Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 9,1-41.
En sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme qui était aveugle de naissance. Ses disciples l'interrogèrent : « Rabbi, pourquoi cet homme est-il né aveugle ? Est-ce lui qui a péché, ou bien ses parents ? » Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents. Mais l'action de Dieu devait se manifester en lui. Il nous faut réaliser l'action de celui qui m'a envoyé, pendant qu'il fait encore jour ; déjà la nuit approche, et personne ne pourra plus agir. Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. » Cela dit, il cracha sur le sol et, avec la salive, il fit de la boue qu'il appliqua sur les yeux de l'aveugle, et il lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » (ce nom signifie : Envoyé). L'aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait. Ses voisins, et ceux qui étaient habitués à le rencontrer - car il était mendiant - dirent alors : « N'est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? » Les uns disaient : « C'est lui. » Les autres disaient : « Pas du tout, c'est quelqu'un qui lui ressemble. » Mais lui affirmait : « C'est bien moi. » Et on lui demandait : « Alors, comment tes yeux se sont-il ouverts ? » Il répondit : « L'homme qu'on appelle Jésus a fait de la boue, il m'en a frotté les yeux et il m'a dit : 'Va te laver à la piscine de Siloé. ' J'y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j'ai vu. » Ils lui dirent : « Et lui, où est-il ? » Il répondit : « Je ne sais pas. » On amène aux pharisiens cet homme qui avait été aveugle. Or, c'était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. A leur tour, les pharisiens lui demandèrent : « Comment se fait-il que tu voies ? » Il leur répondit : « Il m'a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et maintenant je vois. » Certains pharisiens disaient : « Celui-là ne vient pas de Dieu, puisqu'il n'observe pas le repos du sabbat. » D'autres répliquaient : « Comment un homme pécheur pourrait-il accomplir des signes pareils ? » Ainsi donc ils étaient divisés. Alors ils s'adressent de nouveau à l'aveugle : « Et toi, que dis-tu de lui, puisqu'il t'a ouvert les yeux ? » Il dit : « C'est un prophète. » Les Juifs ne voulaient pas croire que cet homme, qui maintenant voyait, avait été aveugle. C'est pourquoi ils convoquèrent ses parents et leur demandèrent : « Cet homme est bien votre fils, et vous dites qu'il est né aveugle ? Comment se fait-il qu'il voie maintenant ? » Les parents répondirent : « Nous savons que c'est bien notre fils, et qu'il est né aveugle. Mais comment peut-il voir à présent, nous ne le savons pas ; et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez grand pour s'expliquer. » Ses parents parlaient ainsi parce qu'ils avaient peur des Juifs. En effet, les Juifs s'étaient déjà mis d'accord pour exclure de la synagogue tous ceux qui déclareraient que Jésus est le Messie. Voilà pourquoi les parents avaient dit : « Il est assez grand, interrogez-le ! » Pour la seconde fois, les pharisiens convoquèrent l'homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. » Il répondit : « Est-ce un pécheur ? Je n'en sais rien ; mais il y a une chose que je sais : j'étais aveugle, et maintenant je vois. » Ils lui dirent alors : « Comment a-t-il fait pour t'ouvrir les yeux ? » Il leur répondit : « Je vous l'ai déjà dit, et vous n'avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous m'entendre encore une fois ? Serait-ce que vous aussi vous voulez devenir ses disciples ? » Ils se mirent à l'injurier : « C'est toi qui es son disciple ; nous, c'est de Moïse que nous sommes les disciples. Moïse, nous savons que Dieu lui a parlé ; quant à celui-là, nous ne savons pas d'où il est. » L'homme leur répondit : « Voilà bien ce qui est étonnant ! Vous ne savez pas d'où il est, et pourtant il m'a ouvert les yeux. Comme chacun sait, Dieu n'exauce pas les pécheurs, mais si quelqu'un l'honore et fait sa volonté, il l'exauce. Jamais encore on n'avait entendu dire qu'un homme ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si cet homme-là ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » Ils répliquèrent : « Tu es tout entier plongé dans le péché depuis ta naissance, et tu nous fais la leçon ? » Et ils le jetèrent dehors. Jésus apprit qu'ils l'avaient expulsé. Alors il vint le trouver et lui dit : « Crois-tu au Fils de l'homme ? » Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? » Jésus lui dit : « Tu le vois, et c'est lui qui te parle. » Il dit : « Je crois, Seigneur ! », et il se prosterna devant lui. Jésus dit alors : « Je suis venu en ce monde pour une remise en question : pour que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » Des pharisiens qui se trouvaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Serions-nous des aveugles, nous aussi ? » Jésus leur répondit : « Si vous étiez des aveugles, vous n'auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : 'Nous voyons ! ' votre péché demeure.
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris
Correspondance dans "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta : Tome 7, Ch 207, p 323 - CD 7 (2ème cd), piste 20 -
Jésus sort avec ses apôtres et Joseph de Sephoris se dirigeant vers la synagogue. La journée, limpide et sereine, réjouit comme une promesse de printemps après les jours venteux et couverts, vrais jours d'hiver. Beaucoup de gens de Jérusalem sont donc sur les routes, les uns allant vers les synagogues, d'autres en revenant ou venant d'autres lieux, certains avec leur famille afin de sortir de la ville pour jouir du soleil dans la campagne. De la Porte d'Hérode, visible de la maison de Joseph de Sephoris, on voit les gens quitter les murs pour des distractions joyeuses, en plein air. Un plongeon dans la verdure, dans l'espace, dans la liberté, en dehors des rues étroites entre les hautes maisons. Je crois que la ceinture champêtre qui entourait Jérusalem avait été voulue spontanément par les habitants qui voulaient concilier la mesure du chemin du sabbat avec leur désir d'air et de soleil, qu'ils prenaient sur les routes, et non seulement sur les terrasses des maisons. Mais Jésus ne va pas vers la porte d'Hérode. Au contraire, il lui tourne le dos pour se diriger vers l'intérieur de la ville. Mais il n'a fait que quelques pas sur la route plus large, où débouche le petit chemin où se trouve la maison de Joseph de Sephoris, que Judas de Kériot attire son attention sur un jeune homme qui s'avance vers eux, en tâtant les murs avec un bâton, en levant en l'air son visage sans yeux, avec la démarche particulière aux aveugles. Ses habits sont pauvres mais propres, et ce doit être une personne connue de beaucoup de gens de Jérusalem car plusieurs le montrent du doigt et certains lui disent: “Homme, aujourd'hui tu t'es trompé de route. Les chemins du Moriah sont tous dépassés, tu es déjà à Bézéta.” “Je ne demande pas d'argent aujourd'hui” répond l'aveugle avec un sourire et il avance toujours avec ce sourire vers le nord de la ville. “Maître, observe-le. Il a les paupières soudées ou plutôt je dirais qu'il n'a pas de paupières. Le front rejoint les joues sans aucune cavité et il semble que par dessous il n'y ait pas de globes oculaires. Il est né ainsi, le malheureux, et il mourra de même sans avoir vu une seule fois la