparer des médicaments, susceptibles de rendre moins angoissée l'agonie, que dit-il: “Je prévois très douloureuse.”“Fais-le vivre jusqu'à demain. Il va faire nuit. Tu vois, ô Nicomède. Qu'est-ce pour ta science de tenir une vie éveillée pour moins d'un jour? Fais-le vivre!”“Domina, je fais ce que je puis. Mais quand la mèche est à bout, il n'y a plus rien pour maintenir la flamme!” répond le médecin et il s'en va.Le deux sœurs s'embrassent et elles pleurent désolées, et celle qui pleure le plus, maintenant, c'est Marie. L'autre a son espérance au cœur…La voix de Lazare arrive de la pièce. Forte, impérieuse. Elle les fait tressaillir, inattendue qu'elle est dans tant de langueur. Il les appelle: “Marthe! Marie! Où êtes-vous? Je veux me lever, m'habiller! Dire au Maître que je suis guéri! Je dois aller trouver le Maître. Un char! Tout de suite. Et un cheval rapide. Certainement c'est Lui qui m'a guéri…” Il parle rapidement, en marquant les mots, assis sur son lit, brûlé par la fièvre, cherchant à sauter du lit, empêché de le faire par Maximin qui dit aux femmes qui entrent en courant: “Il délire!”“Non! Laissez-le. Le miracle! Le miracle! Oh! -Je suis heureuse de l'avoir suscité! Dès que Jésus a su. Dieu des pères, sois béni et loué pour ta puissance et ton Messie…” Marthe, tombée à genoux, est ivre de joie.Pendant ce temps Lazare continue, toujours plus pris par la fièvre. Marthe ne comprend pas que c'est la cause de tout: “Il est venu tant de fois me voir malade, il est juste que j'aille le trouver pour Lui dire: "Je suis guéri". Je suis guéri! Je n'ai plus de douleurs! Je suis fort. Je veux me lever. Aller. Dieu a voulu éprouver ma résignation, on m'appellera le nouveau Job…” Il prend un ton hiératique en faisant de grands gestes: “"Le Seigneur s'émut de la pénitence de Job… et Il lui rendit le double de ce qu'il avait eu. Et le Seigneur bénit les dernières années de Job, plus encore que les premières… et il vécut jusqu'à…" Mais non, je ne suis pas Job! J'étais dans les flammes et il m'en a retiré, j'étais dans le ventre du monstre et je suis revenu à la lumière. Je suis donc Jonas, et les trois enfants de Daniel…”Le médecin survient, appelé par quelqu'un. Il l'observe: “C'est le délire. Je m'y attendais. La corruption du sang brûle le cerveau.” Il s'efforce de le recoucher et recommande de le tenir, puis il retourne dehors, à ses décoctions.Lazare se fâche un peu qu'on le tienne et entre-temps se met à pleurer comme un enfant.“Il délire vraiment” dit Marie en gémissant.“Non. Personne ne comprend rien. Vous ne savez pas croire. Mais oui! Vous ne savez pas… À cette heure, le Maître sait que Lazare est mourant. Oui, je l'ai fait, Marie! Je l'ai fait sans rien te dire…”“Ah! malheureuse! Tu as détruit le miracle!” crie Marie.“Mais non! Tu le vois, il a commencé à aller mieux à l'heure où Jonas a rejoint le Maître. Il délire… Certainement… Il est faible, et il a encore le cerveau obnubilé par la mort qui déjà le tenait. Mais ce n'est pas le délire que le médecin croit. Écoute-le! Est-ce que ce sont des paroles de délire?”En effet Lazare dit: “J'ai incliné ma tête au décret de mort et j'ai goûté combien il est amer de mourir. Et voilà que Dieu s'est dit satisfait de ma résignation et me rend à la vie et à mes sœurs. Je pourrai encore servir le Seigneur et me sanctifier avec Marthe et Marie… Avec Marie! Qu'est-ce Marie? Marie c'est le don de Jésus au pauvre Lazare. Il me l'avait dit… Combien de temps depuis lors! "Votre pardon fera plus que tout. Il m'aidera". Il me l'avait promis: "Elle sera ta joie". Et ce jour que j'étais fâché parce qu'elle avait amené sa honte ici, près du Saint, quelles paroles pour l'inviter au retour! La Sagesse et la Charité s'étaient unies pour toucher son cœur… Et l'autre jour, qu'il me trouva à m'offrir pour elle, pour sa rédemption?… Je veux vivre, pour jouir d'elle qui est rachetée! Je veux louer avec elle le Seigneur! Fleuves de larmes, affronts, honte, amertume… tout m'a pénétré et a tué ma vie par sa faute… Voici le feu, le feu de la fournaise! Il revient, avec le souvenir… Marie de Théophile et d'Euchérie, ma sœur: la prostituée. Elle pouvait être reine et elle s'est rendue fange, une fange que même le porc piétine. Et ma mère qui meurt. Et ne plus pouvoir aller parmi les gens sans devoir supporter leurs mépris. À cause d'elle! Où es-tu, malheureuse? Le pain te manquait, peut-être, pour que tu te vendes comme tu t'es vendue? Qu'as-tu sucé au sein de ta nourrice? Ta mère, que t'a-t-elle enseigné? L'une la luxure? L'autre le péché? Va-t'en! Déshonneur de notre maison!”Sa voix est un cri. Il semble fou. Marcelle et Noémi se hâtent de fermer hermétiquement les portes et de descendre les lourds rideaux pour atténuer la résonance, alors que le médecin, revenu dans la pièce, s'efforce inutilement de calmer le délire qui devient de plus en plus furieux.Marie, jetée à terre comme une loque, sanglote sous l'inexorable accusation du mourant qui continue: “Un, deux, dix amants. L'opprobre d'Israël passait de bras en bras… Sa mère mourait. Elle frémissait dans ses amours obscènes. Bête fauve! Vampire! Tu as sucé la vie de ta mère. Tu as détruit notre joie. Marthe sacrifiée à cause de toi. On n'épouse pas la sœur d'une courtisane. Moi… Ah! moi! Lazare, cavalier, fils de Théophile… Sur moi crachaient les gamins d'Ophel!! "Voilà le complice d'une adultère et d'une immonde" disaient scribes et pharisiens et ils secouaient leurs vêtements pour marquer qu'ils repoussaient le péché dont j'étais souillé à son contact! "Voici le pécheur! Celui qui ne sait pas frapper le coupable est coupable lui aussi" criaient les rabbis quand je montais au Temple, et moi je suais sous le feu des pupilles des prêtres… Le feu. Toi! Tu vomissais le feu que tu avais en toi car tu es un démon, Marie. Tu es dégoûtante. Tu es l'anathème. Ton feu prenait tous, car il était fait de nombreux feux et il y en avait pour les luxurieux qui paraissaient des poissons pris au tramail, quand tu passais… Pourquoi ne t'ai-je pas tuée? Je brûlerai dans la Géhenne pour t'avoir laissée vivre en ruinant tant de familles, en donnant du scandale à mille… Qui dit: "Malheur à celui par qui vient le scandale"? Qui le dit? Ah! le Maître! Je veux le Maître! Je le veux! Pour qu'il me pardonne. Je veux Lui dire que je ne pouvais pas la tuer parce je l'aimais… Marie était le soleil de notre maison… Je veux le Maître! Pourquoi n'est-il pas ici? Je ne veux pas vivre! Mais avoir le pardon du scandale que j'ai donné en laissant vivre le scandale. Je suis déjà dans les flammes. C'est le feu de Marie. Il m'a pris. Il prenait tout le monde. Afin de donner de la luxure pour elle, de la haine pour nous, et brûler ma chair. Au loin ces couvertures, au loin tout! Je suis dans le feu. Il m'a pris chair et esprit. Je suis perdu à cause d'elle. Maître! Maître! Ton pardon! Il ne vient pas. Il ne peut venir dans la maison de Lazare. C'est une fosse à fumier à cause d'elle. Alors… je veux oublier. Tout. Je ne suis plus Lazare. Donnez-moi du vin. Salomon le dit: "Donnez du vin à ceux qui ont le cœur déchiré, qu'ils boivent et oublient leur misère et qu'ils ne se rappellent plus leur douleur". Je ne veux plus me rappeler. Ils disent tous: "Lazare est riche, c'est l'homme le plus riche de la Judée". Ce n'est pas vrai. Tout n'est que paille. Ce n'est pas or. Et les maisons? Des nuages. Les vignes, les oasis, les jardins, les oliveraies? Rien. Tromperie. Je suis Job. Je n'ai plus rien. J'avais une perle. Belle! De valeur infinie. C'était mon orgueil. Elle s'appelait Marie. Je ne l'ai plus. Je suis pauvre. Le plus pauvre de tous. De tous le plus trompé… Même Jésus m'a trompé. Car il m'avait dit qu'il me l'aurait rendue, et au contraire elle… Où est-elle? La voilà. On dirait une courtisane païenne, la femme d'Israël, fille d'une sainte! À demi-nue, ivre, folle… Et autour… les yeux fixés sur le corps nu de ma sœur, la meute de ses amants… Et elle rit d'être admirée et convoitée ainsi. Je veux réparer mon crime. Je veux aller à travers Israël pour dire: "N'allez pas chez ma sœur. Sa maison, c'est le chemin de l'enfer, et il descend dans les abîmes de la mort". Et puis je veux aller la trouver et la piétiner, car il est dit: "Toute femme impudique sera piétinée comme une ordure sur le chemin". Oh! Tu as le courage de te montrer à moi qui meurs déshonoré, détruit par toi? À moi qui ai offert ma vie pour le rachat de ton âme, et sans résultat? Comment je te voulais, dis-tu? Comment je te voulais pour ne pas mourir ainsi? Voici comment je te voulais: comme Suzanne, la chaste. Tu dis qu'ils t'ont tentée? Et n'avais-tu pas un frère pour te défendre? Suzanne, d'elle-même, a répondu: "Il vaut mieux pour moi tomber entre vos mains que de pécher en présence du Seigneur", et Dieu fit briller sa candeur. Moi, je les aurais dites les paroles contre ceux qui te tentaient et je t'aurais défendue. Mais Toi! Tu t'en es allée. Judith était veuve, et elle vivait seule dans sa pièce écartée, portant le cilice sur ses côtés et jeûnant, et elle était en grande estime auprès de tous parce qu'elle craignait le Seigneur, et d'elle on chante: "Tu es la gloire de Jérusalem, la joie d'Israël, l'honneur de notre peuple parce que tu as agi virilement et que ton cœur a été fort, parce que tu as aimé la chasteté et qu'après ton mariage tu n'as pas connu d'autre homme. À cause de cela, le Seigneur t'a rendue forte et tu seras bénie éternellement". Si Marie avait été comme Judith, le Seigneur m'aurait guéri. Mais il ne l'a pas pu à cause d'elle. C'est pour cela que je n'ai pas demandé de guérir. Il ne peut y avoir de miracle là où elle est. Mais mourir, souffrir, ce n'est rien. Dix et dix fois plus, une mort et une mort pour qu'elle se sauve. Oh! Seigneur Très-Haut! Toutes les morts! Toute la douleur! Mais Marie sauvée! Jouir d'elle une heure, une seule heure! D'elle redevenue sainte, pure comme dans son enfance! Une heure de cette joie! Me glorifier d'elle, la fleur d'or de ma maison, la gentille gazelle aux doux yeux, le rossignol du soir, l'amoureuse colombe… Je veux le Maître pour Lui dire que je veux cela: Marie! Marie! Viens! Marie! Quelle douleur a ton frère, Marie! Mais si tu viens, si tu te rachètes, ma douleur devient douce. Cherchez Marie! C'est la fin! Je meurs! Marie! Faites de la lumière! De l'air… Je… J'étouffe… Oh! quelle chose je ressens!…”Le médecin fait un geste et dit: “C'est la fin. Après le délire, la torpeur et puis la mort. Mais il peut avoir un réveil de l'intelligence. Approchez-vous, toi surtout. Il en aura de la joie” et, après avoir recouché Lazare, épuisé après tant d'agitation, il va trouver Marie qui n'a pas cessé de pleurer par terre en gémissant: “Faites-le taire!” Il la relève et l'amène au lit.Lazare a fermé les yeux, mais il doit souffrir atrocement. Ce n'est que frémissement et contraction. Le médecin essaie de le secourir avec des potions… Il se passe ainsi un certain temps.Lazare ouvre les yeux. Il paraît avoir oublié ce qu'il était auparavant, mais il est conscient. Il sourit à ses sœurs et cherche à prendre leurs mains, à répondre à leurs baisers. Il pâlit mortellement. Il gémit: “J'ai froid…” et il claque des dents en cherchant à se couvrir jusqu'à la bouche. Il gémit: “Nicomède, je ne résiste plus à la souffrance. Les loups m'écharnent les jambes et me dévorent le cœur. Quelle douleur! Et si l'agonie est ainsi, que sera la mort? Comment faire? Oh! si j'avais le Maître ici! Pourquoi ne me l'a-t-on pas amené? Je serais mort heureux sur son sein…” il pleure.Marthe regarde Marie sévèrement. Marie comprend son coup d'œil et, encore accablée par le délire de son frère, elle se trouve prise de remords. Elle se penche, agenouillée comme elle l'est contre le lit, pour baiser la main de son frère et elle gémit: “C'est moi la coupable. Marthe voulait le faire depuis deux jours déjà. Mais je n'ai pas voulu, car Lui nous avait dit de ne le prévenir qu'après ta mort. Pardonne-moi! Toute la douleur de la vie, je te l'ai donnée… Et pourtant je t'ai aimé et je t'aime, frère. Après le Maître, c'est toi que j'aime plus que tous, et Dieu voit que je ne mens pas. Dis-moi que tu m'absous du passé, donne-moi la paix…”“Domina!” rappelle le médecin. “Le malade n'a pas besoin d'émotions.”“C'est vrai… Dis-moi que tu me pardonnes de t'avoir refusé Jésus…”“Marie! C'est pour toi que Jésus est venu ici… et c'est pour toi qu'il y vient… car tu as su aimer plus que tous… Tu m'as aimé plus que tous… Une vie… de délices ne m'aurait pas… ne m'aurait pas donné la… joie dont tu m'as fait jouir… Je te bénis… Je te dis… que tu as bien fait… d'obéir à Jésus… Je ne savais pas… Je sais… Je dis… c'est bien… Aidez-moi à mourir!… Noémi… tu étais capable de… me faire dormir… autrefois… Marthe… bénie… ma paix… Maximin… avec Jésus. Aussi… pour moi… Ma part… aux pauvres… à Jésus… pour les pauvres… Et pardonnez… à tous… Ah! quels spasmes!… De l'air!… De la lumière!… Tout tremble… Vous avez comme une lumière autour de vous et elle m'éblouit quand… je vous regarde… Parlez… fort…” Il a mis sa main gauche sur la tête de Marie, et il a abandonné la droite dans les mains de Marthe. Il halète…On le soulève avec précaution pour ajouter des oreillers, et Nicomède lui fait prendre encore des gouttes de potion. Sa pauvre tête s'enfonce et retombe dans un abandon mortel. Toute sa vie est dans la respiration. Pourtant il ouvre les yeux et regarde Marie qui soutient sa tête, et il lui sourit en disant: “Maman! Elle est revenue… Maman! Parle! Ta voix… Tu sais… le secret… de Dieu… Ai-je servi… le Seigneur?…”Marie, d'une voix rendue blanche par la peine, murmure: “Le Seigneur te dit: "Viens avec Moi, serviteur bon et fidèle, car tu as écouté toutes mes paroles et aimé le Verbe que j'ai envoyé".”“Je n'entends pas! Plus fort!”Marie répète plus fort…“C'est vraiment maman!…” dit Lazare satisfait et il abandonne sa tête sur l'épaule de sa sœur…Il ne parle plus. Seulement des gémissements et des tremblements spasmodiques, seulement la sueur et le râle. Insensible désormais à la Terre, aux affections, il sombre dans le noir toujours plus absolu de la mort. Les paupières descendent sur les yeux devenus vitreux où brille une dernière larme.“Nicomède! Il se laisse aller! Il se refroidit!…” dit Marie.“Domina, la mort est un soulagement pour lui.”“Garde-le en vie! Demain Jésus est certainement ici. Il sera parti tout de suite. Peut-être il a pris le cheval du serviteur ou une autre monture” dit Marthe. Et s'adressant à sa sœur: “Oh! si tu m'avais laissée l'appeler plus tôt!” Puis au médecin: “Fais-le vivre!” lui impose-t-elle convulsée.Le médecin ouvre les bras. Il essaie des cordiaux, mais Lazare n'avale plus.Le râle augmente… augmente… Il est déchirant…“Oh! on ne peut plus l'entendre!” gémit Noémi…“Oui. Il a une longue agonie…” dit le médecin.Mais il n'a pas encore fini de le dire que, avec une convulsion de toute sa personne qui se cambre et puis s'abandonne, Lazare exhale le dernier soupir.Les sœurs crient… en voyant ce spasme, en voyant cet abandon. Marie appelle son frère, en le baisant. Marthe s'accroche au médecin qui se penche sur le mort et dit: “Il a expiré. Désormais il est trop tard pour attendre le miracle. Il n'y a plus à attendre. Trop tard!… Je me retire, dominae. Je n'ai plus de raison de rester. Ne tardez pas pour les funérailles car il est déjà décomposé.” Il abaisse les paupières sur les yeux du mort et dit encore en le regardant: “Malheur! C'était un homme vertueux et intelligent. Il ne devait pas mourir!” Il s'incline vers les deux sœurs, qu'il salue. “Dominae! Salve!” et il s'en va.Les pleurs emplissent la pièce. Marie désormais n'a plus de force et elle se renverse sur le corps de son frère en criant ses remords, en demandant son pardon. Marthe pleure dans les bras de Noémi.Puis Marie s'écrie: “Tu n'as pas eu foi, ni obéissance. Je l'ai tué une première fois; toi, tu le tues maintenant; moi, par mon péché, toi, par ta désobéissance.” Elle est comme folle. Marthe la soulève, l'embrasse, s'excuse. Maximin, Noémi, Marcelle essaient de les ramener toutes les deux à la raison et à la résignation. Ils y parviennent en rappelant Jésus… La douleur devient plus ordonnée et, pendant que la pièce se remplit de serviteurs en larmes et que pénètrent ceux qui sont chargés de l'ensevelissement, on conduit les deux sœurs autre part pour qu'elles pleurent leur douleur.Maximin qui les conduit dit: “Il a expiré à la fin du second temps de la nuit.”Et Noémi: “Il faudra l'ensevelir dans la journée de demain, avant le coucher du soleil, car le sabbat arrive. Vous avez dit que le Maître veut de grands honneurs…”“Oui. Maximin, à toi de t'en occuper. Moi je suis sotte” dit Marthe.“Je vais envoyer les serviteurs à ceux qui sont loin et à ceux qui sont proches, et donner des ordres” dit Maximin qui se retire.Les deux sœurs pleurent embrassées. Elles ne se font plus de reproches mutuels. Elles pleurent. Elles essaient de se réconforter…Les heures passent. Le mort est préparé dans sa pièce. Une longue forme enveloppée dans des bandes sous le suaire.“Pourquoi déjà recouvert ainsi?” s'écrie Marthe, qui en fait des reproches.“Maîtresse… Son nez était une puanteur et quand on l'a remué, il a rejeté du sang corrompu” dit en s'excusant un vieux serviteur.Les sœurs pleurent plus fort. Lazare est déjà plus loin sous ces bandes… Un autre pas dans l'éloignement de la mort. Elles le veillent en pleurant jusqu'à l'aube, jusqu'au retour du serviteur d'au-delà du Jourdain. Du serviteur qui reste abasourdi mais qui rapporte de la course qu'il a faite pour apporter la réponse que Jésus vient.“Il a dit qu'il vient? Il n'a pas fait de reproches?” demande Marthe.“Non, maîtresse. Il a dit: "Je viendrai. Dis-leur que je viendrai, et qu'elles aient foi". Et auparavant il avait dit: "Dis-leur de rester tranquilles. Ce n'est pas une maladie mortelle, mais c'est la gloire de Dieu, pour que sa puissance soit glorifiée en son Fils".”“C'est vraiment ce qu'il a dit? En es-tu sûr?” demande Marie.“Maîtresse, tout le long d e la route, j'ai répété les paroles!”“Va, va. Tu es fatigué. Tu as tout bien fait. Mais il est trop tard, désormais!…” soupire Marthe. Et dès qu'elle reste avec sa sœur, elle éclate bruyamment en sanglots.“Marthe, pourquoi?…”“Oh! en plus de la mort, c'est la désillusion! Marie! Marie! Tu ne réfléchis pas que cette fois le Maître s'est trompé? Regarde Lazare. Il est bien mort! Nous avons espéré au-delà de ce qui est croyable, et cela n'a pas servi. Quand je l'ai fait appeler, j'ai certainement mal fait, Lazare était déjà plus mort que vif. Et notre foi n'a pas eu de résultat et de récompense. Et le Maître nous fait dire que ce n'est pas une maladie mortelle! Le Maître, alors, n'est plus la Vérité? Il ne l'est plus… Oh! Tout! Tout! Tout est fini!”Marie se tord les mains. Elle ne sait que dire. La réalité est la réalité… Mais elle ne parle pas. Elle ne dit pas un mot contre son Jésus. Elle pleure. Elle est vraiment à bout.Marthe a une idée fixe dans le cœur: celui d'avoir trop tardé: “C'est ta faute” reproche-t-elle. “Il voulait éprouver ainsi notre foi. Obéir, oui. Mais désobéir aussi à cause de notre foi, et Lui montrer que nous croyons que Lui seul pouvait et devait faire le miracle. Mon pauvre frère! Et il l'a tant désiré! Au moins cela: le voir! Notre pauvre Lazare! Pauvre! Pauvre!” Et les pleurs se changent en un cri lugubre auquel font écho de l'autre côté de la porte les cris des servantes et des serviteurs, selon les coutumes de l'orient…La nuit commence déjà à tomber. Le serviteur, remontant les bosquets du fleuve, éperonne son cheval qui fume de sueur pour lui faire franchir la dénivellation qui existe en ce point entre le fleuve et le chemin du village. Les flancs de la pauvre bête palpitent à cause de la course rapide et longue. La sueur moire sa robe noire, et l'écume du mors éclabousse son poitrail de taches blanches. Il halète en cambrant son cou et en secouant sa tête.Le voilà sur le sentier. Il a vite fait de rejoindre la maison. Le serviteur saute à terre, attache le cheval à la haie, et appelle.De derrière la maison se présente la tête de Pierre et, de sa voix un peu rauque, il demande: “Qui appelle? Le Maître est fatigué. Cela fait des heures qu'il n'est pas tranquille. Il fait presque nuit. Revenez demain.”“Je ne veux rien du Maître, moi. Je suis en bonne santé et je n'ai qu'un mot à dire.”Pierre s'avance en disant: “Et de la part de qui, si on peut le demander? Si je ne puis reconnaître à coup sûr, je ne fais passer personne, et surtout quelqu'un qui pue Jérusalem comme toi.” Il s'est avancé lentement, rendu plus soupçonneux par la beauté du cheval maure richement harnaché, que par l'homme. Mais quand ils sont en face l'un de l'autre, il fait un geste étonné: “Toi? Mais n'es-tu pas un serviteur de Lazare, toi?”Le serviteur ne sait que dire. Sa maîtresse lui a dit de ne parler qu'à Jésus, mais l'apôtre semble bien décidé à ne pas le faire passer. Le nom de Lazare, il le sait, est puissant auprès des apôtres. Il se décide à dire: “Oui, je suis Jonas, serviteur de Lazare. Je dois parler au Maître.”“Lazare est-il mal? Est-ce lui qui t'envoie?”“Il est mal, oui. Mais ne me fais pas perdre de temps. Je dois retourner au plus tôt.” Et pour décider Pierre, il dit: “Il y a eu les synhédristes à Béthanie…”“Les synhédristes!!! Passe! Passe!” et il ouvre le portail en disant: “Détache le cheval. Nous allons lui donner à boire et de l'herbe, si tu veux.”“J'ai de l'avoine, mais un peu d'herbe ne lui fera pas de mal. De l'eau après; tout de suite, cela lui ferait du mal.”Ils entrent dans la pièce où se trouvent les couchettes et attachent la bête dans un coin pour la garder à l'abri de l'air; le serviteur la couvre avec la couverture qui était attachée à la selle, lui donne de l'avoine et de l'herbe que Pierre a prise je ne sais où. Puis ils reviennent dehors et Pierre conduit le serviteur dans la cuisine et lui donne une tasse de lait chaud qu'il prend dans un petit chaudron qui est près du feu allumé, au lieu de l'eau que le serviteur avait demandée. Pendant que le serviteur boit et se réchauffe auprès du feu, Pierre, qui s'abstient héroïquement de poser des questions, dit: “Le lait vaut mieux que l'eau que tu voulais. Et puisque nous en avons! Tu as tout fait en une étape?”“En une étape et je ferai ainsi au retour.”“Tu vas être fatigué. Et le cheval va tenir le coup?”“Je l'espère. Et puis, au retour, je ne galoperai pas comme à l'aller.”“Mais il va faire nuit bientôt. La lune commence déjà à se lever… Comment vas-tu faire au fleuve?”“J'espère y arriver avant qu'elle se couche, autrement je resterai dans le bois jusqu'à l'aube. Mais j'arriverai avant.”“Et après? La route est longue du fleuve à Béthanie, et la lune se couche de bonne heure. Elle est à ses premiers jours.”“J'ai une bonne lanterne, je l'allumerai et j'irai doucement. Si doucement que j'aille, je m'approcherai toujours de la maison.”“Veux-tu du pain et du fromage? Nous en avons et aussi du poisson. C'est moi qui l'ai pêché. Parce qu'aujourd'hui je suis resté ici avec Thomas. Mais maintenant Thomas est allé prendre du pain chez une femme qui nous rend service.”“Non, ne te prive de rien. J'ai mangé en route, mais j'avais soif et besoin aussi de quelque chose de chaud. Maintenant, je suis bien. Mais veux-tu aller voir le Maître? Est-il ici?”“Oui, oui. S'il n'y avait pas été, je te l'aurais dit tout de suite. Il est à côté qui se repose, car il vient tant de gens ici… J'ai même peur que la chose fasse du bruit et vienne à alarmer les pharisiens. Prends encore un peu de lait. D'ailleurs tu devras laisser manger le cheval… et le faire reposer. Ses flancs battaient comme une voile mal tendue…”“Non. Le lait, vous en avez besoin. Vous êtes si nombreux.”“Oui, mais sauf Jésus qui parle tant qu'il en a la poitrine fatiguée, et les plus âgés, nous qui sommes robustes, nous mangeons des choses qui font travailler les dents. Prends. C'est celui des brebis laissées par le vieillard. Quand nous sommes ici, la femme nous l'apporte, mais si nous en voulons davantage, tous nous en donnent. Ils nous aiment bien ici et ils nous "aident. Et… dis-moi un peu: ils étaient si nombreux les synhédristes?”“Oh! presque tous et d'autres avec eux: sadducéens, scribes, pharisiens, juifs de grande fortune, et aussi quelques hérodiens…”“Et qu'étaient-ils venus faire ces gens à Béthanie? Est-ce que Joseph et Nicodème y étaient?”“Non. Ils étaient venus les jours d'avant, et Manaën aussi était venu. Ceux-ci n'étaient pas de ceux qui aiment le Seigneur.”“Eh! je le crois! Il y en a tellement peu au Sanhédrin qui l'aiment! Mais que voulaient-ils exactement?”“Saluer Lazare, ont-ils dit en entrant…”“Hum! Quel amour étrange! Ils l'ont toujours écarté pour tant de raisons!… Bien!… Croyons-le aussi… Ils y sont restés longtemps?”“Assez. Et ils sont partis fâchés. Moi je ne sers pas à la maison et donc je ne servais pas aux tables, mais ceux qui étaient à l'intérieur pour servir disent qu'ils ont parlé avec les maîtresses et qu'ils ont voulu voir Lazare. C'est Elchias qui est allé voir Lazare et…”“La bonne peau!…” murmure Pierre entre ses dents.“Qu'as-tu dit?”“Rien, rien! Continue. Et il a parlé avec Lazare?”“Je crois. Il y est allé avec Marie. Mais ensuite, je ne sais pourquoi… Marie s'est agitée et les serviteurs, prêts à accourir des pièces voisines, disent qu'elle les a chassés comme des chiens…”“Vive elle! Ce qu'il faut! Et elles t'ont envoyé le dire?”“Ne me fais pas perdre plus de temps, Simon de Jonas.”“Tu as raison, viens.”Il le conduit à une porte, il frappe. Il dit: “Maître, il y a un serviteur de Lazare. Il veut te parler.”“Entre” dit Jésus.Pierre ouvre la porte, fait entrer le serviteur, ferme et se retire, méritoirement, près du feu pour mortifier sa curiosité.Jésus est assis sur le bord de sa couchette dans la petite pièce où il y a à peine de la place pour la couchette et la personne qui l'habite. Ce devait être auparavant un abri pour les vivres car il y a encore des crochets aux murs et des planches sur des chevilles. Jésus regarde en souriant le serviteur qui s'est agenouillé, et il le salue: “La paix soit avec toi.” Puis il ajoute: “Quelles nouvelles m'apportes-tu? Lève-toi et parle.”“Mes maîtresses m'envoient te dire d'y aller tout de suite, car Lazare est très malade et le médecin dit qu'il va mourir. Marthe et Marie t'en supplient et elles m'ont envoyé te dire: "Viens, car Toi seul peux le guérir".”“Dis-leur de rester tranquilles, ce n'est pas une maladie mortelle, mais c'est la gloire de Dieu pour que sa puissance soit glorifiée en son Fils.”“Mais il est très grave, Maître! Sa chair est gangrenée, et il ne se nourrit plus. J'ai éreinté le cheval pour arriver plus tôt…”“Peu importe. C'est comme je dis.”“Mais viendras-tu?”“Je viendrai. Dis-leur que je viendrai et qu'elles aient foi. Qu'elles aient foi. Une foi absolue. Tu as compris? Va. Paix à toi et à celles qui t'envoient. Je te répète: "Qu'elles aient foi. Absolue." Va.”Le serviteur salue et se retire. Pierre court à sa rencontre: “Tu as eu vite fait de le dire. Je pensais à un long discours…” Il le regarde, le regarde… Le désir de savoir transsude par tous les pores de son visage, mais il se retient…“Je pars. Veux-tu me donner de l'eau pour le cheval? Après, je partirai.”“Viens. De l'eau!… Nous avons tout un fleuve pour t'en donner, en plus du puits pour nous” et Pierre, muni d'une lampe, le précède et donne l'eau demandée.Ils font boire le cheval. Le serviteur soulève la couverture, examine les fers, la sous-ventrière, les rênes, les étriers. Il explique: “Il a tant couru! Mais tout est en bon état. Adieu, Simon Pierre, et prie pour nous.”Il conduit le cheval dehors, il sort sur la route en le tenant par la bride, met un pied dans l'étrier, va monter en selle. Pierre le retient en lui mettant une main sur le bras et en disant: “La seule chose que je veux savoir: y a-t-il danger pour Lui à rester ici? Ont-ils fait cette menace? Voulaient-ils savoir des deux sœurs où nous étions? Dis-le, au nom de Dieu!”“Non, Simon, non. On n'en a pas parlé. C'est pour Lazare qu'ils sont venus… Entre nous on soupçonne que c'était pour voir si le Maître était là et si Lazare était lépreux, car Marthe criait très fort qu'il n'est pas lépreux et elle pleurait… Adieu, Simon, paix à toi.”“Et à toi et à tes maîtresses. Que Dieu t'accompagne dans ton retour à la maison…” Il le regarde partir… disparaître bientôt au bout de la rue, car le serviteur préfère prendre la grande route éclairée par la lumière de la lune plutôt que le sentier obscur du bois le long du fleuve. Il reste pensif, puis il ferme la grille et revient à la maison.Il va trouver Jésus qui est toujours assis sur sa couchette, les mains appuyées sur le bord et pensif. Mais il se secoue en sentant près de Lui Pierre qui le regarde comme pour l'interroger. Il sourit.“Tu souris, Maître?”“Je te souris, Simon de Jonas. Assieds-toi près de Moi. Les autres sont-ils revenus?”“Non, pas même Thomas. Il aura trouvé à parler.”“C'est bien.”“Bien qu'il parle? Bien que les autres tardent? Lui ne parle que trop. Lui est toujours gai! Et les autres? Je suis toujours inquiet tant qu'ils ne sont pas de retour. J'ai toujours peur, moi.”“Et de quoi, mon Simon? Il n'arrive rien de mal pour le moment, crois-le. Mets-toi en paix et imite Thomas qui est toujours gai. Toi, au contraire, tu es très triste depuis quelque temps.”“Je défie quiconque t'aime de ne pas l'être! Je suis vieux désormais, et je réfléchis plus que les jeunes. Car eux aussi t'aiment, mais ils sont jeunes et réfléchissent moins… Mais s'il te plaît que je sois plus gai, je le serai, je m'efforcerai de l'être. Mais pour pouvoir l'être, donne-moi au moins une raison de l'être. Dis-moi la vérité, mon Seigneur. Je te le demande à genoux (et il glisse en fait à genoux). Que t'a dit le serviteur de Lazare? Qu'ils te cherchent? Qu'ils veulent te nuire? Que…”Jésus met sa main sur la tête de Pierre: “Mais non, Simon! Rien de cela. Il est venu me dire que l'état de Lazare s'est beaucoup aggravé, et on n'a parlé que de Lazare.”“Vraiment, vraiment?”“Vraiment, Simon. Et j'ai répondu qu'elles aient foi.”“Mais à Béthanie y sont allés ceux du Sanhédrin, tu le sais?”“Chose naturelle! La maison de Lazare est une grande maison, et nos usages comportent que l'on donne ces honneurs à un homme puissant qui meurt. Ne t'agite pas, Simon.”“Mais tu crois vraiment qu'ils n'ont pas profité de cette excuse pour…”“Pour voir si j'étais là. Eh bien, ils ne m'ont pas trouvé. Allons, ne t'effraie pas ainsi, comme si déjà ils m'avaient pris. Reviens ici, pauvre Simon, qui ne veut absolument pas se persuader que rien ne peut m'arriver de mal jusqu'au moment décrété par Dieu, et que alors… rien ne pourra me défendre du Mal…”Pierre s'accroche à son cou et Lui ferme la bouche en y posant un baiser et en disant: “Tais-toi! Tais-toi! Ne me dis pas ces choses! Je ne veux pas les entendre!”Jésus réussit à se dégager assez pour pouvoir parler et il murmure: “Tu ne veux pas les entendre et c'est une erreur! Mais je t'excuse… Écoute, Simon. Puisque tu étais seul ici, toi et Moi seuls nous devons savoir ce qui est arrivé. Tu m'as compris?”“Oui, Maître, je ne parlerai avec aucun des compagnons.”“Que de sacrifices, n'est-ce pas, Simon?”“Sacrifices? Lesquels? Ici on est bien. Nous avons le nécessaire.”