lumière du soleil ni le visage d'un homme. Maintenant, Maître, dis-moi: pour être ainsi puni, il a certainement péché. Mais s'il est né aveugle, comme c'est certain, comment peut-il avoir péché avant de naître? Peut-être ses parents ont péché et Dieu les a punis en le faisant naître ainsi?” Les autres apôtres aussi, avec Isaac et Margziam, se serrent près de Jésus pour entendre sa réponse. Et pressant le pas, comme attirés par la haute taille de Jésus, qui domine la foule, accourent deux hiérosolymitains de condition aisée qui étaient un peu en arrière de l'aveugle et entre eux se trouve Joseph d'Arimathie qui ne s'approche pas mais, adossé a un portail élevé sur deux marches, tourne ses regards vers tous les visages pour les observer. Jésus répond et on entend clairement ses paroles dans le silence qui s'est fait: “Ni lui ni ses parents n'ont péché plus que ne pèche tout homme, et peut-être moins aussi, car souvent la pauvreté est un frein pour le péché. Mais il est né ainsi pour qu'une fois encore, soient manifestées en lui la puissance et les œuvres de Dieu. Je suis la Lumière venue dans le monde pour que ceux du monde, qui ont oublié Dieu ou perdu son image spirituelle, voient et se souviennent, et pour que ceux qui cherchent Dieu, ou Lui appartiennent déjà, soient confirmés dans la foi et dans l'amour. Le Père m'a envoyé pour que, dans le jour qui est encore accordé à Israël, je complète la connaissance de Dieu en Israël et dans le monde. Voici donc que je dois accomplir les œuvres de Celui qui m'a envoyé pour témoigner que je puis ce que Lui peut, parce que je suis Un avec Lui, et pour que le monde sache et voie que le Fils n'est pas dissemblable du Père et pour qu'il croie en Moi pour ce que je suis. Après viendra la nuit pendant laquelle on ne peut plus travailler, la ténèbre, et celui qui ne se sera pas gravé mon signe et la foi en Moi, ne pourra plus le faire dans les ténèbres et la confusion, la douleur, la désolation et la ruine qui couvriront ces lieux et étourdiront les esprits par la surexcitation des peines. Mais, tant que je suis dans le monde, je suis Lumière et Témoignage, Parole, Chemin et Vie, Sagesse, Puissance et Miséricorde. Va donc, rejoins l'aveugle et amène-le ici.” “Vas-y toi, André, je veux rester ici et voir ce que fait le Maître” répond Judas en montrant Jésus qui s'est penché sur le chemin poussiéreux, a craché sur un petit tas de terre et est en train de délayer avec le doigt la poussière dans la salive pour former une boulette de boue. Pendant qu'André, toujours condescendant va prendre l'aveugle qui va tourner dans le petit chemin où se trouve la maison de Joseph de Sephoris, Jésus étend la boue sur ses deux index en restant ainsi les mains tendues comme le prêtre pendant la Sainte Messe. Cependant Judas quitte sa place pour dire à Mathieu et à Pierre: “Venez ici, vous qui n'avez pas une grande taille, et vous verrez mieux.” Et il se met en arrière de tout le monde, presque caché par les fils d'Alphée et par Barthélemy, qui sont grands. André revient en tenant par la main l'aveugle qui s'époumone à dire: “Je ne veux pas d'argent. Laisse-moi aller. Je sais où se trouve celui qu'on appelle Jésus, et je vais pour demander…” “C'est Jésus qui est devant toi” lui dit André en s'arrêtant devant le Maître. Jésus, contrairement à son habitude, ne demande rien à l'homme. Il lui étend de suite sur les paupières closes un peu de la boue qu'il a sur les index et il lui commande: “Et maintenant va le plus rapidement possible à la citerne de Siloé, sans t'arrêter pour parler avec quelqu'un.” L'aveugle, avec son visage barbouillé de boue, reste un instant perplexe et il ouvre les lèvres pour parler, puis il les ferme et il obéit. Les premiers pas sont lents comme s'il était pensif ou bien déçu, puis il presse le pas en rasant le mur avec son bâton, de plus en plus vite, autant que le peut un aveugle, peut-être davantage, comme s'il se sentait guidé… Les deux hiérosolymitains ont un rire sarcastique et, en hochant la tête, ils s'en vont. Joseph d'Arimathie, et le fait m'étonne, les suit sans même saluer le Maître et il revient sur ses pas, c'est-à-dire vers le Temple, alors qu'il venait de cette direction. Ainsi, tant l'aveugle que les deux et que Joseph d'Arimathie, vont vers le sud de la ville, alors que Jésus tourne vers l'occident, et je le perds de vue car la volonté du Seigneur me fait suivre l'aveugle et ceux qui le suivent. Après avoir passé Bézéta, ils entrent tous dans la vallée qui se trouve entre le Moriah et Sion il me semble l'avoir entendu appeler Tiropéon d'autres fois ils la suivent toute entière jusqu'à Ophel, la côtoient, sortent sur la route qui va à la fontaine de Siloé, en restant toujours dans cet ordre: d'abord l'aveugle qui doit être connu dans ce quartier populaire, puis les deux, en dernier lieu, à quelque distance, Joseph d'Arimathie. Joseph s'arrête près d'une maisonnette insignifiante, à demi caché par une haie de buis qui fait saillie en contournant le jardinet de la pauvre maison. Mais les deux s'en vont tout près de la fontaine. Ils observent l'aveugle qui s'approche avec précaution du vaste bassin et, en tâtant le mur humide, plonge une main qu'il retire toute ruisselante et il se lave les yeux, une, deux, trois fois. La troisième fois, il presse aussi sur son visage l'autre main en laissant tomber son bâton et en poussant un cri que semble provoquer la douleur. Puis il enlève lentement les mains et son précédent cri de douleur se change en un cri de joie: “Oh! Très-Haut! Je vois!” et il se jette à terre comme vaincu par l'émotion, met ses mains pour protéger ses yeux, les serre aux tempes, anxieux de voir, mais gêné par la lumière et il répète: “J'y vois! J'y vois! C'est donc cela la terre! La lumière! L'herbe que je ne connaissais que par sa fraîcheur…” Il se lève tout en restant courbé, comme quelqu'un qui porte un poids, le poids de sa joie, va au ruisselet qui évacue le trop-plein d'eau et il le regarde courir, scintillant et riant et il murmure: “Et ceci, c'est l'eau… Voilà! C'est ainsi que je la sentais entre mes doigts (il y plonge la main) froide et coulante, mais je ne la connaissais pas… Ah! Belle! Belle! Comme tout est beau!” Il lève le visage et voit un arbre… il s'en approche, le touche, étend la main, attire à lui une branchette, la regarde et rit, il rit, abrite ses yeux de la main, et il regarde le ciel, le soleil, et deux larmes tombent de ses paupières vierges qu'il a ouvertes pour contempler le monde… Et il abaisse les yeux sur l'herbe où une fleur se balance sur sa tige et il voit son image que reflète l'eau du ruisselet, il se regarde et dit: “C'est ainsi que je suis!” Il observe avec étonnement une tourterelle qui est venue boire un peu plus loin et une chevrette qui arrache les dernières feuilles d'un rosier sauvage, puis une femme qui vient à la fontaine avec un bébé sur son sein. Et cette femme lui rappelle sa mère, sa mère au visage inconnu, et levant les bras au ciel, il s'écrie: “Sois béni, Très-Haut, pour la lumière, pour la mère et pour Jésus!” et il s'en va en courant, laissant par terre son bâton désormais inutile… Les deux n'ont pas attendu de voir tout cela. Dès qu'ils ont vu que l'homme y voyait, ils sont partis en courant vers la ville. Joseph, au contraire, reste jusqu'à la fin et quand l'aveugle qui ne l'est plus, lui passe devant pour entrer dans le dédale des ruelles du quartier populeux d'Ophel, à son tour il quitte sa place et revient sur ses pas, vers la ville, tout pensif… Le quartier d'Ophel, toujours bruyant, est maintenant en pleine ébullition. On court à droite, à gauche, on questionne, on répond. “Mais vous l'aurez confondu avec un autre…” “Non, te dis-je. Je lui ai parlé et lui ai dit: "Mais est-ce bien toi, Sidonia surnommé Bartolmaï?” et lui m'a dit: "C'est moi". Je voulais lui demander comment c'était arrivé, mais il est parti en courant.” “Où est-il maintenant?” “Chez sa mère, certainement.” “Qui? Qui l'a vu?” demandent des gens qui accourent. “Moi. Moi” répondent plusieurs. “Mais comment est-ce arrivé?” “… Je l'ai vu qui courait sans bâton avec deux yeux au visage et j'ai dit: "Regarde! Ce serait bien Bartolmaï si…"“ “Je te dis que j'en suis toute tremblante. En entrant, il a crié: "Mère, je te vois!"