“Sacrifices de ne pas questionner, de ne pas parler, de supporter Judas… d'être loin de ton lac… Mais Dieu te donnera une compensation pour tout.”“Oh! si c'est de cela que tu veux parler!… Au lieu du lac, j'ai le fleuve et… je m'en contente. Pour Judas… j'ai Toi qui es une large compensation… Et pour les autres choses!… Bagatelles! Et elles me servent à devenir moins rustre et plus semblable à Toi. Comme je suis heureux d'être ici avec Toi! Dans tes bras! Le palais de César ne me paraîtrait pas plus beau que cette maison, si je pouvais rester toujours ainsi, dans tes bras.”“Qu'en sais-tu du palais de César? L'as-tu vu peut-être?”“Non, et je ne le verrai jamais. Mais je n'y tiens pas. Pourtant j'imagine qu'il est grand, beau, rempli de belles choses… et d'ordures, comme Rome toute entière, j'imagine. Je n'y resterais pas même si on me couvrait d'or!”“Où? Au palais de César, ou à Rome?”“Aux deux endroits. Anathème!”“Mais c'est justement parce qu'ils sont tels qu'il faut les évangéliser.”“Et que veux-tu faire à Rome?! Ce n'est qu'un lupanar! Rien à faire, là-bas, à moins que tu y viennes, Toi. Alors!…”“J'y irai. Rome est la capitale du monde. Rome une fois conquise, c'est le monde qui est conquis.”“Nous allons à Rome? Tu te proclames roi, là-bas! Miséricorde et puissance de Dieu! Cela c'est un miracle!”Pierre s'est levé et il reste les bras tendus devant Jésus qui sourit et lui répond: “J'y irai dans la personne de mes apôtres. Vous me la conquerrez et je serai avec vous. Mais à côté il y a quelqu'un. Allons, Pierre.”La nouvelle de la mort de Lazare doit avoir produit l'effet d'un bâton que l'on remue à l'intérieur d'une ruche. Jérusalem toute entière en parle. Notables, marchands, menu peuple, pauvres, gens de la ville, des campagnes voisines, étrangers de passage mais pas tout à fait ignorants de l'endroit, étrangers qui s'y trouvent pour la première fois et qui demandent quel est celui dont la mort occasionne un tel remue-ménage, romains, légionnaires, employés du Temple, lévites et prêtres qui se rassemblent et se quittent continuellement en courant çà et là… Groupes de gens qui en des termes et expressions différents parlent du fait. Certains louent, d'autres pleurent, d'autres se sentent plus mendiants qu'à l'ordinaire maintenant que leur bienfaiteur est mort, quelqu'un gémit: “Je n'aurai plus, jamais plus un maître comme lui”, certains énumèrent ses mérites et d'autres mettent en lumière sa richesse et sa parenté, les fonctions et les charges de son père, la beauté et la richesse de sa mère et sa naissance “royale”. D'autres, malheureusement, rappellent aussi des souvenirs familiaux sur lesquels il serait beau de laisser tomber un voile surtout quand il s'agit d'un mort qui en a souffert…Les nouvelles les plus disparates sur la cause de la mort, sur l'emplacement du tombeau, sur l'absence du Christ de la maison de son grand ami et protecteur, justement en cette circonstance, font parler les petits groupes. Et il y a deux opinions qui prévalent: l'une c'est que cela est arrivé, ou plutôt a été provoqué par l'attitude hostile des juifs, synhédristes, pharisiens, et gens de même acabit à l'égard du Maître; l'autre c'est que le Maître, se trouvant en face d'une vraie maladie mortelle, s'est dérobé parce que dans ce cas ses procédés frauduleux n'auraient pas réussi. Même sans être astucieux il est facile de comprendre de quelle source vient cette dernière opinion. Elle heurte un grand nombre de gens qui répliquent: “Es-tu pharisien, toi aussi? Si oui, attention à toi, car avec nous on ne blasphème pas le Saint! Vipères maudites, engendrées par des hyènes mariées au Léviathan! Qui vous paie pour blasphémer le Messie?” Prises de becs, insultes, quelques coups de poing aussi, et des invectives mordantes aux pharisiens couverts de riches manteaux et aux scribes qui passent avec des airs de dieux sans daigner regarder la plèbe qui vocifère pour et contre eux, pour et contre le Maître, résonnent dans les rues. Et des accusations! Combien!“Tel dit que Jésus est un faux Maître! C'est certainement un de ceux qui ont été achetés avec les deniers de ces serpents qui viennent de passer.”“Avec leurs deniers? Avec les nôtres, dois-tu dire! C'est pour cela qu'ils nous plument! Mais où est-il que je veux voir si c'est un de ceux qui hier sont venus me parler…”“Il s'est enfui, mais vive Dieu! Ici il faut s'unir et agir. Ils sont trop impudents.”Autre conversation: “Je t'ai entendu et je te connais. Je dirai à qui de droit comment tu parles du Tribunal suprême!”“J'appartiens au Christ et la bave de démon ne me nuit pas. Dis-le même à Anna et Caïphe, si tu veux, et que cela serve à les rendre plus justes.”Et plus loin: “C'est moi, moi que tu traites de parjure et de blasphémateur parce que je suis le Dieu vivant? C'est toi le parjure et le blasphémateur qui l'offenses et le persécutes. Je te connais, sais-tu? Je t'ai vu et entendu. Espion! Vendu! Saisissez-vous de lui…” et en attendant, il se met à lui appliquer sur la figure de ces gifles qui font rougir le visage osseux et verdâtre d'un juif.“Cornélius, Siméon, regardez! Ils me bousculent” dit un autre plus loin en s'adressant à un groupe de synhédristes.“Supporte cela pour la foi et ne te souille pas les lèvres et les mains la veille d'un sabbat” répond un de ceux qui sont appelés, sans même se détourner pour regarder le malheureux sur lequel un groupe de gens du peuple exerce une justice sommaire…Les femmes crient pour rappeler leurs maris, en les suppliant de ne pas se compromettre.Les légionnaires de patrouille font dégager les rues à coups de hampes et menacent de faire des arrestations et de prendre des sanctions.La mort de Lazare, le fait principal, donne l'occasion de passer à des faits secondaires qui défoulent la longue tension des cœurs…Les synhédristes, les anciens, les scribes, les sadducéens, les notables juifs, passent indifférents, sournois, comme si toute cette explosion de petites colères, de vengeances personnelles, de nervosité, ne s'enracinaient pas en eux. Plus les heures passent et plus les passions fermentent et plus les cœurs s'enflamment.“Eux disent, écoutez un peu, que le Christ ne peut guérir les malades. Moi, j'étais lépreux et maintenant je suis en bonne santé. Les connaissez-vous? Je ne suis pas de Jérusalem, mais jamais je ne les ai vus parmi les disciples du Christ depuis deux ans.”“Eux? Fais-moi voir celui du milieu! Ah! le scélérat! C'est lui qui à la dernière lune est venu m'offrir de l'argent au nom du Christ, en disant que Lui prend des hommes en solde pour s'emparer de la Palestine. Et maintenant il dit… mais pourquoi l'as-tu laissé échapper?”“Vous avez compris, hein! Quels malandrins! Et pour un peu je me laissais prendre! Il avait raison mon beau-père! Voilà Joseph l'Ancien avec Jean et Josué. Allons leur demander s'il est vrai que le Maître veut rassembler des armées. Ils sont justes et sont au courant.” Ils courent en masse vers les trois synhédristes et leur posent la question.“Rentrez chez vous, hommes. Dans les rues on pèche et l'on se nuit. Ne vous disputez pas. Ne vous alarmez pas. Occupez-vous de vos affaires et de vos familles. N'écoutez pas ceux qui agitent des illusionnés et ne vous laissez pas illusionner. Le Maître est un maître et non un guerrier. Vous le connaissez et il dit ce qu'il pense. Il ne vous aurait pas envoyé d'autres pour vous dire de le suivre comme guerriers, s'il vous avait voulu tels. Ne faites pas de tort à Lui, à vous, et à votre Patrie. Rentrez chez vous, hommes! Rentrez chez vous! Ne faites pas de ce qui est déjà un malheur: la mort d'un juste, une suite de malheurs. Retournez chez vous, et priez pour Lazare qui faisait du bien à tout le monde” dit Joseph d'Arimathie qui doit être très aimé et écouté par le peuple qui le connaît comme juste.Jean aussi (celui qui était jaloux) dit: “Lui est un homme de paix, pas de guerre. N'écoutez pas les faux disciples. Rappelez-vous comme ils étaient différents les autres qui se disaient Messie. Rappelez-vous, confrontez, et votre justice vous dira que ces incitations à la violence ne peuvent venir de Lui! À vos maisons! À vos maisons! Auprès de vos femmes qui pleurent et de vos enfants apeurés. Il est dit: "Malheurs aux violents et à ceux qui favorisent les rixes".”Un groupe de femmes en larmes aborde les trois synhédristes et l'une d'elles dit: “Les scribes ont menacé mon homme. J'ai peur! Joseph, parle-leur.”“Je le ferai, mais que ton mari sache se taire. Croyez-vous par ces agitations rendre service au Maître et honorer le mort? Vous vous trompez. Vous nuisez à l'un et à l'autre” répond Joseph et il les laisse pour aller à la rencontre de Nicodème qui arrive par une rue, suivi de ses serviteurs- “Je n'espérais pas te voir, Nicodème. Moi-même, je ne sais comment j'ai pu. Le serviteur de Lazare est venu après le chant du coq me dire le malheur.”“Et à moi, plus tard. Je suis parti tout de suite. Sais-tu si le Maître est à Béthanie?”“Non. Il n'y est pas. Mon intendant de Bézéta y était à l'heure de tierce et il m'a dit qu'il n'y est pas.”“Moi, je ne comprends pas comment… Pour tous le miracle et pas pour lui!” s’écrie Jean.“C'est peut-être qu'à la maison il a donné déjà plus qu'une guérison: il a racheté Marie et leur a rendu paix et honneur…” dit Joseph.“Paix et honneur! Des bons pour les bons, car beaucoup… n'ont pas rendu et ne rendent pas honneur même maintenant que Marie… Vous ne savez pas… Il y a trois jours, Elchias y est allé avec beaucoup d'autres… et ils n'ont pas rendu honneur. Et Marie les a chassés. Ils me l'ont dit, furieux, et je les ai laissés dire pour ne pas dévoiler mon cœur…” dit Josué.“Et maintenant ils vont aux funérailles?” demande Nicodème.“Ils ont eu l'avis et se sont réunis au Temple pour discuter. Oh! les serviteurs ont dû beaucoup courir ce matin à l'aurore!”“Pourquoi précipite-t-on ainsi les funérailles? Tout de suite après sexte!…”“Parce que Lazare était déjà décomposé quand il est mort. Mon intendant m'a dit que, malgré les résines qui brûlent dans les pièces, et les aromates répandus sur le mort, la puanteur du cadavre se sent dès le portique de la maison. Et puis au couchant le sabbat commence. Il n'était pas possible de faire autrement.”“Et tu dis qu'ils se sont réunis au Temple? Pourquoi?”“Voilà… en réalité, la réunion était déjà fixée pour discuter sur Lazare. Ils veulent dire qu'il était lépreux…” dit Josué.“Cela non. Lui, tout le premier, se serait isolé pour obéir à la Loi” dit Joseph pour le défendre. Et il ajoute: “J'ai parlé avec le médecin. Il a absolument exclu la lèpre. Il était malade d'une consomption putride.”“Et alors de quoi ont-ils discuté puisque Lazare était déjà mort?” demande Nicodème.“Sur la question d'aller ou non aux funérailles après que Marie les ait chassés. Les uns le voulaient, les autres non. Mais ceux qui voulaient y aller étaient les plus nombreux et cela pour trois motifs. Voir si le Maître y est, première raison, commune à tous. Voir s'il fait le miracle, deuxième raison. La troisième: le souvenir des paroles récentes du Maître aux scribes, près du Jourdain, non loin de Jéricho” explique encore Josué.“Le miracle! Quel miracle s'il est mort?” demande Jean avec un haussement d'épaules et il termine en disant: “Toujours les mêmes qui cherchent l'impossible!”“Le Maître a ressuscité d'autres morts” fait remarquer Joseph.“C'est vrai. Mais s'il avait voulu le garder vivant, il ne l'aurait pas laissé mourir. La raison que tu as donnée avant est juste. Ils ,ont déjà eu un miracle.”“Oui. Mais Uziel s'est souvenu, et avec lui Sadoc, d'un défi exprimé il y a plusieurs lunes. Le Christ a dit qu'il prouvera qu'il sait recomposer un corps en décomposition. Et Lazare est tel. Et Sadoc le scribe dit encore que, près du Jourdain, le Rabbi lui a dit, de Lui-même, qu'à la nouvelle lune il verrait s'accomplir la moitié du défi. Celui-ci: d'un corps décomposé qui revit et sans plus de tares ni de maladie. Et ils ont gagné, eux. Si cela arrive, il est certain que c'est parce qu'il y a le Maître. Et aussi si cela arrive, il n'y a plus de doutes à son sujet.”“Pourvu que ce ne soit pas un mal…” murmure Joseph.“Un mal? Pourquoi? Les scribes et les pharisiens se persuaderont…”“Oh! Jean! Mais es-tu donc un étranger pour pouvoir dire cela? Tu ne connais pas tes concitoyens? Quand donc la vérité les a-t-elle rendus saints? Cela ne te dit rien que l'on n'a pas apporté chez moi l'invitation à la réunion?”“Ni chez moi non plus. Ils doutent de nous et nous laissent souvent en dehors” dit Nicodème. Et il demande: “Gamaliel y était-il?”“Il y avait son fils. Et il viendra pour remplacer son père qui est souffrant à Gamala de Judée.”“Et que disait Siméon?”“Rien, absolument rien. Il a écouté et s'en est allé. Il y a un moment, il est passé avec des disciples de son père, en allant à Béthanie.”Ils sont presque à la porte qui ouvre sur le chemin de Béthanie et Jean s'écrie: “Regarde! Elle est gardée. Pourquoi donc? Et ils arrêtent ceux qui sortent.”“Il y a de l'agitation dans la ville…”“Oh! Elle n'est pas pourtant des plus fortes…”Ils arrivent à la porte et sont arrêtés comme tous les autres.“Pour quelle raison, soldat? Je suis connu de toute l'Antonia, et vous ne pouvez dire du mal de moi. Je vous respecte et je respecte vos lois” dit Joseph d'Arimathie.“Ordre du Centurion. Le Chef va entrer dans la ville et nous voulons savoir qui sort par les portes et spécialement par celle-ci qui donne sur la route de Jéricho. Nous te connaissons, mais nous connaissons vos sentiments pour nous. Toi et les tiens passez, et si vous avez de l'influence sur le peuple, dites-leur qu'il est bien pour eux de rester tranquilles. Ponce n'aime pas changer ses habitudes pour des sujets qui lui portent ombrage… et il pourrait être trop sévère. Un conseil loyal pour toi qui es loyal.” Ils passent…“Tu entends? Je prévois de lourdes journées… Il faudra le conseiller aux autres plutôt qu'au peuple…” dit Joseph.La route pour Béthanie est remplie de gens qui vont tous dans la même direction, à Béthanie. Tous se rendent aux funérailles. On voit des synhédristes et des pharisiens mêlés à des sadducéens et des scribes, et ceux-ci à des paysans, des serviteurs, des intendants des différentes maisons et des domaines que Lazare possède dans la ville et dans les campagnes, et plus on approche de Béthanie, plus il y a de gens qui débouchent des sentiers et des chemins dans la route principale.Voici Béthanie. Béthanie en deuil de son plus grand citoyen. Tous les habitants avec leurs meilleurs habits sont déjà en dehors des maisons qui sont fermées comme s'il n'y avait personne à l'intérieur. Mais ils ne sont pas encore dans la maison du mort. La curiosité les retient près de la grille, le long du chemin. Ils observent ceux qui passent parmi les invités et ils échangent les noms et les impressions.“Voici Nathanaël ben Faba. Oh! le vieux Mathatias, parent de Jacob! Le fils d'Anna! Regarde-le avec Doras, Callascebona et Archélaüs. Oh! comment ont-ils fait pour venir ceux de Galilée? Ils y sont tous. Regarde: Éli, Giocana, Ismaël, Urie, Joachim, Élie, Joseph… Le vieux Canania avec Sadoc, Zacharie et Giocana sadducéens. Il y a aussi Siméon de Gamaliel, seul. Le rabbi n'est pas avec lui. Voilà Elchias avec Nahum, Félix, Anna le scribe, Zacharie, Jonathas d'Uriel! Saül avec Eléazar, Trifon et Joazar. Bons ces derniers! Un autre des fils d'Anna, le plus jeune. Il parle avec Simon Camit. Philippe avec Jean l'Antipatrides. Alexandre, Isaac et Jonas de Babaon. Sadoc. Jude, descendant des Assidéens, le dernier, je crois de cette classe. Voici les intendants des divers palais. Je ne vois pas les amis fidèles. Que de gens!”Vraiment! Que de gens. Tous importants, une partie avec un visage de circonstance, ou avec sur le visage les marques d'une vraie douleur. Le portail tout grand ouvert engloutit tout le monde, et je vois passer tous ceux qu'à diverses reprises j'ai vus bienveillants ou hostiles autour du Maître. Tous, sauf Gamaliel et le synhédriste Simon. Et j'en vois d'autres encore que je n'ai jamais vus ou que j'aurai vus sans savoir leurs noms dans les discussions autour de Jésus… Il passe des rabbins avec leurs disciples, et des scribes en groupes compacts. Il passe des juifs dont j'entends énumérer les richesses… Le jardin est plein de gens. Ils vont exprimer leurs condoléances aux sœurs - qui selon l'usage, sans doute, sont assises sous le portique et donc en dehors de la maison - et se répandent ensuite dans le jardin en un continuel bariolage de couleurs et en de continuelles inclinaisons.Marthe et Marie sont bouleversées. Elles se tiennent par la main comme deux fillettes effrayées du vide qui s'est fait dans leur maison, du rien qui emplit leur journée maintenant qu'elles n'ont plus Lazare à soigner. Elles écoutent les paroles des visiteurs, pleurent avec les vrais amis, leurs employés fidèles, s'inclinent devant les synhédristes à l'air glacial, imposants, rigides, venus plutôt pour se faire voir que pour honorer le défunt. Elles répondent, lasses de répéter les mêmes choses des centaines de fois, à ceux qui les interrogent sur les derniers moments de Lazare.Joseph, Nicodème, les amis les plus sûrs, se mettent à côté d'elles, sobres en paroles, mais manifestant une amitié plus réconfortante que de longs discours.Elchias revient avec les plus intransigeants avec lesquels il a parlé longuement et il demande: “Ne pourrions-nous pas voir le mort?”Marthe, avec tristesse, se passe la main sur le front et demande: “Quand donc cela se fait-il en Israël? Il est déjà préparé…” et des larmes descendent lentement de ses yeux.“Ce n'est pas l'usage, c'est vrai, mais nous le désirerions. Les amis les plus fidèles ont bien le droit de voir une dernière fois l'ami.”“Même nous, ses sœurs, nous aurions eu ce droit. Mais il a été nécessaire de l'embaumer tout de suite… Et quand nous sommes revenues dans la chambre de Lazare nous n'avons plus vu que sa forme enveloppée par les bandelettes…”“Vous deviez donner des ordres clairs. Ne pouviez-vous pas, ne pourriez-vous pas enlever le suaire de son le visage?”“Oh! il est déjà décomposé… Et l'heure des funérailles est arrivée.”Joseph intervient: “Elchias, il me semble que nous… par excès d'amour, nous leur faisons de la peine. Laissons les sœurs en paix…”Siméon, fils de Gamaliel, s'avance, empêchant la réponse d'Elchias: “Mon père viendra dès qu'il le pourra. Je le représente. Il appréciait Lazare, et moi de même.”Marthe s'incline en répondant: “Que l'honneur du rabbi pour notre frère soit récompensé par Dieu.”Elchias, à cause du fils de Gamaliel, s'écarte sans insister davantage et il discute avec les autres qui lui font observer: “Mais tu ne sens pas la puanteur? Tu veux douter? Du reste, nous verrons s'ils murent le tombeau. On ne vit pas sans air.”Un autre groupe de pharisiens s'approche des sœurs. Ce sont presque tous ceux de Galilée. Marthe, après avoir reçu leurs hommages, ne peut s'empêcher de dire son étonnement de leur présence.“Femme, le Sanhédrin siège en des délibérations d'une extrême importance et c'est pour cela que nous sommes dans la ville” explique Simon de Capharnaüm et il regarde Marie dont il se rappelle certainement la conversion, mais il se borne à la regarder.Voici que s'avancent Giocana, Doras fils de Doras et Ismaël avec Canania et Sadoc et d'autres que je ne connais pas. Ils parlent, bien avant de parler, par leurs visages de vipères. Mais ils attendent que Joseph s'éloigne avec Nicodème pour parler à trois juifs, pour pouvoir blesser. C'est le vieux Canania qui de sa voix éraillée de vieillard croulant commence l'attaque: “Qu'en dis-tu, Marie? Votre Maître est le seul absent des nombreux amis de ton frère. Singulière amitié! Tant d'amour tant que Lazare se portait bien! Et de l'indifférence quand c'était le moment de l'aimer! Tous ont des miracles de Lui, mais ici, il n'y a pas de miracle. Qu'en dis-tu, femme, de pareille chose? Il t'a trompée beaucoup, beaucoup, le beau Rabbi galiléen. Eh! Eh! Ne disais-tu pas qu'il t'avait dit d'espérer au-delà de ce que l'on peut espérer? Tu n'as donc pas espéré, ou bien il ne sert à rien d'espérer en Lui? Tu espérais dans la Vie, as-tu dit. C'est vrai! Lui se dit "la Vie" eh! eh! Mais là-dedans se trouve ton frère mort, et là-bas est déjà ouverte la bouche du tombeau. Et pas de Rabbi! Eh! Eh!”“Lui sait donner la mort, pas la vie” dit Doras avec un sourire.Marthe incline son visage dans ses mains et pleure. C'est bien la réalité. Son espérance est bien déçue. Le Rabbi n'est pas là. Il n'est même pas venu les réconforter. Et pourtant il aurait pu être là maintenant. Marthe pleure, elle ne sait plus que pleurer.Marie aussi pleure. Elle aussi est en face de la réalité. Elle a cru, elle a espéré au-delà de ce qui est croyable… mais rien n'est arrivé et déjà les serviteurs enlèvent la pierre de l'entrée du tombeau car le soleil commence à descendre, et le soleil descend vite en hiver, et c'est vendredi, et tout doit être fait à temps de façon que les hôtes ne doivent pas transgresser les lois du sabbat qui va bientôt commencer. Elle a tant espéré, toujours, trop espéré. Elle a consumé ses puissances dans cette espérance. Et elle est déçue.Canania insiste: “Tu ne me réponds pas? Es-tu convaincue à présent que Lui est un imposteur qui vous a exploitées et méprisées? Pauvres femmes!” et il hoche la tête parmi ses comparses qui l'imitent, en disant eux aussi: “Pauvres femmes!”Maximin s'approche: “C'est l'heure. Donnez l'ordre. C'est à vous de le faire.”Marthe s'écroule. On la secourt et on l'emporte à bras au milieu des cris des serviteurs qui comprennent que l'heure est venue de la descente dans le tombeau et qui entonnent les lamentations.Marie se tord convulsivement les mains. Elle supplie: “Encore un peu! Encore un peu! Envoyez des serviteurs sur la route vers Ensémès et la fontaine, sur toutes les routes. Des serviteurs à cheval. Qu'ils voient s'il vient…”“Mais, tu espères encore, ô malheureuse? Mais que te faut-il pour te persuader qu'il vous a trahies et trompées? Il vous a haïes et méprisées…”C'en est trop! Le visage baigné de larmes, torturée et pourtant fidèle, dans le demi-cercle de tous les hôtes rassemblés pour voir sortir la dépouille, Marie proclame: “Si Jésus de Nazareth a ainsi agi, c'est bien, et c'est un grand amour que le sien pour nous tous de Béthanie. Tout pour la gloire de Dieu et la sienne! Il a dit que de cela il en viendra de la gloire pour le Seigneur parce que la puissance de son Verbe resplendira complètement. Exécute, Maximin. Le tombeau n'est pas un obstacle au pouvoir de Dieu…”Elle s'écarte, soutenue par Noémi qui est accourue, et elle fait un signe… La dépouille, dans ses bandelettes, sort de la maison, traverse le jardin entre deux haies de gens, au milieu des cris de deuil. Marie voudrait la suivre, mais elle chancelle. Elle se joint quand déjà tous sont vers le tombeau. Elle arrive juste pour voir disparaître la longue forme immobile dans la nuit du tombeau où rougissent les torches que tiennent haut les serviteurs pour éclairer les marches pour ceux qui descendent avec le mort. En effet le tombeau de Lazare est plutôt enterré, peut-être pour utiliser des couches de roches souterraines.Marie crie… Elle est déchirée… Elle crie… Et avec le nom de son frère il y a celui de Jésus. Ils semblent lui arracher le cœur. Mais elle ne dit que ces deux noms, et elle les répète jusqu'au moment où la lourde rumeur de la fermeture, remise à l'entrée de la tombe, lui dit que Lazare n'est plus sur la terre même avec son corps. Alors elle cède et perd complètement connaissance. Elle s'abat sur celle qui la soutient et soupire encore, pendant qu'elle s'abîme et s'anéantit dans son évanouissement: “Jésus! Jésus!” On l'éloigne.Maximin reste pour congédier les hôtes et les remercier au nom de toute la parenté. Il reste pour s'entendre dire par tous qu'ils reviendront chaque jour pour le deuil…La foule s'écoule lentement. Les derniers à partir sont Joseph, Nicodème, Eléazar, Jean, Joachim, Josué. Au portail ils trouvent Sadoc avec Uriel qui rient méchamment en disant: “Son défi! Et nous l'avons craint!”“Oh! Il est bien mort. Comme il puait malgré les aromates! Il n'y a pas de doute, non! Il n'y avait pas besoin d'enlever le suaire. Je crois qu'il y avait déjà les vers.” Ils sont heureux.Joseph les regarde. Un regard si sévère qu'il leur coupe la parole et les rires. Tout le monde se hâte de repartir pour être dans la ville avant la fin du crépuscule.La lumière, ce n'est déjà plus de la lumière dans le petit jardin de la maison de Salomon. Les arbres, les contours des maisons au-delà de la route, et surtout le bout de la route elle-même, là où le petit chemin disparaît dans les bois qui bordent le fleuve, perdent de plus en plus la netteté de leurs contours pour s'unir dans une seule ligne d'ombres plus ou moins claires, plus ou moins sombres, dans l'ombre qui s'épaissit de plus en plus. Plutôt que des couleurs les choses répandues sur la terre sont désormais des sons. Voix d'enfants dans les maisons, appels des mères, cris des hommes pour faire rentrer les brebis ou l'âne, quelques derniers grincements de poulies aux puits, bruissement des feuilles dans le vent du soir, bruits secs comme de petites branches qui se heurtent entre elles, des broussins répandus dans les bosquets. Là-haut la première palpitation des étoiles, encore indécise parce qu'il reste un semblant de lumière et que les premiers rayons phosphorescents de la lune commencent à se répandre dans le ciel.“Le reste, vous le direz demain. Pour l'instant cela suffit. Il fait nuit. Et que chacun aille à la maison. La paix à vous. La paix à vous. Oui… Oui… Demain. Eh? Que dis-tu? Tu as un scrupule? La nuit porte conseil, et puis s'il ne passe pas, tu viendras. Il ne manquerait plus que cela! Les scrupules aussi pour le fatiguer davantage! Et ceux qui ne rêvent que de profit! Et les belles-mères qui veulent rendre sages les épouses, et les épouses qui veulent rendre les belles-mères moins acariâtres, et des unes et des autres, toutes les deux mériteraient d'avoir la langue coupée. Et à part cela? Toi? Que dis-tu? Oh! oui, ce pauvre petit! Jean, conduis-le au Maître. Il a sa mère malade et elle l'envoie dire à Jésus qu'il prie pour elle. Pauvre petit! Il est resté en arrière à cause de sa petite taille, et il vient de loin. Comment va-t-il faire pour retourner à la maison? Hé! vous tous! Au lieu de rester ici pour jouir de Lui, ne pourriez vous pas mettre en pratique ce que le Maître vous a dit: de vous aider mutuellement et que les plus forts aident les plus faibles? Allons! Qui accompagne l'enfant à la maison? Il pourrait, que Dieu ne le veuille pas, trouver morte sa mère… Qu'au moins il la voie. Vous avez des ânes… Il fait nuit? Et quoi de plus beau que la nuit? Moi, j'ai travaillé pendant des lustres à la lueur des étoiles, et je suis sain et robuste. Tu le conduis à la maison? Dieu te bénisse, Ruben. Voici l'enfant. Le Maître t'a-t-il consolé? Oui. Alors va et sois heureux. Mais il faudra lui donner à manger. C'est peut-être depuis ce matin qu'il ne mange pas.”“Le Maître lui a donné du lait chaud, du pain et des fruits. Il les a dans sa tunicelle” dit Jean.“Alors, va avec cet homme. Il va te conduire à la maison avec l'âne.”Finalement les gens sont tous partis, et Pierre peut se reposer avec Jacques, Jude, l'autre Jacques et Thomas, qui l'ont aidé à renvoyer chez eux les plus obstinés.“Fermons. Pourvu qu'il n'y ait pas quelqu'un qui regrette et revienne sur ses pas, comme ces deux-là. Ouf! Mais le lendemain du sabbat est bien fatigant!” dit encore Pierre en entrant dans la cuisine et en fermant la porte. “Oh! maintenant, nous allons être tranquilles.” Il regarde Jésus qui est assis près de la table, sur laquelle il appuie son coude et de sa main il soutient sa tête, pensif, absorbé. Il va près de Lui, Lui met la main sur l'épaule et Lui dit: “Tu es fatigué, hein! Tant de gens! Ils viennent de tous les endroits malgré la saison.”“Ils semblent avoir peur de nous perdre bientôt” remarque André qui est en train d'éventrer des poissons. Les autres aussi s'emploient à faire du feu et à le préparer pour griller les poissons, ou à remuer des chicorées dans un chaudron qui bout. Leurs ombres se projettent sur les murs sombres, éclairés plutôt par le feu que par la lampe.Pierre cherche une tasse pour donner du lait à jésus qui semble très fatigué. Mais il ne trouve pas le lait et en demande aux autres la raison.“C'est l'enfant qui a bu le dernier lait que nous avions. Le reste a été donné à ce vieux mendiant et à la femme du mari infirme” explique Barthélemy.“Et le Maître est resté sans rien! Vous ne deviez pas tout donner.”“C'est Lui qui l'a voulu…”“Oh! Lui veut toujours ainsi, mais on ne doit pas le laisser faire. Lui donne ses vêtements, Lui donne son lait, il se donne Lui-même et se consume…” Pierre est mécontent.“Du calme, Pierre! Il vaut mieux donner que recevoir” dit Jésus tranquillement en sortant de son abstraction.“Oui! Et tu donnes, tu donnes et tu te consumes. Et plus tu te fais voir disposé à toutes les générosités et plus les hommes en profitent.” Et, tout en parlant, avec des feuilles rêches qui dégagent une odeur mélangée d'amandes amères et de chrysanthèmes, il frotte la table, la rend bien nette pour y déposer le pain, l'eau, et il met une coupe devant Jésus.Jésus se verse tout de suite à boire comme s'il avait grand soif. Pierre met une autre coupe de l'autre côté de la table près d'un plat qui contient des olives et des tiges de fenouil sauvage. Il ajoute le plateau de chicorées que Philippe a déjà assaisonnées et, avec ses compagnons, il apporte des tabourets très primitifs pour les ajouter aux quatre sièges qui sont dans la cuisine, qui ne suffisent pas pour treize personnes. André, qui a surveillé la cuisson du poisson grillé sur la braise, met le poisson sur un autre plat et va vers la table avec d'autres pains. Jean enlève la lampe de l'endroit où elle était et la place au milieu de la table.Jésus se lève alors que tous s'approchent de la table pour le souper et il prie à haute voix pour offrir le pain et puis il bénit la table. Il s'assoit, imité par les autres, et distribue le pain et les poissons,ou plutôt il dépose les poissons sur les tranches épaisses et larges de pain, en partie frais, en partie rassis, que chacun a placé devant soi. Puis les apôtres se servent de la chicorée avec la grande fourchette de bois qui sert à la piquer. Même pour les légumes, le pain sert de plat. Seul Jésus a devant Lui un plat de métal, large et en assez mauvais état, et il s'en sert pour partager le poisson, en donnant tantôt à l'un tantôt à l'autre un excellent morceau. On dirait un père parmi ses enfants, toujours père même si Nathanaël, Simon le Zélote et Philippe semblent un père pour Lui, tandis que Mathieu et Pierre peuvent paraître ses frères aînés.Ils mangent et parlent des événements du jour. Jean rit de bon cœur à cause de l'indignation de Pierre pour ce berger des monts de Galaad, qui prétendait que Jésus aille là-haut où était son troupeau pour le bénir et lui faire gagner beaucoup d'argent pour faire une dot à sa fille.