“ “Une grande joie pour les parents. Maintenant il pourra aider son père et gagner sa nourriture…” “La pauvre femme! Elle a eu un malaise par la joie. Oh! une chose! Une chose! J'étais allée pour demander un peu de sel et…” “Courons chez lui, pour savoir…” Joseph d'Arimathie se trouve pris au milieu de ce vacarme et, je ne sais si c'est par curiosité ou par esprit d'imitation, il suit le courant et aboutit dans une impasse, qui se dirigerait vers le Cédron, et où la foule se presse, empêchant d'entendre à cause de ses cris le bruit du torrent, gonflé par les pluies d'automne. Et Joseph y arrive quand, d'une autre ruelle qui débouche dans l'impasse, arrivent les deux de tout à l'heure avec trois autres: un scribe, un prêtre et un troisième que son vêtement ne me permet pas d'identifier. Ils se fraient un passage, autoritaires, et cherchent à entrer dans la maison bondée. La maison comprend une vaste cuisine noire comme du goudron, avec un coin qui en est séparé par une cloison rustique au-delà de laquelle se trouve un grabat et une porte qui donne dans une autre pièce avec un lit plus grand. Une porte, ouverte dans le mur opposé, fait voir un jardinet de quelques mètres carrés. Et c'est tout. L'aveugle guéri parle appuyé à une table, répondant à ceux qui l'interrogent, tous de pauvres gens comme lui, menu peuple de Jérusalem, de ce quartier, qui est peut-être le plus pauvre de tous. Sa mère, debout près de lui, le regarde et elle pleure en s'essuyant les yeux avec son voile. Le père, un homme usé par le travail, se tourmente la barbe de sa main agitée par un tremblement. L'entrée dans la maison est impossible, même aux juifs et aux docteurs autoritaires, et les cinq doivent écouter du dehors les paroles de l'homme guéri. “Comment ils se sont ouverts? Cet homme, que l'on appelle Jésus, m'a barbouillé les yeux avec de la terre mouillée, et il m'a dit: "Va te laver à la fontaine de Siloé". J'y suis allé, je me suis lavé et mes yeux se sont ouverts et j'ai vu.” “Mais comment as-tu fait pour trouver le Rabbi? Tu disais toujours que tu étais malheureux, car jamais tu ne le rencontrais même quand il passait par ici pour aller chez Jonas au Gethsémani. Et aujourd'hui, maintenant qu'on ne sait jamais où il est…” “Hé! hier soir, un de ses disciples est venu et il m'a donné deux pièces de monnaie en disant: "Pourquoi ne cherches-tu pas de voir?" Je lui ai dit: "J'ai cherché, mais je ne trouve jamais ce Jésus qui fait des miracles. Je le cherche depuis qu'il a guéri Annalia qui est de mon quartier, mais si je vais dans un endroit, il est dans un autre…" Et il m'a dit: "Je suis un de ses apôtres, et ce que je Lui dis, moi, il le fait. Viens demain à Bézéta et cherche la maison de Joseph le galiléen, celui du poisson sec, Joseph de Sephoris, près de la Porte d'Hérode et du tournant de la place, du côté de l'orient, et tu verras que tôt ou tard il passe par là ou entre dans la maison et moi, je t'indiquerai au Maître". J'ai dit: "Mais demain, c'est le sabbat". Je voulais dire qu'il ne ferait rien pendant le sabbat. Il m'a dit: "Si tu veux guérir, c'est le jour, car après on quitte la ville et tu ne sais pas si tu pourras le rencontrer". Moi, j'ai dit encore: "Je sais qu'on le persécute. J'ai entendu depuis les portes de l'enceinte du Temple où je vais mendier. Aussi je dis que maintenant qu'ils le persécutent ainsi, il voudra encore moins qu'on le persécute et il ne me guérira pas le jour du sabbat". Et lui: "Fais ce que je te dis et le jour du sabbat tu verras le soleil". Et j'y suis allé. Qui n'y serait pas allé? Alors que c'est son apôtre qui le dit! Il m'a dit aussi: "Je suis celui qu'il écoute le plus, et je viens exprès car tu me fais pitié et je veux que sa puissance resplendisse après qu'ils l'ont méprisé. Toi, aveugle de naissance, tu la feras resplendir. Je sais ce que je dis. Viens et tu verras!". Et j'y suis allé et je n'étais pas encore arrivé à la maison de Joseph lorsqu'un homme m'a pris par la main, mais d'après la voix ce n'était pas celui d'hier, et il m'a dit: "Viens avec moi, frère" et je ne voulais pas aller, je croyais qu'il voulait me donner du pain et de l'argent, peut-être des vêtements, et je lui disais de me laisser aller parce que je savais où trouver Celui qu'on appelle Jésus. Et l'homme m'a dit: "Voici Jésus. Il est devant toi". Mais je n'ai rien vu car j'étais aveugle. J'ai senti deux doigts couverts de terre mouillée qui me touchaient des deux côtés et une voix qui disait: "Va vivement à Siloé et lave-toi et ne parle à personne" et je l'ai fait. Mais j'étais découragé car j'espérais y voir tout de suite et j'ai failli croire que c'était une plaisanterie de jeunes gens sans cœur et je me refusais presque à y aller, mais j'ai entendu une sorte de voix me dire: "Espère et obéis" et alors je suis allé à la fontaine et je me suis lavé et j'ai vu.” Et le jeune s'arrête extasié pour repenser à la joie de sa première vision… “Faites sortir l'homme. Nous voulons l'interroger” crient les cinq. Le jeune homme se fraie un chemin et sort sur le seuil. “Où est Celui qui t'a guéri?” “Je ne le sais pas” dit le jeune homme auquel un ami a murmuré: “Ce sont des scribes et des prêtres.” “Comment ne le sais-tu pas? Tu disais tout à l'heure que tu le savais. Ne mens pas aux docteurs de la Loi et au prêtre! Malheur à celui qui cherche à tromper les magistrats du peuple!” “Je ne trompe personne. Ce disciple m'a dit: "Il est dans cette maison" et c'était vrai, car j'en étais tout près quand j'ai été pris et conduit à Lui. Mais où il est maintenant, je ne le sais pas. Le disciple m'a dit qu'ils s'en vont. Il pourrait déjà avoir franchi les portes.” “Mais où allait-il?” “Qu'est-ce que j'en sais?! Peut-être en Galilée… Pour la façon dont on le traite ici!