“Il n'y a pas de quoi rire. Tant qu'il a dit: "J'ai des brebis malades et si elles meurent, je suis ruiné" j'ai eu pitié de lui. C'est comme si pour nous pêcheurs, la barque devenait vermoulue. On ne peutpêcher ni manger, et tout le monde a le droit de manger. Mais quand il a dit: "Et je les veux saines car je veux devenir riche et étonner le village avec la dot que je ferai à Esther et la maison que je me construirai", alors je suis devenu mauvais. Je lui ai dit: "Et c'est pour cela que tu as fait une si longue route? Tu ne penses qu'à la dot et à la richesse et à tes brebis? Tu n'as pas une âme?" Il m'a répondu: "Pour elle, j'ai le temps. Pour l'instant je me préoccupe davantage des brebis et des noces car c'est un bon parti pour Esther, et elle commence à vieillir". Alors, voilà, si ce n'était que je me rappelais que Jésus dit que l'on doit être miséricordieux avec tout le monde, il était frais! Je lui ai parlé vraiment entre tramontane et sirocco…”“Et il semblait que tu n'allais plus en finir. Tu ne prenais pas le temps de souffler. Les veines de ton cou s'étaient gonflées et tendues comme deux baguettes” dit Jacques de Zébédée.“Le berger était parti depuis un bon moment et toi, tu continuais de prêcher. Heureusement que tu dis que tu ne sais pas parler aux gens!” ajoute Thomas, et il l'embrasse en disant: “Pauvre Simon! Quelle grosse colère tu as prise”.“Mais n'avais-je pas raison, peut-être? Qu'est-il le Maître? Le faiseur de fortunes de tous les sots d'Israël? Le paranymphe des mariages d'autrui, peut-être?”“Ne te fâche pas, Simon. Le poisson va te faire mal si tu le manges avec ce poison” plaisante Mathieu, débonnaire.“Tu as raison. Je sens en tout la saveur qu'ont les banquets dans les maisons des pharisiens quand je mange mon pain avec crainte et la viande avec colère.”Tout le monde rit. Jésus sourit et se tait.Ils sont à la fin du repas. Repus de nourriture et contents de la chaleur, ils restent un peu somnolents autour de la table. Ils parlent moins aussi, quelques-uns sommeillent. Thomas s'amuse à dessiner avec son couteau une branche fleurie sur le bois de la table.Ils sont réveillés par la voix de Jésus qui desserrant les bras qu'il tenait croisés sur le bord de la table et présentant les mains comme fait le prêtre quand il dit: “Dominus vobiscum”, dit: “Et pourtant, il faut partir!”“Où, Maître? Chez l'homme aux brebis?” demande Pierre.“Non, Simon. Chez Lazare. Nous retournons en Judée.”“Maître, rappelle-toi que les juifs te haïssent!” s'écrie Pierre.“Ils voulaient te lapider, il n'y a pas si longtemps” dit Jacques d'Alphée.“Mais, Maître, c'est une imprudence!” s'écrie Mathieu.“Tu ne te soucies pas de nous?” demande l'Iscariote.“Oh! mon Maître et frère, je t'en conjure au nom de ta Mère, et au nom aussi de la Divinité qui est en Toi: ne permets pas que les satans mettent la main sur ta personne pour étouffer ta parole. Tu es seul, trop seul, contre tout un monde qui te hait et qui sur la Terre est puissant” dit le Thaddée.“Maître, protège ta vie! Qu'adviendrait-il de nous, de tous, si nous ne t'avions plus?” Jean, bouleversé, le regarde avec les yeux dilatés d'un enfant effrayé et affligé.Pierre, après sa première exclamation, s'est tourné pour parler avec animation avec les plus âgés et avec Thomas et Jacques de Zébédée. Ils sont tous de l'avis que Jésus ne doit pas retourner près de Jérusalem, au moins tant que le temps pascal ne rend pas plus sûr son séjour là-bas car, disent-ils, la présence d'un très grand nombre de fidèles du Maître, venus pour les fêtes pascales de tous les points de la Palestine, sera une défense pour le Maître. Personne de ceux qui le haïssent n'osera le toucher quand tout un peuple sera serré affectueusement autour de Lui… Et ils le Lui disent, avec angoisse, le Lui imposant presque… L'amour les fait parler.“Paix! Paix! La journée n'est-elle pas peut-être de douze heures? Si quelqu'un marche de jour, il ne trébuche pas car il voit la lumière de ce monde; mais s'il marche de nuit, il trébuche, car il n'y voit pas. Je sais ce que je me fais car j'ai la Lumière en Moi. Vous, laissez-vous guider par celui qui voit. Et puis sachez que tant que ce n'est pas l'heure des ténèbres, rien de ténébreux ne pourra arriver. Quand ensuite ce sera cette heure, aucun éloignement ni aucune force, même pas les armées de César, ne pourront me sauver des juifs. Car ce qui est écrit doit arriver et les forces du mal travaillent déjà en secret pour accomplir leur œuvre. Laissez-moi donc faire, et faire du bien tant que je suis libre de le faire. L'heure viendra où je ne pourrai remuer un doigt ni dire une parole pour opérer le miracle. Le monde sera vide de ma force. Heure redoutable de châtiment pour l'homme. Pas pour Moi. Pour l'homme qui n'aura pas voulu m'aimer. Heure qui se répétera, par la volonté de l'homme qui aura repoussé la Divinité jusqu'à faire de lui-même un sans Dieu, un disciple de Satan et de son fils maudit. Heure qui viendra quand sera proche la fin de ce monde. La non-foi devenue maîtresse souveraine rendra nulle ma puissance de miracle. Ce n'est pas que je puisse la perdre, mais c'est que le miracle ne peut être accordé là où il n'y a pas de foi ni de désir de l'obtenir, là où on ferait du miracle un objet de mépris et un instrument au service du mal, en se servant du bien obtenu pour faire un plus grand mal. Maintenant je puis encore faire le miracle, et le faire pour donner gloire à Dieu. Allons donc chez notre ami Lazare qui dort. Allons l'éveiller de ce sommeil afin qu'il soit frais et dispos pour servir son Maître.”“Mais, s'il dort, c'est bien. Il va finir de guérir. Le sommeil est déjà un remède. Pourquoi l'éveiller?” Lui fait-on remarquer.“Lazare est mort. J'ai attendu qu'il soit mort pour aller là-bas, pas à cause de ses sœurs ni de lui, mais à cause de vous pour que vous croyez, pour que votre foi grandisse. Allons chez Lazare.”“Bon. Allons-y! Nous mourrons comme il est mort et comme tu veux mourir” dit Thomas en fataliste résigné.“Thomas, Thomas, et vous tous qui intérieurement critiquez et grommelez, sachez que celui qui veut me suivre doit avoir pour sa vie le même souci qu'a l'oiseau pour la nuée qui passe. La laisser passer comme le vent l'entraîne. Le vent, c'est la volonté de Dieu qui peut vous donner ou vous enlever la vie comme il Lui plaît, sans que vous ayez à vous en plaindre, comme l'oiseau ne se plaint pas de la nuée qui passe, mais chante quand même, sûr qu'ensuite reviendra le beau temps. Car la nuée c'est l'incident. Le ciel c'est la réalité. Le ciel reste toujours bleu même si les nuées semblent le rendre gris. Il est et reste bleu au-delà des nuages. Il en est ainsi de la Vie véritable. Elle est et demeure, même si tombe la vie humaine. Celui qui veut me suivre ne doit pas connaître l'angoisse de la vie ni la peur pour sa vie. Je vous montrerai comment on conquiert le Ciel. Mais comment pourrez-vous m'imiter si vous avez peur de venir en Judée, vous à qui il ne sera rien fait de mal présentement? Avez-vous peur de vous montrer avec Moi? Vous êtes libres de m'abandonner. Mais si vous voulez rester, vous devez apprendre à défier le monde avec ses critiques, ses embûches, ses moqueries, ses tourments, pour conquérir mon Royaume. Allons donc tirer de la mort Lazare qui dort depuis deux jours au tombeau, puisqu'il est mort le soir qu'est venu ici le serviteur de Béthanie. Demain, à l'heure de sexte, quand j'aurai congédié ceux qui attendent demain pour avoir de Moi un réconfort et une récompense pour leur foi, nous partirons d'ici et passerons le fleuve. Nous passerons la nuit dans la maison de Nique puis, à l'aurore, nous partirons pour Béthanie en prenant la route qui passe par Ensémès. Nous serons à Béthanie avant sexte. Il y aura beaucoup de gens et les cœurs seront ébranlés. J'en ai fait la promesse et je la tiendrai…”“A qui, Seigneur?” demande Jacques d'Alphée presque craintif.“A ceux qui me haïssent et à ceux qui m'aiment, aux deux d'une manière absolue. Ne vous rappelez-vous pas la discussion à Cédès avec les scribes? Ils pouvaient encore me traiter de menteur parce que j'avais ressuscité une fillette qui venait de mourir et un mort d'un jour. Ils ont dit: "Tu n'as pas encore su refaire quelqu'un qui était décomposé". En effet, Dieu seul peut tirer un homme de la fange et de la pourriture refaire un corps intact et vivant. Eh bien, je vais le faire. À la lune de Casleu, sur les rives du Jourdain, j'ai rappelé Moi-même aux scribes ce défi et j'ai dit: "A la nouvelle lune, cela s'accomplira". Cela pour ceux qui me haïssent. Aux sœurs ensuite, qui m'aiment d'une manière absolue, j'ai promis de récompenser leur foi si elles avaient continué d'espérer au-delà de ce qui est croyable. Je les ai beaucoup éprouvées et beaucoup affligées, et Moi seul connais les souffrances de leurs cœurs en ces jours et leur parfait amour. En vérité je vous dis qu'elles méritent une grande récompense car, plus que de ne pas voir leur frère ressuscité, elles sont angoissées que je puisse être méprisé. Je vous paraissais absorbé, las et triste. J'étais près d'elles par mon esprit, j'entendais leurs gémissements et je comptais leurs larmes. Pauvres sœurs! Maintenant je brûle de ramener un juste sur la Terre, un frère dans les bras de ses sœurs, un disciple parmi mes disciples. Tu pleures, Simon? Oui. Toi et Moi, nous sommes les plus grands amis de Lazare, et dans tes pleurs il y a la douleur pour la douleur de Marthe et Marie et l'agonie de l'ami, mais il y a aussi déjà la joie de le savoir bientôt rendu à notre amour. Levons-nous pour préparer les sacs et aller nous reposer pour nous lever à l'aube et mettre tout en ordre ici où… il n'est pas sûr que nous reviendrons. Il faudra distribuer aux pauvres ce que nous avons et dire aux plus actifs d'empêcher les pèlerins de me chercher tant que je ne serai pas dans un autre lieu sûr. Il faudra encore leur dire de prévenir les disciples qu'ils me cherchent chez Lazare. Tant de choses à faire. Elles seront toutes faites avant que les pèlerins arrivent… Allons, éteignez le feu et allumez les lampes, et que chacun aille faire ce qui lui incombe et puis se reposer. Paix à vous tous.” Il se lève, les bénit et se retire dans sa petite pièce…“Il est mort depuis plusieurs jours!” dit le Zélote.“Cela c'est un miracle!” s'écrie Thomas.“Je veux voir ce qu'ils vont trouver ensuite pour douter!” dit André.“Mais quand le serviteur est-il venu?” demande Judas Iscariote.“Le soir d'avant le vendredi” répond Pierre.“Oui? Et pourquoi ne l'as-tu pas dit?” demande encore l'Iscariote.“Parce que le Maître m'avait dit de me taire” réplique Pierre.“Donc… quand nous arrivons là-bas… il sera depuis quatre jours au tombeau?”“Certainement! Le soir du vendredi un jour, le soir du sabbat deux jours, ce soir trois jours, demain quatre… Donc quatre jours et demi… Puissance éternelle! Mais il sera déjà en morceaux!” dit Mathieu.“Il sera déjà en morceaux… Je veux voir aussi cela et puis…”“Quoi, Simon Pierre?” demande Jacques d'Alphée.“Et puis si Israël ne se convertit pas, Jéovah Lui-même, au milieu des foudres, ne peut le convertir.”Ils s'en vont en parlant ainsi.
Jésus vient à Béthanie par Ensémès. Ils doivent avoir fait une marche vraiment fatigante par les sentiers casse-cou des monts Adamin. Les apôtres, essoufflés, ont du mal à suivre Jésus qui va rapidement, comme si l'amour l'emportait sur ses ailes de feu. Jésus sourit radieux alors qu'il marche en avant de tous, la tête droite sous les rayons tièdes du soleil de midi.Avant qu'ils arrivent aux premières maisons de Béthanie, les voit un jeune garçon déchaussé qui va vers la fontaine près du village avec un broc de cuivre vide. Il pousse un cri, met le broc par terre et s'en va en courant, de toute la vitesse de ses petites jambes, vers le village.“Certainement il va prévenir que tu arrives” observe Jude Thaddée après avoir souri comme tous de la résolution… énergique du jeune garçon qui a même abandonné son broc à la merci du premier passant.La petite ville, vue ainsi d'auprès de la fontaine, qui est un peu en haut, paraît tranquille, comme déserte. Seule la fumée grise qui s'élève des cheminées indique que dans les maisons les femmes sont occupées à préparer le repas de midi. Quelque grosse voix d'homme parmi les oliviers et les vergers vastes et silencieux avertit que les hommes sont au travail. Malgré cela Jésus préfère prendre un petit chemin qui passe en arrière du village pour pouvoir arriver chez Lazare sans attirer l'attention des habitants.Ils sont presque à moitié route quand ils entendent derrière eux le jeune garçon de tout à l'heure qui les dépasse en courant et puis s'arrête au milieu de la route pour, pensif, regarder Jésus…“Paix à toi, petit Marc, tu as eu peur de Moi que tu t'es enfui?” demande Jésus en le caressant.“Moi, non, Seigneur, je n'ai pas eu peur. Mais comme pendant plusieurs jours Marthe et Marie ont envoyé des serviteurs sur les routes qui viennent ici pour voir si tu venais, maintenant que je t'ai vu, je suis accouru pour dire que tu venais…”“Tu as bien fait. Les sœurs vont préparer leurs cœurs à me voir.”“Non, Seigneur. Les sœurs ne vont rien se préparer car elles ne savent rien. Ils n'ont pas voulu que je le dise. Ils m'ont pris quand j'ai dit, en entrant dans le jardin: "Il y a le Rabbi", et ils m'ont chassé dehors en disant: "Tu es un menteur ou un sot. Lui désormais ne vient plus car il est certain désormais qu'il ne peut pas faire le miracle". Et comme je disais que c'était bien Toi, ils m'ont donné deux gifles comme je n'en avais encore jamais reçues… Regarde ici mes joues rouges. Elles me brûlent! Et ils m'ont poussé dehors en disant: "Cela pour te purifier d'avoir regardé un démon". Et je te regardais pour voir si tu étais devenu un démon.Mais je ne le vois pas. Tu es toujours mon Jésus beau comme les anges dont parle maman.”Jésus se penche pour baiser ses petites joues souffletées en disant: “Ainsi va passer la démangeaison. Je suis peiné que tu aies souffert pour Moi…”“Moi, non, Seigneur, car ces gifles m'ont valu deux baisers de Toi” et il s'attache en en espérant d'autres.“Dis un peu, Marc, qui t'a chassé? Ceux de Lazare?” demande le Thaddée.“Non. Les juifs. Ils viennent pour le deuil tous les jours. Il y en a tant! Ils sont dans la maison et dans le jardin. Ils viennent tôt, et s'en vont tard. Ils semblent les maîtres. Ils maltraitent tout le monde. Tu vois qu'il n'y a personne dans les rues? Les premiers jours, on venait pourvoir… mais ensuite… Maintenant il n'y a que nous les enfants qui tourniquons pour… Oh! mon broc! Maman qui attend l'eau… Elle va me battre elle aussi!…”Tous sourient de sa désolation devant la perspective d'autres claques et Jésus lui dit: “Va vite alors…”“C'est que… je voulais entrer avec Toi et te voir faire le miracle…” et il termine. “… et voir leurs figures… pour me venger des gifles…”“Cela non. Tu ne dois pas désirer la vengeance. Tu dois être bon et pardonner… Mais ta mère attend l'eau…”“Moi, j'y vais, Maître. Je sais où habite Marc. J'expliquerai à la femme et je te rejoindrai…” dit Jacques de Zébédée. Et il s'en va en courant.Ils se remettent en marche lentement et Jésus tient par la main l'enfant ravi…Les voilà à la grille du jardin. Ils la suivent. De nombreuses montures y sont attachées, surveillées par les serviteurs de chaque propriétaire. Le chuchotement qui vient d'eux attire l'attention de quelques juifs qui se tournent vers le portail ouvert, juste au moment où Jésus pose le pied à la limite du jardin.