…” “Imbécile et impoli! Fais attention à la façon dont tu parles, lie du peuple! Je t'ai demandé par quelle route il se dirigeait.” “Mais comment voulez-vous que je le sache puisque j'étais aveugle? Un aveugle peut-il dire où va un autre?” “C'est bien. Suis-nous.” “Où voulez-vous me conduire?” “Chez les chefs des pharisiens.” “Pourquoi? Qu'ont-ils à faire avec moi? M'ont-ils guéri, par hasard, eux, pour que je doive les remercier? Quand j'étais aveugle et que je mendiais, mes mains n'ont jamais palpé leur argent, mes oreilles n'ont jamais entendu d'eux un mot de pitié, et mon cœur n'a jamais connu leur amour. Que dois-je leur dire? Il n'y en a qu'un à qui je doive dire "merci" après mon père et ma mère, qui pendant tant d'années m'ont aimé malheureux. Et c'est ce Jésus qui m'a guéri en m'aimant de tout son cœur, comme mes parents avec le leur, Moi, je ne vais pas trouver les pharisiens. Je reste avec ma mère et mon père pour jouir de voir leurs visages, et eux mes yeux qui sont nés maintenant, après tant de printemps depuis celui où je suis né, mais sans voir la lumière.” “Pas tant de paroles. Viens et suis-nous.” “Que non! Je ne viens pas! Avez-vous jamais par hasard essuyé une larme à ma mère humiliée par mon malheur, ou une sueur à mon père épuisé par le travail? Maintenant je puis le faire par mon aspect et je devrais les quitter et vous suivre?” “Nous te le commandons. Ce n'est pas toi qui commandes, mais le Temple et les chefs du peuple. Si l'orgueil d'être guéri te ferme l'intelligence pour te rappeler que nous commandons, nous te le rappelons. Avance! Marche!” “Mais pourquoi dois-je venir? Que voulez-vous de moi?” “Pour que tu fasses une déposition. C'est le sabbat. Œuvre accomplie pendant le sabbat. Elle doit être enregistrée à cause du péché, de ton péché et de celui de ce satan.” “C'est vous qui êtes satan! Vous qui êtes péché! Et je devrais venir déposer contre celui qui m'a fait du bien? Vous êtes ivres! Je viendrai au Temple pour bénir le Seigneur et rien de plus. J'ai été pendant tant d'années dans l'ombre de la cécité, mais mes paupières closes n'ont produit de ténèbres que pour mes yeux. Mon intelligence est restée dans la lumière, malgré cela, dans la grâce de Dieu, et elle me dit que je ne dois pas faire de tort à l'Unique Saint qui soit en Israël.” “Homme, assez! Tu ne sais pas qu'il y a des châtiments pour ceux qui s'opposent aux magistrats?” “Moi, je ne sais rien. Je suis ici et j'y reste. Et vous n'avez pas intérêt à me nuire. Vous voyez que Ophel tout entier est de mon côté?” “Oui! Oui! Laissez-le! Chacals! Dieu le protège. Ne le touchez pas! Dieu est avec les pauvres! Dieu est avec nous, affameurs et hypocrites!” Les gens crient et menacent dans une de ces manifestations spontanées du peuple qui sont les explosions de l'indignation des humbles envers ceux qui les oppriment, ou d'amour pour ceux qui les protègent. Et ils crient: “Malheur à vous si vous frappez notre Sauveur! L'Ami des pauvres! Le Messie trois fois Saint. Malheur à vous! On n'a pas craint les colères d'Hérode, ni celles des Chefs, quand on a voulu. Nous ne craignons pas les vôtres, vieilles hyènes aux mâchoires édentées! Chacals aux ongles coupés! Inutiles autoritaires! Rome ne veut pas de tumulte et n'opprime pas le Rabbi car Lui est paix, mais elle vous connaît. Hors d'ici! Hors des quartiers de ceux que vous opprimez par des dîmes plus fortes que leurs ressources, afin d avoir de l'argent pour satisfaire vos désirs et conclure des marchés honteux. Descendants de Jason! De Simon! Tortionnaires des vrais Eléazar, des saints Onias. Vous méprisez les prophètes! Hors d'ici! Hors d'ici!” Le tumulte s'enflamme toujours plus. Joseph d'Arimathie, écrasé contre un muret, jusqu'alors spectateur attentif mais inactif des faits, avec une agilité insoupçonnable chez un homme âgé et de plus empêtré dans ses vêtements et ses manteaux, saute debout sur le muret et crie: “Silence, habitants. Et écoutez Joseph l'Ancien!” Une, deux, dix têtes se tournent dans la direction du cri. Elles voient Joseph, on crie son nom. Il doit être connu et jouir de la faveur populaire car les cris d'indignation font place aux cris de joie: “Il y a Joseph l'Ancien! Vive lui! Paix et longue vie au juste! Paix et bénédiction au bienfaiteur des malheureux! Silence, pour que Joseph parle! Silence!” Le silence s'établit non sans mal et, pendant quelques minutes, on entend le bruit du Cédron au-delà de l'impasse. Toutes les têtes sont tournées vers Joseph, oublieuses de l'objet qui les tournait en direction opposée: les cinq malheureux et imprévoyants qui ont provoqué le tumulte. “Habitants de Jérusalem, hommes d'Ophel, pourquoi vous laissez-vous aveugler par les soupçons et la colère? Pourquoi manquer au respect et aux coutumes, vous toujours si fidèles aux lois des pères? Que craignez-vous? Peut-être que le Temple soit un Moloch qui ne rend pas ce qu'il accueille? Peut-être que vos juges soient tous aveugles, plus que votre ami, aveugles de cœur et sourds en matière de justice? N'est-il pas d'usage qu'un fait prodigieux soit déposé, écrit et conservé par qui de droit pour les Chroniques d'Israël? Permettez donc que même pour l'honneur du Rabbi que vous aimez, le miraculé monte faire une déposition pour l'œuvre que Lui a accomplie. Vous hésitez encore? Eh bien je me porte garant qu'il n'arrivera aucun mal à Bartolmaï, et vous savez que je ne mens pas. Comme un fils qui m'est cher, je l'accompagnerai là-haut, et je vous le ramènerai ici ensuite. Fiez-vous à moi, et ne faites pas du sabbat un jour de péché en vous révoltant contre vos chefs.” “Il a raison! On ne doit pas, nous pouvons le croire. C'est un juste. Dans les bonnes délibérations du Sanhédrin, il y a toujours sa voix.” Les gens changent d'idée et finissent par crier: “A toi, oui, notre ami, nous te le confions!” Et en s'adressant au jeune homme: “Va! Ne crains pas. Avec Joseph d'Arimathie, tu es en sécurité comme avec ton père et davantage” et ils ouvrent leurs rangs pour que le jeune homme puisse rejoindre Joseph qui est descendu de sa tribune improvisée, et quand il passe, ils disent: “Nous venons nous aussi. Ne crains pas!” Joseph, dans ses riches vêtements de laine luxueuse, met une main sur l'épaule du jeune homme, et il se met en route. La tunique bise et usagée du jeune homme, son petit manteau, frottent l'ample vêtement rouge foncé et le riche manteau encore plus foncé du vieux synhédriste. Par derrière, les cinq, et ensuite les innombrables gens d'Ophel… Les voilà au Temple, après avoir traversé les rues centrales, attirant l'attention d'une foule de gens qui se montrent du doigt l'ancien aveugle en disant: “Mais c'est l'aveugle qui mendiait! Et maintenant il a des yeux! Mais peut-être est-ce quelqu'un qui lui ressemble! Non, c'est certainement lui, et ils le conduisent au Temple. Allons nous rendre compte” et le cortège grossit toujours plus, jusqu'au moment où les murs du Temple les engloutissent tous. Joseph conduit le jeune homme dans une salle, ce n'est pas le Sanhédrin, où il y a des pharisiens et des scribes nombreux. Joseph entre, et avec lui Bartolmaï et les cinq. Les gens du peuple d'Ophel sont repoussés dans la cour. “Voilà l'homme. Je vous l'ai amené moi-même ayant, sans être vu, assisté à sa rencontre avec le Rabbi et à sa guérison, et je puis vous dire que ce fut tout à fait fortuit de la part du Rabbi. L'homme, vous l'entendrez dire vous aussi, fut amené ou plutôt invité à aller où était le Rabbi, par Judas de Kériot, que vous connaissez. Et moi j'ai entendu, et aussi ces deux ont entendu comme moi car ils étaient présents, comment ce fut Judas qui engagea Jésus de Nazareth à faire le miracle. Maintenant je dépose ici que s'il y a lieu de punir quelqu'un, ce n'est pas l'aveugle ni le Rabbi, mais l'homme de Kériot qui, Dieu me voit si je mens en disant ce que pense mon intelligence, est le seul auteur du fait en tant qu'il l'a provoqué par une manœuvre préméditée. J'ai parlé.” “Ta déclaration n'annule pas la faute du Rabbi. Si son disciple pèche, le Maître ne doit pas pécher. Et Lui a péché en guérissant le jour du sabbat. Il a accompli une œuvre servile.” “Cracher par terre n'est pas faire œuvre servile, et toucher les yeux d'un autre n'est pas faire œuvre servile. Moi aussi je touche l'homme et je ne crois pas pécher.” “Il a fait un miracle le jour du sabbat: c'est en cela qu'est le péché.” “Honorer le sabbat par un miracle est une grâce de Dieu et de sa bonté. C'est son jour. Et le Tout Puissant ne peut-Il pas le célébrer par un miracle qui fait resplendir sa puissance?” “Nous ne sommes pas ici pour t'écouter. Tu n'es pas accusé. C'est l'homme que nous voulons interroger. À toi de répondre. Comment as-tu obtenu la vue?” “Je l'ai dit et eux m'ont entendu. Le disciple de ce Jésus m'a dit hier: "Viens et je te ferai guérir". Et je suis venu, et j'ai senti qu'on me mettait de la boue ici et une voix qui me disait d'aller à Siloé et de me laver. Je l'ai fait et j'y vois.” “Mais sais-tu qui t'a guéri?” “Bien sûr que je le sais! Jésus. Je vous l'ai dit.” “Mais sais-tu exactement qui est Jésus?” “Moi, je ne sais rien. Je suis un pauvre et un ignorant, et il y a peu de temps, j'étais aveugle. Cela, je le sais et je sais que Lui m'a guéri et s'il a pu le faire Dieu est certainement avec Lui.” “Ne blasphème pas! Dieu ne peut être avec celui qui n'observe pas le sabbat” crient certains. Mais Joseph et les pharisiens Eléazar, Jean et Joachim font remarquer: “Et pourtant un pécheur ne peut faire de tels prodiges.” “Vous êtes séduits vous aussi par ce possédé?” “Non. Nous sommes justes, et nous disons que si Dieu ne peut être avec celui qui opère le jour du sabbat, il n'est pas possible non plus qu'un homme sans l'aide de Dieu fasse qu'un aveugle-né y voie” dit avec calme Eléazar, et les autres sont de son avis. “Et le démon, où le mettez-vous?” crient, hargneux, les mauvais. “Je ne puis croire, et vous non plus ne le croyez pas, que le démon puisse faire des œuvres capables de faire louer le Seigneur” dit le pharisien Jean. “Et qui le loue?” Le jeune homme, ses parents, Ophel tout entier, et moi avec eux, et avec moi tous ceux qui sont justes et ont une crainte sainte de Dieu” réplique Joseph. Les mauvais, tout penauds, ne sachant qu'objecter, s'en prennent à Sidonia dit Bartolmaï: “Toi, que dis-tu de celui qui t'a ouvert les yeux?” “Pour moi, c'est un prophète, et plus grand qu'Élie avec le fils de la veuve de Sarepta. Car Élie a fait revenir l'âme dans l'enfant, mais ce Jésus m'a donné ce que je n'avais jamais perdu, ne l'ayant jamais eu: la vue. Et si, en un éclair, il m'a fait des yeux avec rien, sauf un peu de boue, alors qu'en neuf mois ma mère, avec sa chair et son sang n'a pas réussi à me les faire, il doit être grand comme Dieu qui avec de la boue a fait l'homme.” “Va-t'en! Va-t'en! Blasphémateur! Menteur! Vendu!” et ils chassent l'homme comme si c'était un damné. “L'homme ment. Ce ne peut être vrai. Tous peuvent le dire que celui qui est aveugle de naissance ne peut guérir. C'est peut-être quelqu'un qui ressemble à Bartolmaï, et que le Nazaréen a préparé… ou bien… Bartolmaï n'a jamais été aveugle.” Devant cette affirmation surprenante, Joseph d'Arimathie réplique: “Que la haine aveugle, on le sait depuis le temps de Caïn, mais qu'elle rende stupide, on ne le savait pas encore. Vous semble-t-il que quelqu'un arrive au plein développement de la jeunesse en feignant d'être aveugle pour… attendre un présumable événement éclatant et très éloigné? Ou que les parents de Bartolmaï ne connaissent pas leur fils ou se prêtent à ce mensonge?” “L'argent peut tout, et eux sont pauvres.” “Le Nazaréen l'est plus qu'eux.” “Tu mens! Il Lui passe par les mains des sommes de satrape.” “Mais elles ne s'y arrêtent pas un instant. Ces sommes appartiennent aux pauvres. Elles servent pour le bien, non pour le mensonge.” “Comme tu le défends! Et tu es un des Anciens!” “Joseph a raison. Il faut dire la vérité, quelle que soit la charge que l'homme occupe” dit Eléazar. “Courez rappeler l'aveugle et amenez-le de nouveau ici, et que d'autres aillent chercher les parents et les ramènent ici” crie Elchias en ouvrant la porte toute grande et en donnant ses ordres à certains qui attendent dehors. Et sa bouche est presque couverte de bave tant la colère l'étrangle. Les uns courent d'un côté, les autres de l'autre. Le premier qui revient c'est Sidonia dit Bartolmaï, étonné et ennuyé. Ils le fichent dans un coin le regardant comme une meute de chiens qui guette un gibier… Puis, après un bon moment, voilà qu'arrivent ses parents entourés de la foule. “Vous, venez dedans et les autres dehors!” Les deux entrent épouvantés et ils voient leur fils là-bas au fond, en bonne forme, mais en état d'arrestation. La mère gémit: “Mon fils! Et ce devait être un jour de fête pour nous!” “Écoutez-nous. C'est votre fils, cet homme?” demande avec rudesse un pharisien. “Oui, c'est notre fils! Et qui voulez-vous que ce soit sinon lui?” “Vous en êtes vraiment sûrs?” Le père et la mère sont tellement abasourdis par la question que avant de répondre ils se regardent. “Répondez!” “Noble pharisien, peux-tu penser qu'un père et une mère puissent se tromper à propos de leur enfant?” dit humblement le père. “Mais… pouvez-vous jurer que… Oui. Que pour une somme d'argent il ne vous a pas été demandé de dire que c'est votre fils alors que c'est quelqu'un qui lui ressemble?” “Demandé de dire? Et par qui donc? Jurer? Mais mille fois, et sur l'autel et le Nom de Dieu, si tu veux!” Et ils l'affirment avec tant d'assurance que le plus obstiné en serait démonté. Mais les pharisiens ne se démontent pas! Ils demandent: “Mais votre fils n'était pas né aveugle?” “Si, il était né ainsi. Avec les paupières closes et par dessous le vide, rien…” “Et comment donc y voit-il maintenant? Il a des yeux sur lesquels s'ouvrent des paupières. Vous ne voudriez tout de même pas dire que des yeux puissent naître ainsi, comme des fleurs au printemps, et qu'une paupière s'ouvre absolument comme le fait le calice d'une fleur!…” dit un autre pharisien avec un rire sarcastique. “Nous savons que cet homme est vraiment notre fils depuis presque trente ans, et qu'il est né aveugle, mais comment maintenant il y voit, nous ne le savons pas et nous ne savons pas qui lui a ouvert les yeux. Du reste, demandez-le-lui. Il n'est pas idiot et ce n'est pas un enfant. Il a l'âge. Interrogez-le et il vous répondra.” “Vous mentez” s'écrie un des deux qui avaient toujours suivi l'aveugle. “Lui, dans votre maison, a raconté comment il a été guéri et par qui. Pourquoi dites-vous que vous ne le savez pas?” “Nous étions tellement abasourdis par la surprise que nous n'avons pas entendu” disent les deux en s'excusant. Les pharisiens s'adressent à Sidonia dit Bartolmaï: “Avance ici, toi, et donne gloire à Dieu s'il t'est possible! Tu ne sais pas que celui qui t'a touché les yeux est un pécheur? Tu ne le sais pas? Eh bien apprends-le. Nous te le disons, nous qui le savons.” “Mais, ce sera comme vous dites. Pour moi, si c'est un pécheur, je ne le sais pas. Je sais seulement qu'avant j'étais aveugle et que maintenant j'y vois, et clair.” “Mais que t'a-t-il fait? Comment t'a-t-il ouvert les yeux?” “Je vous l'ai déjà dit et vous m'avez entendu. Maintenant vous voulez