“Le Maître!” disent les premiers qui le voient, et ce mot court comme le bruissement du vent d'un groupe à l'autre, se propage, s'en va, comme une vague venue de loin et qui se brise sur la rive, jusque contre les murs de la maison et y pénètre, apporté certainement par de nombreux juifs présents ou par quelques pharisiens, rabbi ou scribe ou sadducéen, répandus çà et là.Jésus y entre très lentement alors que tous, tout en accourant de tous côtés, s'écartent du sentier où il marche. Et comme personne ne le salue, Lui ne salue personne comme s'il ne connaissait même pas un grand nombre de ceux qui sont rassemblés là pour le regarder la colère et la haine dans les yeux, sauf un petit nombre qui sont secrètement ses disciples ou qui du moins ont le cœur droit et qui, s'ils ne l'aiment pas comme disciples, le respectent comme juste. De ce nombre sont Joseph, Nicodème, Jean, Eléazar, un autre Jean scribe, vu à la multiplication des pains, et encore un autre Jean, qui rassasia les gens à la descente de la montagne des béatitudes, Gamaliel avec son fils, Josué, Joachim, Manaën, le scribe Joël d'Abia, rencontré au Jourdain dans l'épisode de Sabéa, Joseph Barnabé disciple de Gamaliel, Chouza qui regarde Jésus de loin, un peu intimidé de le revoir après sa méprise, ou peut-être retenu par le respect humain et n'osant pas s'avancer comme ami. Il est certain qu'il n'est salué ni par les amis, ni par ceux qui l'observent sans rancœur, ni par ses ennemis, et Jésus ne salue pas. Il a seulement fait une vague inclination en mettant le pied dans l'allée. Puis il a continué tout droit comme s'il était étranger à la foule nombreuse qui l'entoure. Le jeune garçon marche toujours à son côté, dans ses vêtements de petit paysan, avec ses pieds nus d'enfant pauvre, mais le visage lumineux de quelqu'un qui est en fête, avec ses petits yeux noirs, vifs, bien ouverts pour tout voir… et pour défier tout le monde…Marthe sort de la maison au milieu d'un groupe de juifs venus pour rendre visite et parmi lesquels se trouvent Elchias et Sadoc. De sa main elle protège ses yeux las de pleurer, gênés par la lumière, pour voir où est Jésus. Elle le voit. Elle se détache de ceux qui l'accompagnent et court vers Jésus à quelques pas du bassin rendu tout brillant par les rayons du soleil. Elle se jette aux pieds de Jésus après s'être inclinée et elle les baise et, en éclatant en sanglots, elle dit: “Paix à Toi, Maître!”Jésus aussi, dès qu'il l'a vue près de Lui, lui a dit: “Paix à toi!” et il a levé la main pour la bénir, en laissant aller celle de l'enfant que Barthélemy a prise tout en l'attirant un peu en arrière.Marthe poursuit: “Mais il n'y a plus de paix pour ta servante.” Elle lève son visage vers Jésus en restant encore à genoux. Et dans un cri de douleur que l'on entend bien dans le silence qui s'est fait elle s'écrie: “Lazare est mort! Si tu avais été là il ne serait pas mort. Pourquoi n'es-tu pas venu plus tôt, Maître?” Elle a un ton involontaire de reproche en posant cette question. Puis elle revient au ton accablé de quelqu'un qui n'a plus la force de faire des reproches et dont l'unique réconfort est de rappeler les dernières actions et les derniers désirs d'un parent auquel on a cherché à donner ce qu'il désirait et pour qui on n'a pas de remords dans le cœur: “Il t'a tant appelé, Lazare, notre frère!… Maintenant, tu vois! Je suis désolée et Marie pleure sans pouvoir se donner la paix. Et lui n'est plus ici. Tu sais si nous l'aimions! Nous espérions tout de Toi!…”Un murmure de compassion pour la femme et de reproche à l'adresse de Jésus, un assentiment à la pensée sous-entendue: “et tu pouvais nous exaucer car nous. le méritions à cause de l'amour que nous avons pour Toi, et Toi, au contraire, tu nous as déçues” court de groupe en groupe parmi des hochements de tête ou des regards moqueurs. Seuls quelques secrets disciples, disséminés dans la foule ont des regards de compassion pour Jésus qui écoute, très pâle et affligé, la femme désolée qui Lui parle. Gamaliel, les bras croisés dans son ample et riche vêtement de laine très fine, orné de nœuds bleus, un peu à part dans le groupe de jeunes où se trouve son fils et Joseph Barnabé, regarde fixement Jésus, sans haine et sans amour.Marthe, après s'être essuyée le visage, recommence à parler: “Mais même maintenant j'espère car je sais que tout ce que tu demanderas à ton Père, te sera accordé.” Une douloureuse, héroïque profession de foi, dite d'une voix que les larmes font trembler, avec un regard qui tremble d'angoisse, avec l'ultime espérance qui lui tremble dans le cœur.“Ton frère ressuscitera. Lève-toi, Marthe.”Marthe se lève tout en restant courbée en vénération devant Jésus auquel elle répond: “Je le sais, Maître. Il ressuscitera au dernier jour.”“Je suis la Résurrection et la Vie. Quiconque croit en Moi, même s'il est mort, vivra. Et celui qui croit et vit en Moi ne mourra pas éternellement. Crois-tu tout cela?” Jésus, qui d'abord avait parlé d'une voix plutôt basse uniquement à Marthe, élève la voix pour dire ces phrases où il proclame sa puissance de Dieu, et son timbre parfait résonne comme une trompette d'or dans le vaste jardin. Un frémissement presque d'épouvante secoue l'assistance. Mais ensuite certains raillent en secouant la tête.Marthe, à laquelle Jésus semble vouloir transfuser une espérance de plus en plus forte en tenant la main appuyée sur son épaule, lève son visage qu'elle gardait penché. Elle le lève vers Jésus, en fixant ses yeux affligés dans les lumineuses pupilles du Christ et serrant ses mains sur sa poitrine, elle répond avec une angoisse différente: “Oui, Seigneur. Je crois cela. Je crois que tu es le Christ, le Fils du Dieu Vivant, venu dans le monde. Et que tu peux tout ce que tu veux. Je crois. Maintenant, je vais prévenir Marie” et elle s'éloigne rapidement en disparaissant dans la maison.Jésus reste où il était, ou plutôt il fait quelques pas en avant et s'approche du parterre qui entoure le bassin. Le parterre est tout éclairé de ce côté par la fine poussière du jet d'eau qu'un vent léger pousse de ce côté comme un plumet d'argent, et il paraît se perdre, Jésus, dans la contemplation du frétillement des poissons sous le voile de l'eau limpide, dans leurs jeux qui mettent des virgules d'argent et des reflets d'or dans le cristal des eaux frappées par le soleil.Les juifs l'observent. Ils se sont involontairement séparés en groupes bien distincts. D'un côté, en face de Jésus, tous ceux qui Lui sont hostiles, habituellement divisés entre eux par esprit sectaire, maintenant d'accord pour s'opposer à Jésus. À côté de Lui, derrière les apôtres, auxquels s'est réuni Jacques de Zébédée, Joseph, Nicodème et les autres d'esprit bienveillant. Plus loin, Gamaliel, toujours à sa place et avec la même attitude, est seul, car son fils et ses disciples se sont séparés de lui pour se répartir entre les deux groupes principaux pour être plus près de Jésus.Avec son cri habituel: “Rabboni!” Marie sort de la maison en courant, les bras tendus vers Jésus. Elle se jette à ses pieds qu'elle baise en sanglotant. Divers juifs, qui étaient dans la maison avec elle et qui l'ont suivie, unissent à ses pleurs leurs pleurs d'une sincérité douteuse. Maximin aussi, Marcelle, Sara, Noémi ont suivi Marie ainsi que tous ses serviteurs et de fortes lamentations s'élèvent. Je crois que dans la maison il n'est resté personne. Marthe, en voyant pleurer ainsi Marie, redouble elle aussi ses pleurs.“Paix à toi, Marie. Lève-toi! Regarde-moi! Pourquoi ces pleurs semblables à ceux des gens qui n'ont pas d'espérance?” Jésus se penche pour dire doucement ces paroles, ses yeux dans les yeux de Marie qui, restant à genoux, reposant sur ses talons, tend vers Lui ses mains dans un geste d'invocation et ne peut parler tant elle sanglote: “Ne t'ai-je pas dit d'espérer au-delà de ce qui est croyable pour voir la gloire de Dieu? Est-ce que par hasard ton Maître est changé pour que tu aies raison d'être ainsi angoissée?”Mais Marie ne recueille pas les mots qui veulent déjà la préparer à une joie trop forte après tant d'angoisse, et elle crie, finalement maîtresse de sa voix: “Oh! Seigneur! Pourquoi n'es-tu pas venu plus tôt? Pourquoi t'es-tu tellement éloigné de nous? Tu le savais que Lazare était malade! Si tu avais été ici, il ne serait pas mort, mon frère. Pourquoi n'es-tu pas venu? Je devais lui montrer encore que je l'aimais. Il devait vivre. Je devais lui montrer que je persévérais dans le bien. Je l'ai tant angoissé, mon frère! Et maintenant! Maintenant que je pouvais le rendre heureux, il m'a été enlevé! Tu pouvais me le laisser, donner à la pauvre Marie la joie de le consoler après lui avoir donné tant de douleur. Oh! Jésus! Jésus! Mon Maître! Mon Sauveur! Mon espérance!” et elle s'abat de nouveau, le front sur les pieds de Jésus qui se trouvent de nouveau lavés par les pleurs de Marie, et elle gémit: “Pourquoi as-tu fait cela, ô Seigneur?! Même à cause de ceux qui te haïssent et se réjouissent de ce qui arrive… Pourquoi as-tu fait cela, Jésus?!” Mais il n'y a pas de reproche dans le ton de la voix de Marie comme dans celui de Marthe, il y a seulement l'angoisse de quelqu'une, qui outre sa douleur de sœur, a aussi celle d'une disciple qui sent amoindrie dans le cœur d'un grand nombre l'opinion de son Maître.Jésus, très penché pour entendre ces paroles qu'elle murmure la face contre terre, se redresse et dit à haute voix: “Marie, ne pleure pas! Ton Maître aussi souffre de la mort de l'ami fidèle… car il a dû le laisser mourir…”Oh! quelles railleries et quels regards de joie livide il y a sur les visages des ennemis du Christ! Ils le voient vaincu, et s'en réjouissent, alors que les amis deviennent de plus en plus tristes.Jésus dit encore plus fort: “Mais, je te le dis: ne pleure pas. Lève-toi! Regarde-moi! Crois-tu que Moi qui t'ai tant aimée j'ai fait cela sans motif? Peux-tu croire que je t'ai donné cette douleur inutilement? Viens. Allons vers Lazare. Où l'avez-vous mis?”Jésus, plutôt que Marie et Marthe, qui ne parlent pas prises comme elles le sont par des pleurs plus forts, interroge tous les autres, surtout ceux qui, sortis avec Marie de la maison, semblent les plus troublés. Ce sont peut-être des parents plus âgés, je ne sais pas. Et ceux-ci répondent à Jésus, visiblement affligé: “Viens et vois” et ils se dirigent vers l'endroit où se trouve le tombeau à l'extrémité du verger, là où le sol a des ondulations et des veines de roche calcaire qui affleurent à la surface du sol.Marthe, à côté de Jésus qui a forcé Marie à se lever et il la conduit, car elle est aveuglée par ses larmes, montre de la main à Jésus où se trouve Lazare et quand ils sont près de l'endroit elle dit aussi: “C'est ici, Maître, que ton ami est enseveli” et elle indique la pierre posée obliquement à l'entrée du tombeau.Jésus pour s'y rendre, suivi de tout le monde, a dû passer devant Gamaliel. Mais ils ne se sont pas salués. Ensuite Gamaliel s'est uni aux autres en s'arrêtant comme tous les pharisiens les plus rigides à quelques mètres du tombeau, alors que Jésus s'avance tout près avec les sœurs, Maximin et ceux qui sont peut-être des parents. Jésus contemple la lourde pierre qui sert de porte au tombeau et forme un lourd obstacle entre Lui et l'ami éteint, et il pleure. Les larmes des sœurs redoublent et de même celles des intimes et familiers.“Enlevez cette pierre” crie Jésus tout d'un coup, après avoir essuyé ses larmes.Tous ont un geste d'étonnement et un murmure court dans le rassemblement qui a grossi de quelques habitants de Béthanie qui sont entrés dans le jardin et se sont mis à la suite des hôtes. Je vois certains pharisiens qui se touchent le front en secouant la tête comme pour dire: “Il est fou!”Personne n'exécute l'ordre. Même chez les plus fidèles, on éprouve de l'hésitation, de la répugnance à le faire.Jésus répète plus fort son ordre, effrayant encore davantage les gens pris par deux sentiments opposés et qui, après avoir pensé à fuir, s'approchent tout à coup davantage pour voir, défiant la puanteur toute proche du tombeau que Jésus veut faire ouvrir.“Maître, ce n'est pas possible” dit Marthe en s'efforçant de retenir ses pleurs pour parler: “Il y a déjà quatre jours qu'il est là dessous. Et tu sais de quel mal il est mort! Seul notre amour pouvait le soigner… Maintenant la puanteur est certainement plus forte malgré les onguents… Que veux-tu voir? Sa pourriture?… On ne peut pas… même à cause de l'impureté de la corruption et…”“Ne t'ai-je pas dit que si tu crois tu verras la gloire de Dieu? Enlevez cette pierre, je le veux!”C'est un cri de volonté divine… Un “oh!” étouffé sort de toutes les poitrines. Les visages deviennent blêmes, certains tremblent comme s'il était passé sur tous un vent glacial de mort.Marthe fait un signe à Maximin et celui-ci ordonne aux serviteurs de prendre les outils pouvant servir à remuer la lourde pierre.Les serviteurs s'en vont rapidement pour revenir avec des pics et des leviers robustes. Ils travaillent en faisant entrer la pointe brillante des pics entre la roche et la pierre, et ensuite ils remplacent les pics par des leviers robustes et enfin ils soulèvent avec attention la pierre en la faisant glisser d'un côté et en la traînant ensuite avec précaution contre la paroi rocheuse. Une puanteur infecte sort du sombre trou et fait reculer tout le monde.Marthe demande tout bas: “Maître, tu veux y descendre? Si oui, il faut des torches…” mais elle est livide à la pensée qu'il doit le faire.Jésus ne lui répond pas. Il lève les yeux vers le ciel, met ses bras en croix et prie d'une voix très forte, en scandant les mots: “Père! Je te remercie de m'avoir exaucé. Je le savais que Tu m'exauces toujours, mais je le dis pour ceux qui sont présents ici, pour le peuple qui m'entoure, pour qu'ils croient en Toi, en Moi, et que Tu m'as envoyé!”Il reste encore ainsi un moment et il semble ravi en extase tellement il est transfiguré alors que, sans plus émettre aucun son, il dit des paroles secrètes de prière ou d'adoration, je ne sais. Ce que je sais, c'est qu'il a tellement outrepassé l'humain, qu'on ne peut le regarder sans se sentir le cœur trembler dans la poitrine. Il semble devenir lumière en perdant son aspect corporel, se spiritualiser, grandir et même s'élever de terre. Tout en gardant la couleur de ses cheveux, de ses yeux, de sa peau, de ses vêtements, au contraire de ce qui se passa à la transfiguration du Thabor durant laquelle tout devint lumière et éclat éblouissant, il paraît dégager de la lumière et que tout ce qui est de Lui devient lumière. La lumière semble l'entourer d'un halo, en particulier son visage levé vers le ciel, certainement ravi dans la contemplation du Père.Il reste ainsi quelque temps, puis redevient Lui: l'Homme, mais d'une majesté puissante. Il s'avance jusqu'au seuil du tombeau. Il déplace ses bras - que jusqu'à ce moment il avait gardés ouverts en croix, les paumes tournées vers le ciel - en avant, les paumes vers la terre, et par conséquent les mains se trouvent déjà à l'intérieur du tunnel du tombeau, toutes blanches dans ce tunnel obscur. Il plonge le feu bleu de ses yeux, dont l'éclat miraculeux est aujourd'hui insoutenable, dans cette obscurité muette, et d'une voix puissante, avec un cri plus fort que celui par lequel il commanda sur le lac aux vents de tomber, d'une voix que je ne Lui ai jamais entendue dans aucun miracle, il crie: “Lazare! Viens dehors!” L'écho répercute sa voix dans la cavité du tombeau et se répand ensuite à travers tout le jardin, se répercute contre les ondulations du terrain de Béthanie, je crois qu'il s'en va jusqu'aux premiers escarpements au-delà des champs et revient de là, répété et amorti, comme un ordre qui ne peut faillir. Il est certain que de tous les côtés, on entend à nouveau: “dehors! dehors! dehors!”Tous éprouvent un frisson plus intense, et si la curiosité les cloue tous à leurs places, les visages pâlissent et les yeux s'écarquillent alors que les bouches s'entrouvrent involontairement avec déjà dans la gorge le cri de stupeur.Marthe, un peu en arrière et de côté, est comme fascinée en regardant Jésus. Marie tombe à genoux, elle qui ne s'est jamais écartée de son Maître, elle tombe à genoux au bord du tombeau, une main sur sa poitrine pour calmer les palpitations de son cœur, l'autre qui inconsciemment et convulsivement tient un pan du manteau de Jésus, et on se rend compte qu'elle tremble car le manteau a de légères secousses imprimées par la main qui le tient.Quelque chose de blanc semble émerger du plus profond du souterrain. C'est d'abord une petite ligne convexe, puis elle fait place à une forme ovale, puis à l'ovale se substituent des lignes plus amples, plus longues, de plus en plus longues. Et celui qui était mort, serré dans ses bandes, avance lentement, toujours plus visible, fantomatique, impressionnant.Jésus recule, recule, insensiblement, mais continuellement à mesure que Lazare avance. La distance entre les deux reste donc la même.Marie est contrainte de lâcher le pan du manteau, mais elle ne bouge pas de l'endroit où elle est. La joie, l'émotion, tout, la cloue à l'endroit où elle était.Un “oh!” de plus en plus net sort des gorges d'abord fermées par la douleur de l'attente. C'est d'abord un murmure à peine distinct qui se change en voix, et la voix devient un cri puissant.Lazare est désormais au bord du tombeau et il s'arrête là, raide, muet, semblable à une statue de plâtre à peine ébauchée et donc informe, une longue chose, mince à la tête, mince aux jambes, plus large au tronc, macabre comme la mort elle-même, spectrale, dans la blancheur des bandes contre le fond sombre du tombeau. Au soleil qui l'enveloppe, les bandes paraissent çà et là laisser couler la pourriture…Jésus crie d'une voix forte: “Débarrassez-le et laissez-le aller. Donnez-lui des vêtements et de la nourriture.”“Maître!…” dit Marthe, et elle voudrait peut-être en dire davantage, mais Jésus la regarde fixement, la subjuguant de son regard étincelant, et il dit: “Ici! Tout de suite! Tout de suite, apportez un vêtement. Habillez-le en présence de tout le monde et donnez-lui à manger.” Il commande et ne se retourne jamais pour regarder ceux qui sont derrière et autour de Lui. Son œil regarde seulement Lazare, Marie qui est près du ressuscité sans souci de la répulsion que donnent à tous les bandes souillées, et Marthe qui halète comme si son cœur allait éclater et qui ne sait si elle doit crier sa joie ou pleurer…Les serviteurs se hâtent d'exécuter les ordres. Noémi s'en va en courant la première et la première revient avec les vêtements qu'elle tient pliés sur son bras. Quelques-uns délient les lacets des bandelettes après avoir retroussé leurs manches et relevé leurs vêtements pour qu'ils ne touchent pas la pourriture qui coule. Marcelle et Sara reviennent avec des amphores de parfums, suivies de serviteurs les uns avec des bassins et des brocs fumants d'eau chaude, les autres avec des plateaux, des bols pleins de lait, du vin, des fruits, des fouaces recouvertes de miel.Les bandelettes étroites et très longues, de lin, me semble-t-il, avec des lisières des deux côtés, certainement tissées pour cet usage, se déroulent comme des rouleaux de ganse d'une grande bobine et s'entassent sur le sol, alourdies par les aromates et la pourriture. Les serviteurs les écartent en se servant de bâtons. Ils ont commencé par la tête, et là aussi il y a la pourriture qui s'est écoulée du nez, des oreilles, de la bouche. Le suaire placé sur le visage est tout trempé de ces souillures et le visage de Lazare que l'on voit très pâle, squelettique, avec les yeux tenus fermés par des pommades mises dans les orbites, avec les cheveux collés et de même la barbiche du menton, en est tout souillé. Le drap descend lentement, le suaire mis autour du corps, à mesure que les bandelettes descendent, descendent, descendent, libérant le tronc qu'elles avaient comprimé pendant de nombreux jours, et rendant une forme humaine à ce qu'elles avaient d'abord rendu semblable à une grande chrysalide. Les épaules osseuses, les bras squelettiques, les côtes à peine couvertes de peau, le ventre creusé, apparaissent lentement. À mesure que les bandes tombent, les sœurs, Maximin, les serviteurs, s'empressent d'enlever la première couche de crasse et de baume, et s'y appliquent en changeant continuellement l'eau rendue détergente par les aromates qu'on y a mis jusqu'à ce que la peau apparaisse nette.Lorsqu'on a dégagé le visage de Lazare et qu'il peut regarder, il dirige son regard vers Jésus avant même de regarder ses sœurs. Il oublie tout et s'abstrait de tout ce qui arrive pour regarder, avec un sourire d'amour sur ses lèvres pâles et une larme lumineuse au fond des yeux, son Jésus. Jésus aussi lui sourit et a une lueur de larme dans le coin de l'œil, mais sans parler il dirige le regard de Lazare vers le ciel. Lazare comprend et remue les lèvres dans une prière silencieuse.Marthe croit qu'il veut dire quelque chose sans avoir encore de voix et elle demande: “Que me dis-tu, mon Lazare?”“Rien, Marthe. Je remerciais le Très-Haut.” La prononciation est assurée, la voix forte.Les gens poussent de nouveau un “oh!” étonné.Désormais ils l'ont dégagé jusqu'aux hanches, libéré et propre, et ils peuvent le revêtir de la tunique courte, une sorte de chemisette qui dépasse l'aine pour retomber sur les cuisses.On le fait asseoir pour dégager ses jambes et les laver. Quand elles apparaissent, Marthe à Marie poussent un grand cri en montrant les jambes et les bandelettes. Sur les bandelettes qui serraient les jambes, et sur le suaire posé par dessous, les écoulements purulents sont si abondants qu'ils forment des grosses gouttes sur les toiles, mais les jambes visiblement sont tout à fait cicatrisées. Seules les cicatrices rouges-bleuâtres indiquent où elles étaient gangrenées.Tous les gens crient plus fort leur étonnement. Jésus sourit et aussi Lazare qui regarde un instant ses jambes guéries, puis s'abstrait de nouveau pour regarder Jésus. Il semble ne pouvoir se rassasier de le voir. Les juifs, pharisiens, sadducéens, scribes, rabbis, s'approchent avec précaution pour ne pas souiller leurs vêtements. Ils regardent de tout près Lazare, ils regardent de tout près Jésus. Mais ni Lazare ni Jésus ne s'occupent d'eux: ils se regardent et tout le reste est inexistant.Voilà que l'on met les sandales à Lazare. Il se lève, agile, sûr de lui. Il prend le vêtement que Marthe lui présente et l'enfile tout seul, lie sa ceinture, ajuste les plis. Le voilà, maigre et pâle, mais semblable à tout le monde. Il se lave encore les mains et les bras jusqu'aux coudes après avoir retroussé ses manches. Et puis avec une nouvelle eau il se lave de nouveau le visage et la tête, jusqu'à ce qu'il se sente tout à fait net. Il essuie ses cheveux et son visage, rend la serviette au serviteur et va tout droit vers Jésus. Il se prosterne, Lui baise les pieds.Jésus se penche, le relève, le serre contre son cœur en lui disant: “Bien revenu, mon ami. Que la paix soit avec toi et la joie. Vis pour accomplir ton heureuse destinée. Lève ton visage pour que je te donne le baiser de salutation.” Il dépose un baiser sur les joues et Lazare Lui rend son baiser.C'est seulement après avoir vénéré et embrassé le Maître que Lazare parle à ses sœurs et les embrasse, puis il embrasse Maximin et Noémi qui pleurent de joie, et certains autres dont je crois qu'ils lui sont apparentés ou amis très intimes. Puis il embrasse Joseph, Nicodème, Simon le Zélote et quelques autres.Jésus va personnellement trouver un serviteur qui a sur les bras un plateau avec de la nourriture et il prend une fouace avec du miel, une pomme, une coupe de vin et il offre le tout à Lazare, après les avoir offerts et bénits, pour qu'il se restaure. Et Lazare mange avec l'appétit de quelqu'un qui se porte bien. Tout le monde pousse encore un “oh!” d'étonnement.Jésus semble ne voir que Lazare, mais en réalité il observe tout et tout le monde. Voyant qu'avec des gestes de colère Sadoc avec Elchias, Canania, Félix, Doras et Cornelius et d'autres sont sur le point de s'éloigner, il dit à haute voix: “Attends un moment, Sadoc. J'ai un mot à te dire, à toi et aux tiens.”Ils s'arrêtent avec une figure de criminels.Joseph d'Arimathie fait un geste effaré et fait signe au Zélote de retenir Jésus. Mais Lui est déjà en train d'aller vers le groupe haineux, et il dit à haute voix: “Est-ce que cela te suffit, Sadoc, ce que tu as vu? Tu m'as dit un jour que pour croire tu avais besoin, toi et tes pareils, de voir recomposé, en bonne santé, un homme décomposé. Es-tu rassasié de la putréfaction que tu as vue? Es-tu capable de reconnaître que Lazare était mort et que maintenant il est vivant et sain comme il ne l'était pas depuis des années? Je le sais. Vous êtes venus ici pour les tenter, pour mettre en eux plus de douleur et le doute. Vous êtes venus ici pour me chercher, espérant me trouver caché dans la pièce du mourant. Vous êtes venus ici, non par un sentiment d'amour et le désir d'honorer celui qui s'était éteint mais pour vous assurer que Lazare était réellement mort, et vous avez continué de venir, vous réjouissant toujours plus à mesure que le temps passait. Si les choses étaient allées comme vous l'espériez, comme désormais vous croyiez qu'elles iraient, vous auriez eu raison de vous réjouir. L'Ami qui guérit tout le monde, mais ne guérit pas l'ami. Le Maître qui récompense la foi de tout le monde, mais pas celle de ses amis de Béthanie. Le Messie impuissant devant la réalité de la mort. Voilà ce qui vous donnait raison de vous réjouir. Mais voilà: Dieu vous a répondu. Nul prophète n'a jamais pu rassembler ce qui était décomposé, en plus que mort. Dieu l'a fait. Voilà le témoignage vivant de ce que je suis. Il y eut un jour où Dieu prit de la boue, lui donna une forme et y insuffla l'esprit de vie et ce fut l'homme. J'y étais pour dire: "Que l'on fasse l'homme à notre image et à notre ressemblance", car je suis le Verbe du Père. Aujourd'hui, Moi, le Verbe, j'ai dit à ce qui était encore moins que de la boue: à la corruption: "Vis" et la corruption s'est faite de nouveau chair, une chair intègre, vivante, palpitante. La voici qui vous regarde. Et à la chair j'ai réuni l'esprit qui gisait depuis des jours dans le sein d'Abraham. Je l'ai rappelé par ma volonté car je puis tout, Moi, le Vivant, Moi, le Roi des rois auquel sont soumises toutes les créatures et toutes les choses. Maintenant, que me répondez-vous?”Il est devant eux, grand, fulgurant de majesté, vraiment Juge et Dieu. Ils ne répondent pas.Lui insiste: “Ce n'est pas encore assez pour croire, pour accepter l'inéluctable?”“Tu n'as tenu qu'une partie de la promesse. Ce n'est pas le signe de Jonas…” dit brutalement Sadoc.“Vous aurez aussi celui-là. J'ai promis et je tiendrai ma promesse” dit le Seigneur. “Un autre présent ici, attend un autre signe, et il l'aura. Et comme c'est un juste, il l'acceptera. Vous non. Vous resterez ce que vous êtes.”Il fait un demi-tour sur Lui-même et il voit Simon, le synhédriste, fils d'Éli-Anna. Il le fixe, le fixe. Il laisse de côté ceux de tout à l'heure et, arrivé en face de lui, il lui dit, à voix basse mais nette: “C'est heureux pour toi que Lazare ne se rappelle pas son séjour parmi les morts! Qu'as-tu fait de ton père, Caïn?”Simon s'enfuit en poussant un cri de peur qui se change en un hurlement de malédiction: “Sois maudit, Nazaréen!” à laquelle Jésus répond: “Ta malédiction monte vers le Ciel et du Ciel le Très-Haut te la renvoie. Tu es marqué du signe, ô malheureux!”Il revient en arrière, parmi les groupes étonnés, presque effrayés. Il rencontre Gamaliel qui se dirige vers la route. Il le regarde et Gamaliel le regarde. Jésus lui dit sans s'arrêter: “Tiens-toi prêt, ô rabbi. Le signe viendra bientôt. Je ne mens jamais.”Le jardin se vide lentement. Les juifs sont abasourdis, mais la plupart giclent de la colère par tous leurs pores. Si leurs regards pouvaient le réduire en cendres, Jésus serait complètement pulvérisé. Ils parlent, discutent entre eux en s'en allant, si bouleversés maintenant par leur défaite qui ne peuvent plus cacher sous une apparence hypocrite d'amitié le but de leur présence à cet endroit. Ils s'en vont sans saluer ni Lazare ni ses sœurs.Il reste en arrière certains qui ont été conquis au Seigneur par le miracle. Parmi eux se trouve Joseph Barnabé qui se jette à genoux devant Jésus et l'adore. Un autre est le scribe Joël d'Abia qui fait la même chose avant de partir à son tour, et d'autres encore que je ne connais pas mais qui doivent être influents. Pendant ce temps, Lazare, entouré de ses plus intimes, s'est retiré dans la maison. Joseph, Nicodème et les autres bons saluent Jésus et s'en vont. Partent avec de profondes salutations les juifs qui étaient restés auprès de Marthe et Marie. Les serviteurs ferment la grille. La maison redevient tranquille.Jésus regarde autour de Lui. Il voit de la fumée et des flammes au fond du jardin, dans la direction du tombeau. Jésus, seul, debout au milieu d'un sentier, dit: “La putréfaction qui va être annulée par le feu… La putréfaction de la mort… Mais celle des cœurs… de ces cœurs, aucun feu ne l'annulera… Pas même le feu de l'Enfer. Elle sera éternelle… Quelle horreur!… Plus que la mort… Plus que la corruption… Et… Mais qui te sauvera, ô Humanité, si tu aimes tant d'être corrompue! Tu veux être corrompue. Et Moi… Moi j'ai arraché au tombeau un homme par une seule parole… Et avec un flot de paroles… et de douleurs, je ne pourrai arracher au péché l'homme, les hommes, des millions d'hommes.” Il s'assoit et avec ses mains se couvre le visage, accablé…Un serviteur qui passe le voit. Il va à la maison. Peu après Marie sort de la maison. Elle va trouver Jésus, légère comme si elle ne touchait pas le sol. Elle s'approche, Lui dit doucement: “Rabboni, tu es las… Viens, ô mon Seigneur. Tes apôtres fatigués sont allés dans l'autre maison, tous, sauf Simon le Zélote… Tu pleures, Maître? Pourquoi?…”Elle s'agenouille aux pieds de Jésus… l'observe… Jésus la regarde. Il ne répond pas. Il se lève et se dirige vers la maison, suivi de Marie.Ils entrent dans une salle. Lazare n'y est pas, ni non plus le Zélote, mais il y a Marthe, heureuse, transfigurée par la joie. Elle s'adresse à Jésus pour expliquer: “Lazare est allé au bain pour se purifier encore. Oh! Maître! Maître! Que te dire!” Elle l'adore de toute elle-même. Elle remarque la tristesse de Jésus et elle dit: “Tu es triste, Seigneur? Tu n'es pas heureux que Lazare…” Il lui vient un soupçon: “Oh! Tu es réservé avec moi. J'ai péché. C'est vrai.”“Nous avons péché, ma sœur” dit Marie.“Non, pas toi… Oh! Maître. Marie n'a pas péché. Marie a su obéir, moi seule ai désobéi. Je t'ai envoyé appeler, parce que… parce que je ne pouvais plus les entendre insinuer que tu n'étais pas le Messie, le Seigneur… et je pouvais plus le voir souffrir… Lazare te désirait tant. Il t'appelait tant… Pardonne-moi, Jésus.”“Et toi, tu ne parles pas, Marie?” demande Jésus.“Maître… moi… Je n'ai souffert alors que comme femme. Je souffrais parce que… Marthe, jure, jure ici, devant le Maître que jamais, jamais tu ne parleras à Lazare de son délire… Mon Maître… je t'ai connu tout à fait, ô Divine Miséricorde, dans les dernières heures de Lazare. Oh! mon Dieu! Mais comme tu m'as aimée, Toi, Toi qui m'as pardonnée, Toi, Dieu, Toi, Pur, Toi… si mon frère, qui pourtant m'aime, mais qui est homme, seulement homme, au fond de son cœur ne m'a pas tout pardonné?! Non, je m'exprime mal. Il n'a pas oublié mon passé et quand la faiblesse de la mort a émoussé en lui sa bonté que je croyais oublieuse du passé, il a crié sa douleur, son indignation pour moi… Oh!