l'entendre de nouveau? Pourquoi? Peut-être voulez-vous devenir ses disciples?” “Imbécile! Sois-le, toi, disciple de cet homme. Nous, nous sommes disciples de Moïse, et nous savons tout de Moïse et que Dieu lui a parlé. Mais de cet homme nous ne savons rien, ni d'où il vient, ni qui il est, et aucun prodige du Ciel ne l'indique comme prophète.” “C'est là précisément que se trouve le merveilleux! Que vous ne savez pas d'où il est et que vous dites qu'aucun prodige n'indique qu'il soit juste. Mais Lui m'a ouvert les yeux et personne de nous d'Israël n'avait jamais pu le faire, pas même l'amour d'une mère et les sacrifices de mon père. Une chose pourtant que nous savons tous, aussi bien vous que moi, c'est que Dieu n'exauce pas le pécheur, mais celui qui craint Dieu et fait sa volonté. On n'a jamais entendu dire que quelqu'un dans le monde entier ait pu ouvrir les yeux à un aveugle-né, mais cela, Jésus l'a fait. Si Lui n'était pas de Dieu, il n'aurait pas pu le faire.” “Tu es né entièrement dans le péché, et tu as l'esprit difforme autant et plus que ne l'était ton corps, et tu prétends nous faire la leçon? Va-t'en, misérable avorton, et fais-toi satan avec ton séducteur. Dehors! Dehors, tout le monde, plèbe imbécile et pécheresse!” et ils les jettent dehors: fils, père et mère comme si c'étaient trois lépreux. Les trois s'en vont rapidement, suivis par leurs amis, mais arrivé hors de l'enceinte, Sidonia se retourne et dit: “Et restez! Et dites ce que vous voulez. Ce qu'il y a de vrai c'est que j'y vois et j'en loue Dieu. Et satan, c'est vous qui le serez, et non pas le Bon qui m'a guéri.” “Tais-toi, fils! Tais-toi! Pourvu que cela ne nous fasse pas du mal!…” gémit la mère. “Oh! ma mère! L'air de cette salle t'a empoisonné l'âme, toi qui dans ma douleur m'enseignais à louer Dieu et qui maintenant dans la joie ne sais pas le remercier, et qui crains les hommes? Si Dieu m'a tant aimé et t'a aimée au point de nous donner le miracle, ne saura-t-Il pas nous défendre d'une poignée d'hommes?” “Ton fils a raison, femme. Allons à notre synagogue pour louer le Seigneur, puisqu'ils nous ont chassés du Temple. Et allons-y vivement avant la fin du sabbat…” Et, pressant le pas, ils se perdent dans les chemins de la vallée.
Extrait de la Traduction de “L’évangile tel qu’il m’a été révélé” de Maria Valtorta ©Centro Editoriale Valtortiano, Italie http://www.mariavaltorta.com/
En sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme qui était aveugle de naissance. Ses disciples l'interrogèrent : « Rabbi, pourquoi cet homme est-il né aveugle ? Est-ce lui qui a péché, ou bien ses parents ? » Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents. Mais l'action de Dieu devait se manifester en lui. Il nous faut réaliser l'action de celui qui m'a envoyé, pendant qu'il fait encore jour ; déjà la nuit approche, et personne ne pourra plus agir. Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. » Cela dit, il cracha sur le sol et, avec la salive, il fit de la boue qu'il appliqua sur les yeux de l'aveugle, et il lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » (ce nom signifie : Envoyé). L'aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait. Ses voisins, et ceux qui étaient habitués à le rencontrer - car il était mendiant - dirent alors : « N'est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? » Les uns disaient : « C'est lui. » Les autres disaient : « Pas du tout, c'est quelqu'un qui lui ressemble. » Mais lui affirmait : « C'est bien moi. » Et on lui demandait : « Alors, comment tes yeux se sont-il ouverts ? » Il répondit : « L'homme qu'on appelle Jésus a fait de la boue, il m'en a frotté les yeux et il m'a dit : 'Va te laver à la piscine de Siloé. ' J'y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j'ai vu. » Ils lui dirent : « Et lui, où est-il ? » Il répondit : « Je ne sais pas. » On amène aux pharisiens cet homme qui avait été aveugle. Or, c'était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. A leur tour, les pharisiens lui demandèrent : « Comment se fait-il que tu voies ? » Il leur répondit : « Il m'a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et maintenant je vois. » Certains pharisiens disaient : « Celui-là ne vient pas de Dieu, puisqu'il n'observe pas le repos du sabbat. » D'autres répliquaient : « Comment un homme pécheur pourrait-il accomplir des signes pareils ? » Ainsi donc ils étaient divisés. Alors ils s'adressent de nouveau à l'aveugle : « Et toi, que dis-tu de lui, puisqu'il t'a ouvert les yeux ? » Il dit : « C'est un prophète. » Les Juifs ne voulaient pas croire que cet homme, qui maintenant voyait, avait été aveugle. C'est pourquoi ils convoquèrent ses parents et leur demandèrent : « Cet homme est bien votre fils, et vous dites qu'il est né aveugle ? Comment se fait-il qu'il voie maintenant ? » Les parents répondirent : « Nous savons que c'est bien notre fils, et qu'il est né aveugle. Mais comment peut-il voir à présent, nous ne le savons pas ; et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez grand pour s'expliquer. » Ses parents parlaient ainsi parce qu'ils avaient peur des Juifs. En effet, les Juifs s'étaient déjà mis d'accord pour exclure de la synagogue tous ceux qui déclareraient que Jésus est le Messie. Voilà pourquoi les parents avaient dit : « Il est assez grand, interrogez-le ! » Pour la seconde fois, les pharisiens convoquèrent l'homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. » Il répondit : « Est-ce un pécheur ? Je n'en sais rien ; mais il y a une chose que je sais : j'étais aveugle, et maintenant je vois. » Ils lui dirent alors : « Comment a-t-il fait pour t'ouvrir les yeux ? » Il leur répondit : « Je vous l'ai déjà dit, et vous n'avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous m'entendre encore une fois ? Serait-ce que vous aussi vous voulez devenir ses disciples ? » Ils se mirent à l'injurier : « C'est toi qui es son disciple ; nous, c'est de Moïse que nous sommes les disciples. Moïse, nous savons que Dieu lui a parlé ; quant à celui-là, nous ne savons pas d'où il est. » L'homme leur répondit : « Voilà bien ce qui est étonnant ! Vous ne savez pas d'où il est, et pourtant il m'a ouvert les yeux. Comme chacun sait, Dieu n'exauce pas les pécheurs, mais si quelqu'un l'honore et fait sa volonté, il l'exauce. Jamais encore on n'avait entendu dire qu'un homme ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si cet homme-là ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » Ils répliquèrent : « Tu es tout entier plongé dans le péché depuis ta naissance, et tu nous fais la leçon ? » Et ils le jetèrent dehors. Jésus apprit qu'ils l'avaient expulsé. Alors il vint le trouver et lui dit : « Crois-tu au Fils de l'homme ? » Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? » Jésus lui dit : « Tu le vois, et c'est lui qui te parle. » Il dit : « Je crois, Seigneur ! », et il se prosterna devant lui. Jésus dit alors : « Je suis venu en ce monde pour une remise en question : pour que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » Des pharisiens qui se trouvaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Serions-nous des aveugles, nous aussi ? » Jésus leur répondit : « Si vous étiez des aveugles, vous n'auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : 'Nous voyons ! ' votre péché demeure.
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris
Correspondance dans "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta : Tome 7, Ch 207, p 323 - CD 7 (2ème cd), piste 20 -
Jésus sort avec ses apôtres et Joseph de Sephoris se dirigeant vers la synagogue. La journée, limpide et sereine, réjouit comme une promesse de printemps après les jours venteux et couverts, vrais jours d'hiver. Beaucoup de gens de Jérusalem sont donc sur les routes, les uns allant vers les synagogues, d'autres en revenant ou venant d'autres lieux, certains avec leur famille afin de sortir de la ville pour jouir du soleil dans la campagne. De la Porte d'Hérode, visible de la maison de Joseph de Sephoris, on voit les gens quitter les murs pour des distractions joyeuses, en plein air. Un plongeon dans la verdure, dans l'espace, dans la liberté, en dehors des rues étroites entre les hautes maisons. Je crois que la ceinture champêtre qui entourait Jérusalem avait été voulue spontanément par les habitants qui voulaient concilier la mesure du chemin du sabbat avec leur désir d'air et de soleil, qu'ils prenaient sur les routes, et non seulement sur les terrasses des maisons. Mais Jésus ne va pas vers la porte d'Hérode. Au contraire, il lui tourne le dos pour se diriger vers l'intérieur de la ville. Mais il n'a fait que quelques pas sur la route plus large, où débouche le petit chemin où se trouve la maison de Joseph de Sephoris, que Judas de Kériot attire son attention sur un jeune homme qui s'avance vers eux, en tâtant les murs avec un bâton, en levant en l'air son visage sans yeux, avec la démarche particulière aux aveugles. Ses habits sont pauvres mais propres, et ce doit être une personne connue de beaucoup de gens de Jérusalem car plusieurs le montrent du doigt et certains lui disent: “Homme, aujourd'hui tu t'es trompé de route. Les chemins du Moriah sont tous dépassés, tu es déjà à Bézéta.” “Je ne demande pas d'argent aujourd'hui” répond l'aveugle avec un sourire et il avance toujours avec ce sourire vers le nord de la ville. “Maître, observe-le. Il a les paupières soudées ou plutôt je dirais qu'il n'a pas de paupières. Le front rejoint les joues sans aucune cavité et il semble que par dessous il n'y ait pas de globes oculaires. Il est né ainsi, le malheureux, et il mourra de même sans avoir vu une seule fois la lumière du soleil ni le visage d'un homme. Maintenant, Maître, dis-moi: pour être ainsi puni, il a certainement péché. Mais s'il est né aveugle, comme c'est certain, comment peut-il avoir péché avant de naître? Peut-être ses parents ont péché et Dieu les a punis en le faisant naître ainsi?” Les autres apôtres aussi, avec Isaac et Margziam, se serrent près de Jésus pour entendre sa réponse. Et pressant le pas, comme attirés par la haute taille de Jésus, qui domine la foule, accourent deux hiérosolymitains de condition aisée qui étaient un peu en arrière de l'aveugle et entre eux se trouve Joseph d'Arimathie qui ne s'approche pas mais, adossé a un portail élevé sur deux marches, tourne ses regards vers tous les visages pour les observer. Jésus répond et on entend clairement ses paroles dans le silence qui s'est fait: “Ni lui ni ses parents n'ont péché plus que ne pèche tout homme, et peut-être moins aussi, car souvent la pauvreté est un frein pour le péché. Mais il est né ainsi pour qu'une fois encore, soient manifestées en lui la puissance et les œuvres de Dieu. Je suis la Lumière venue dans le monde pour que ceux du monde, qui ont oublié Dieu ou perdu son image spirituelle, voient et se souviennent, et pour que ceux qui cherchent Dieu, ou Lui appartiennent déjà, soient confirmés dans la foi et dans l'amour. Le Père m'a envoyé pour que, dans le jour qui est encore accordé à Israël, je complète la connaissance de Dieu en Israël et dans le monde. Voici donc que je dois accomplir les œuvres de Celui qui m'a envoyé pour témoigner que je puis ce que Lui peut, parce que je suis Un avec Lui, et pour que le monde sache et voie que le Fils n'est pas dissemblable du Père et pour qu'il croie en Moi pour ce que je suis. Après viendra la nuit pendant laquelle on ne peut plus travailler, la ténèbre, et celui qui ne se sera pas gravé mon signe et la foi en Moi, ne pourra plus le faire dans les ténèbres et la confusion, la douleur, la désolation et la ruine qui couvriront ces lieux et étourdiront les esprits par la surexcitation des peines. Mais, tant que je suis dans le monde, je suis Lumière et Témoignage, Parole, Chemin et Vie, Sagesse, Puissance et Miséricorde. Va donc, rejoins l'aveugle et amène-le ici.” “Vas-y toi, André, je veux rester ici et voir ce que fait le Maître” répond Judas en montrant Jésus qui s'est penché sur le chemin poussiéreux, a craché sur un petit tas de terre et est en train de délayer avec le doigt la poussière dans la salive pour former une boulette de boue. Pendant qu'André, toujours condescendant va prendre l'aveugle qui va tourner dans le petit chemin où se trouve la maison de Joseph de Sephoris, Jésus étend la boue sur ses deux index en restant ainsi les mains tendues comme le prêtre pendant la Sainte Messe. Cependant Judas quitte sa place pour dire à Mathieu et à Pierre: “Venez ici, vous qui n'avez pas une grande taille, et vous verrez mieux.” Et il se met en arrière de tout le monde, presque caché par les fils d'Alphée et par Barthélemy, qui sont grands. André revient en tenant par la main l'aveugle qui s'époumone à dire: “Je ne veux pas d'argent. Laisse-moi aller. Je sais où se trouve celui qu'on appelle Jésus, et je vais pour demander…” “C'est Jésus qui est devant toi” lui dit André en s'arrêtant devant le Maître. Jésus, contrairement à son habitude, ne demande rien à l'homme. Il lui étend de suite sur les paupières closes un peu de la boue qu'il a sur les index et il lui commande: “Et maintenant va le plus rapidement possible à la citerne de Siloé, sans t'arrêter pour parler avec quelqu'un.” L'aveugle, avec son visage barbouillé de boue, reste un instant perplexe et il ouvre les lèvres pour parler, puis il les ferme et il obéit. Les premiers pas sont lents comme s'il était pensif ou bien déçu, puis il presse le pas en rasant le mur avec son bâton, de plus en plus vite, autant que le peut un aveugle, peut-être davantage, comme s'il se sentait guidé… Les deux hiérosolymitains ont un rire sarcastique et, en hochant la tête, ils s'en vont. Joseph d'Arimathie, et le fait m'étonne, les suit sans même saluer le Maître et il revient sur ses pas, c'est-à-dire vers le Temple, alors qu'il venait de cette direction. Ainsi, tant l'aveugle que les deux et que Joseph d'Arimathie, vont vers le sud de la ville, alors que Jésus tourne vers l'occident, et je le perds de vue car la volonté du Seigneur me fait suivre l'aveugle et ceux qui le suivent. Après avoir passé Bézéta, ils entrent tous dans la vallée qui se trouve entre le Moriah et Sion il me semble l'avoir entendu appeler Tiropéon d'autres fois ils la suivent toute entière jusqu'à Ophel, la côtoient, sortent sur la route qui va à la fontaine de Siloé, en restant toujours dans cet ordre: d'abord l'aveugle qui doit être connu dans ce quartier populaire, puis les