…” Marie pleure…“Ne pleure pas, Marie. Dieu t'a pardonnée et a oublié. L'âme de Lazare aussi a pardonné et a oublié, a voulu oublier. L'homme n'a pas pu tout oublier, et quand la chair a dominé par son dernier spasme la volonté affaiblie, l'homme a parlé.”“Je n'en éprouve pas d'indignation, Seigneur. Cela m'a servi à t'aimer davantage et à aimer encore plus Lazare. Dès lors moi aussi je t'ai désiré, car j'étais trop angoissée de penser que Lazare était mort sans paix à cause de moi… et ensuite, ensuite, quand je t'ai vu méprisé par les juifs… quand j'ai vu que tu ne venais pas même après la mort, pas même après que je t'avais obéi en espérant au-delà de ce qui est croyable, en espérant jusqu'à ce que le tombeau s'ouvre, alors mon esprit aussi a souffert. Seigneur, si j'avais à expier, et certainement je l'avais, j'ai expié, Seigneur…”“Pauvre Marie! Je connais ton cœur. Tu as mérité le miracle et que cela t'affermisse dans ton espérance et ta foi.”“Mon Maître, j'espérerai et je croirai toujours désormais. Je ne douterai plus, jamais plus, Seigneur. Je vivrai de foi. Tu m'as donné la capacité de croire ce qui est incroyable.”“Et toi, Marthe, as-tu appris? Non, pas encore. Tu es ma Marthe mais tu n'es pas encore ma parfaite adoratrice. Pourquoi agis-tu au lieu de contempler? C'est plus saint. Tu vois? Ta force, parce qu'elle était trop tournée vers les choses terrestres, a cédé à la constatation de faits terrestres qui semblent parfois sans remède. En vérité les choses humaines n'ont pas de remède, si Dieu n'intervient pas. La créature, à cause de cela, a besoin de savoir croire et contempler, d'aimer jusqu'au bout des forces de l'homme tout entier, avec sa pensée, son âme, sa chair, son sang, avec toutes les forces de l'homme, je le répète. Je te veux forte, Marthe. Je te veux parfaite. Tu n'as pas su obéir parce que tu n'as pas su croire et espérer complètement, et tu n'as pas su croire et espérer parce que tu n'as pas su aimer totalement. Mais Moi, je t'en absous. Je te pardonne, Marthe. J'ai ressuscité Lazare aujourd'hui. Maintenant je te donne un cœur plus fort. À lui j'ai rendu la vie. À toi, j'infuse la force d'aimer, croire et espérer parfaitement. Maintenant soyez heureuses et en paix. Pardonnez à ceux qui vous ont offensé ces jours-ci…”“Seigneur, en cela j'ai péché. Il y a un instant j'ai dit au vieux Canania qui t'avait méprisé les autres jours: "Qui a triomphé? Toi ou Dieu? Ton mépris ou ma foi? Le Christ est le Vivant et il est la Vérité. Moi, je savais que sa gloire aurait resplendi plus grande, et toi, vieillard, refais ton âme si tu ne veux pas connaître la mort".”“Tu as bien parlé. Mais ne discute pas avec les méchants, Marie. Et pardonne. Pardonne si tu veux m'imiter… Voici Lazare. J'entends sa voix.”En effet Lazare rentre, vêtu à neuf et bien rasé, bien peigné et la chevelure parfumée. Avec lui se trouvent Maximin et le Zélote.“Maître!” Lazare s'agenouille encore pour l'adorer.Jésus lui met la main sur la tête et sourit en disant: “L'épreuve est surmontée, mon ami. Pour toi et pour tes sœurs. Maintenant soyez heureux et forts pour servir le Seigneur. Que te rappelles-tu, ami, du passé? Je veux parler de tes derniers moments?”“Un grand désir de te voir et une grande paix au milieu de l'amour des sœurs.”“Et qu'est-ce qui t'affligeait le plus de quitter en mourant?”“Toi, Seigneur, et mes sœurs. Toi parce que je ne pouvais plus te servir, elles parce qu'elles m'ont donné toute joie…”“Oh! moi, frère!” soupire Marie.“Toi, plus que Marthe. Tu m'as donné Jésus et la mesure de ce qu'est Jésus. Et Jésus t'a donnée à moi. Tu es le don de Dieu, Marie.”“Tu le disais aussi en mourant…” dit Marie et elle étudie le visage de son frère.“Parce que c'est ma constante pensée.”“Mais moi, je t'ai donné tant de douleur…”“La maladie aussi m'a donné de la douleur. Mais, par elle, j'espère avoir expié les fautes du vieux Lazare et d'être ressuscité, purifié pour être digne de Dieu. Toi et moi: tous deux ressuscités pour servir le Seigneur, et Marthe au milieu de nous, elle qui fut toujours la paix de la maison.”“Tu l'entends, Marie? Lazare dit des paroles de sagesse et de vérité. Maintenant je me retire et vous laisse à votre joie…”“Non, Seigneur, reste avec nous. Ici. Reste à Béthanie et dans ma maison. Ce sera beau…”“Je resterai. Je veux te récompenser de tout ce que tu as souffert. Marthe, ne sois pas triste. Marthe pense m'avoir affligé. Mais ma peine n'est pas autant pour vous que pour ceux qui ne veulent pas se racheter. Eux haïssent de plus en plus. Ils ont le venin dans le cœur… Eh bien… pardonnons.”“Pardonnons, Seigneur” dit Lazare avec son doux sourire… et sur cette parole tout prend fin.
Jésus dit-On peut mettre ici la dictée du 23-3-44 pour le commentaire de la résurrection de Lazare.”
En marge de la résurrection de Lazare et en rapport avec une phrase de Saint Jean.Jésus dit: “Dans l'Évangile de Jean, comme on le lit désormais depuis des siècles, il est écrit: "Jésus n'était pas encore entré dans le village de Béthanie"(Jn 9,30). Pour prévenir toutes objections possibles, je fais remarquer que entre cette phrase et celle de l'Œuvre, que je rencontrai Marthe à quelques pas du bassin dans le jardin de Lazare, il n'y a pas de contradictions de faits mais seulement de traduction et de description.Béthanie appartenait pour les trois quarts à Lazare, de même que Jérusalem lui appartenait en grande partie. Mais parlons de Béthanie. Comme elle appartenait pour les trois quarts à Lazare, on pouvait dire: Béthanie de Lazare. Par conséquent le texte ne serait pas erroné même si j'avais rencontré Marthe dans le village ou à la fontaine, comme certains veulent dire. Mais en réalité je n'étais pas entré dans le village pour éviter qu'accourent les béthanites, tous hostiles aux gens du Sanhédrin. J'étais passé en arrière de Béthanie pour rejoindre la maison de Lazare, qui était à l'extrémité opposée pour qui entrait à Béthanie par Ensémès.Justement pour cela Jean dit que Jésus n'était pas encore entré dans le village. Et avec autant de justesse le petit Jean dit que je m'étais arrêté près du bassin (fontaine pour les hébreux) déjà dans le jardin de Lazare, mais encore très loin de la maison.Que l'on considère en outre que, durant le temps du deuil et de l'impureté (ce n'était pas encore le septième jour après la mort), les sœurs ne sortaient pas de la maison. C'est donc dans l'enceinte de leur propriété qu'est arrivée la rencontre.Noter que le petit Jean parle de la venue des béthanites dans le jardin seulement quand déjà j'ordonne d'enlever la pierre. Auparavant Béthanie ne savait pas que j'étais à Béthanie et c'est seulement quand le bruit s'en est répandu qu'ils sont accourus chez Lazare.” Jésus dit:“J'aurais pu intervenir à temps pour empêcher la mort de Lazare, mais je n'ai pas voulu le faire. Je savais que cette résurrection aurait été une arme à double tranchant car j'aurais converti les juifs dont la pensée était droite et rendu plus haineux ceux dont la pensée n'était pas droite. De ceux-ci, et après ce dernier coup de ma puissance, serait venue ma sentence de mort. Mais j'étais venu pour cela et désormais l'heure était mûre pour que cela s'accomplisse. J'aurais pu aussi accourir tout de suite, mais j'avais besoin de persuader par la résurrection d'une putréfaction déjà avancée les incrédules plus obstinés. Et mes apôtres aussi qui, destinés à porter ma Foi dans le monde, avaient besoin de posséder une foi soutenue par des miracles de première grandeur.Chez les apôtres il y avait tant d'humanité, je l'ai déjà dit. Ce n'était pas un obstacle insurmontable. C'était au contraire une conséquence logique de leur condition d'hommes appelés à m'appartenir à un âge déjà adulte. On ne change pas une mentalité, une tournure d'esprit du jour au lendemain. Et Moi, dans ma sagesse, je n'ai pas voulu choisir et éduquer des enfants et les faire grandir selon ma pensée pour en faire mes apôtres. J'aurais pu le faire, mais je n'ai pas voulu le faire pour que les âmes ne me reprochent pas d'avoir méprisé ceux qui ne sont pas innocents et qu'elles ne portent à leur décharge et à leur excuse que Moi aussi j'aurais signifié par mon choix que ceux qui sont déjà formés ne peuvent changer.Non. Tout peut se changer quand on le veut. Et Moi, en effet, avec des pusillanimes, des querelleurs, des usuriers, des sensuels, des incrédules, j'ai fait des martyrs et des saints, des évangélisateurs du monde. Seul celui qui ne voulut pas ne changea pas. J'ai aimé et j'aime les petitesses et les faiblesses - tu en es un exemple - pourvu que se trouve en elles la volonté de m'aimer et de me suivre, et de ces "riens" je fais mes privilégiés, mes amis, mes ministres. Je m'en sers toujours, et c'est un miracle continuel que j'opère, pour amener les autres à croire en Moi, à ne pas tuer les possibilités de miracle. Comme elle est languissante, maintenant, cette possibilité! Comme une lampe à laquelle l'huile manque, elle agonise et meurt, tuée par le manque ou l'absence de foi dans le Dieu du miracle. Il y a deux formes d'exigence dans la demande du miracle. À l'une Dieu se soumet avec amour. À l'autre, Il tourne le dos avec indignation. La première est celle qui demande, comme j'ai enseigné à demander, sans défiance et sans découragement, et qui ne pense pas que Dieu ne puisse pas l'écouter parce que Dieu est bon, et que celui qui est bon exauce, parce que Dieu est puissant et peut tout. Cela c'est de l'amour et Dieu exauce celui qui aime. L'autre forme, c'est l'exigence des révoltés qui veulent que Dieu soit leur serviteur et se plie à leurs méchancetés et leur donne ce qu'eux ne Lui donnent pas: l'amour et l'obéissance. Cette forme est une offense que Dieu punit par le refus de ses grâces.Vous vous plaignez que je n'accomplisse plus des miracles collectifs. Comment pourrais-je les accomplir? Où sont les collectivités qui croient en Moi? Où sont les vrais croyants? Combien y a-t-il de vrais croyants dans une collectivité? Comme des fleurs qui survivent dans un bois brûlé par un incendie, je vois de temps à autre un esprit croyant. Le reste, Satan l'a brûlé par ses doctrines, et il les brûlera de plus en plus.Je vous prie, pour vous conduire surnaturellement, de garder présente à vos esprits ma réponse à Thomas. On ne peut être mes vrais disciples si on ne sait pas donner à la vie humaine le poids qu'elle mérite en tant que moyen pour conquérir la vraie Vie et non en tant que fin. Celui qui voudra sauver sa vie en ce monde perdra la vie éternelle. Je l'ai dit et je le répète. Que sont les épreuves? La nuée qui passe. Le Ciel reste et vous attend au-delà de l'épreuve.Moi, j'ai conquis le Ciel pour vous par mon héroïsme. Vous devez m'imiter. L'héroïsme n'est pas réservé seulement à ceux qui doivent connaître le martyre. La vie chrétienne est un perpétuel héroïsme car c'est une lutte perpétuelle contre le monde, le démon et la chair. Je ne vous force pas à me suivre, je vous laisse libres, mais je ne veux pas d'hypocrites. Ou bien avec Moi et comme Moi, ou bien contre Moi. Bien sûr vous ne pouvez me tromper. Moï, vous ne pouvez pas me tromper. Et Moi, je ne fais pas d'alliances avec l'Ennemi. Si vous le préférez à Moi, vous ne pouvez penser m'avoir en même temps pour ami. Ou lui ou Moi. Choisissez.La douleur de Marthe est différente de celle de Marie à cause de l'esprit différent des deux sœurs et de la conduite différente qu'elles ont eue. Heureux ceux qui se conduisent de manière à n'avoir pas le remords d'avoir affligé quelqu'un qui maintenant est mort. et qui ne peut plus se consoler des douleurs qu'on lui a données. Mais encore plus heureux celui qui n'a pas le remords d'avoir affligé son Dieu, Moi, Jésus, et qui ne craint pas de me rencontrer, mais au contraire soupire après ma rencontre comme le rêve anxieux de toute sa vie et enfin atteint.Je suis pour vous Père, Frère, Ami. Pourquoi donc me blessez-vous si souvent? Savez-vous combien de temps il vous reste à vivre? À vivre pour réparer? Vous ne le savez pas. Et alors, heure par heure, jour après jour, conduisez-vous bien, toujours bien. Vous me rendrez toujours heureux. Et même si la douleur vient à vous, car la douleur c'est la sanctification, c'est la myrrhe qui préserve de la putréfaction de la chair, vous aurez toujours en vous la certitude que je vous aime, et que je vous aime même dans cette douleur, et la paix qui vient de mon amour. Toi, petit Jean, tu le sais si Moi je sais consoler même dans la douleur.Dans ma prière au Père se trouve répété ce que j'ai dit au début: il était nécessaire de secouer par un miracle de première grandeur l'opacité des juifs et du monde en général. La résurrection d'un homme enseveli depuis quatre jours et descendu au tombeau après une maladie bien connue, longue, chronique, répugnante, n'était pas une chose qui pût laisser indifférent ni non plus incertain. Si je l'avais guéri alors qu'il vivait, ou si je lui avais infusé le souffle sitôt qu'il avait expiré, l'âcreté des ennemis aurait pu créer des doutes sur la réalité du miracle. Mais la puanteur du cadavre, la pourriture des bandelettes, le long séjour au tombeau, ne laissaient pas de doute. Et, miracle dans le miracle, j'ai voulu que Lazare fût dégagé et purifié en présence de tout le monde pour que l'on vît que non seulement la vie, mais l'intégrité des membres était revenue là où auparavant l'ulcération de la chair avait répandu dans le sang les germes de mort. Quand je fais grâce, je donne toujours plus que vous ne demandez.J'ai pleuré devant la tombe de Lazare et on a donné à ces pleurs tant de noms. Pourtant sachez que les grâces s'obtiennent par la douleur mêlée à une foi assurée dans l'Éternel. J'ai pleuré non pas tant à cause de la perte de l'ami et de la douleur de ses sœurs, que parce que, comme un fond qui se soulève, ont affleuré à cette heure, plus vives que jamais, trois idées qui, comme trois clous, m'avaient toujours enfoncé leur pointe dans le cœur.La constatation de la ruine que Satan avait apportée à l'homme en l'amenant au Mal. Ruine dont la condamnation humaine était la douleur et la mort. La mort physique, emblème et image vivante de la mort spirituelle, que la faute donne à l'âme en la plongeant, elle reine destinée à vivre dans le royaume de la Lumière, dans les ténèbres infernales.La persuasion que même ce miracle, mis pour ainsi dire comme le corollaire sublime de trois années d'évangélisation, n'aurait pas convaincu le monde judaïque de la Vérité que je lui avais apportée, et qu'aucun miracle n'aurait fait du monde à venir un converti au Christ. Oh! douleur d'être près de mourir pour un si petit nombre!La vision mentale de ma mort prochaine. J'étais Dieu, mais j'étais homme aussi. Et pour être Rédempteur je devais sentir le poids de l'expiation, donc aussi l'horreur de la mort et d'une telle mort. J'étais un homme vivant, en bonne santé qui se disait: "Bientôt, je serai mort, je serai dans un tombeau comme Lazare. Bientôt l'agonie la plus atroce sera ma compagne. Je dois mourir". La bonté de Dieu vous épargne la connaissance de l'avenir, mais à Moi elle n'a pas été épargnée.Oh! croyez-le, vous qui vous plaignez de votre sort. Aucun n'a été plus triste que le mien, de Moi qui ai eu la constante prescience de tout ce qui devait m'arriver, jointe à la pauvreté, aux privations, aux aigreurs qui m'ont accompagné de ma naissance à ma mort. Ne vous plaignez donc pas et espérez en Moi. Je vous donne ma paix.”
Extrait de la Traduction de “L’évangile tel qu’il m’a été révélé” de Maria Valtorta - ©Centro Editoriale Valtortiano, Italie.