deux, en dernier lieu, à quelque distance, Joseph d'Arimathie. Joseph s'arrête près d'une maisonnette insignifiante, à demi caché par une haie de buis qui fait saillie en contournant le jardinet de la pauvre maison. Mais les deux s'en vont tout près de la fontaine. Ils observent l'aveugle qui s'approche avec précaution du vaste bassin et, en tâtant le mur humide, plonge une main qu'il retire toute ruisselante et il se lave les yeux, une, deux, trois fois. La troisième fois, il presse aussi sur son visage l'autre main en laissant tomber son bâton et en poussant un cri que semble provoquer la douleur. Puis il enlève lentement les mains et son précédent cri de douleur se change en un cri de joie: “Oh! Très-Haut! Je vois!” et il se jette à terre comme vaincu par l'émotion, met ses mains pour protéger ses yeux, les serre aux tempes, anxieux de voir, mais gêné par la lumière et il répète: “J'y vois! J'y vois! C'est donc cela la terre! La lumière! L'herbe que je ne connaissais que par sa fraîcheur…” Il se lève tout en restant courbé, comme quelqu'un qui porte un poids, le poids de sa joie, va au ruisselet qui évacue le trop-plein d'eau et il le regarde courir, scintillant et riant et il murmure: “Et ceci, c'est l'eau… Voilà! C'est ainsi que je la sentais entre mes doigts (il y plonge la main) froide et coulante, mais je ne la connaissais pas… Ah! Belle! Belle! Comme tout est beau!” Il lève le visage et voit un arbre… il s'en approche, le touche, étend la main, attire à lui une branchette, la regarde et rit, il rit, abrite ses yeux de la main, et il regarde le ciel, le soleil, et deux larmes tombent de ses paupières vierges qu'il a ouvertes pour contempler le monde… Et il abaisse les yeux sur l'herbe où une fleur se balance sur sa tige et il voit son image que reflète l'eau du ruisselet, il se regarde et dit: “C'est ainsi que je suis!” Il observe avec étonnement une tourterelle qui est venue boire un peu plus loin et une chevrette qui arrache les dernières feuilles d'un rosier sauvage, puis une femme qui vient à la fontaine avec un bébé sur son sein. Et cette femme lui rappelle sa mère, sa mère au visage inconnu, et levant les bras au ciel, il s'écrie: “Sois béni, Très-Haut, pour la lumière, pour la mère et pour Jésus!” et il s'en va en courant, laissant par terre son bâton désormais inutile… Les deux n'ont pas attendu de voir tout cela. Dès qu'ils ont vu que l'homme y voyait, ils sont partis en courant vers la ville. Joseph, au contraire, reste jusqu'à la fin et quand l'aveugle qui ne l'est plus, lui passe devant pour entrer dans le dédale des ruelles du quartier populeux d'Ophel, à son tour il quitte sa place et revient sur ses pas, vers la ville, tout pensif… Le quartier d'Ophel, toujours bruyant, est maintenant en pleine ébullition. On court à droite, à gauche, on questionne, on répond. “Mais vous l'aurez confondu avec un autre…” “Non, te dis-je. Je lui ai parlé et lui ai dit: "Mais est-ce bien toi, Sidonia surnommé Bartolmaï?” et lui m'a dit: "C'est moi". Je voulais lui demander comment c'était arrivé, mais il est parti en courant.” “Où est-il maintenant?” “Chez sa mère, certainement.” “Qui? Qui l'a vu?” demandent des gens qui accourent. “Moi. Moi” répondent plusieurs. “Mais comment est-ce arrivé?” “… Je l'ai vu qui courait sans bâton avec deux yeux au visage et j'ai dit: "Regarde! Ce serait bien Bartolmaï si…"“ “Je te dis que j'en suis toute tremblante. En entrant, il a crié: "Mère, je te vois!"“ “Une grande joie pour les parents. Maintenant il pourra aider son père et gagner sa nourriture…” “La pauvre femme! Elle a eu un malaise par la joie. Oh! une chose! Une chose! J'étais allée pour demander un peu de sel et…” “Courons chez lui, pour savoir…” Joseph d'Arimathie se trouve pris au milieu de ce vacarme et, je ne sais si c'est par curiosité ou par esprit d'imitation, il suit le courant et aboutit dans une impasse, qui se dirigerait vers le Cédron, et où la foule se presse, empêchant d'entendre à cause de ses cris le bruit du torrent, gonflé par les pluies d'automne. Et Joseph y arrive quand, d'une autre ruelle qui débouche dans l'impasse, arrivent les deux de tout à l'heure avec trois autres: un scribe, un prêtre et un troisième que son vêtement ne me permet pas d'identifier. Ils se fraient un passage, autoritaires, et cherchent à entrer dans la maison bondée. La maison comprend une vaste cuisine noire comme du goudron, avec un coin qui en est séparé par une cloison rustique au-delà de laquelle se trouve un grabat et une porte qui donne dans une autre pièce avec un lit plus grand. Une porte, ouverte dans le mur opposé, fait voir un jardinet de quelques mètres carrés. Et c'est tout. L'aveugle guéri parle appuyé à une table, répondant à ceux qui l'interrogent, tous de pauvres gens comme lui, menu peuple de Jérusalem, de ce quartier, qui est peut-être le plus pauvre de tous. Sa mère, debout près de lui, le regarde et elle pleure en s'essuyant les yeux avec son voile. Le père, un homme usé par le travail, se tourmente la barbe de sa main agitée par un tremblement. L'entrée dans la maison est impossible, même aux juifs et aux docteurs autoritaires, et les cinq doivent écouter du dehors les paroles de l'homme guéri. “Comment ils se sont ouverts? Cet homme, que l'on appelle Jésus, m'a barbouillé les yeux avec de la terre mouillée, et il m'a dit: "Va te laver à la fontaine de Siloé". J'y suis allé, je me suis lavé et mes yeux se sont ouverts et j'ai vu.” “Mais comment as-tu fait pour trouver le Rabbi? Tu disais toujours que tu étais malheureux, car jamais tu ne le rencontrais même quand il passait par ici pour aller chez Jonas au Gethsémani. Et aujourd'hui, maintenant qu'on ne sait jamais où il est…” “Hé! hier soir, un de ses disciples est venu et il m'a donné deux pièces de monnaie en disant: "Pourquoi ne cherches-tu pas de voir?" Je lui ai dit: "J'ai cherché, mais je ne trouve jamais ce Jésus qui fait des miracles. Je le cherche depuis qu'il a guéri Annalia qui est de mon quartier, mais si je vais dans un endroit, il est dans un autre…" Et il m'a dit: "Je suis un de ses apôtres, et ce que je Lui dis, moi, il le fait. Viens demain à Bézéta et cherche la maison de Joseph le galiléen, celui du poisson sec, Joseph de Sephoris, près de la Porte d'Hérode et du tournant de la place, du côté de l'orient, et tu verras que tôt ou tard il passe par là ou entre dans la maison et moi, je t'indiquerai au Maître". J'ai dit: "Mais demain, c'est le sabbat". Je voulais dire qu'il ne ferait rien pendant le sabbat. Il m'a dit: "Si tu veux guérir, c'est le jour, car après on quitte la ville et tu ne sais pas si tu pourras le rencontrer". Moi, j'ai dit encore: "Je sais qu'on le persécute. J'ai entendu depuis les portes de l'enceinte du Temple où je vais mendier. Aussi je dis que maintenant qu'ils le persécutent ainsi, il voudra encore moins qu'on le persécute et il ne me guérira pas le jour du sabbat". Et lui: "Fais ce que je te dis et le jour du sabbat tu verras le soleil". Et j'y suis allé. Qui n'y serait pas allé? Alors que c'est son apôtre qui le dit! Il m'a dit aussi: "Je suis celui qu'il écoute le plus, et je viens exprès car tu me fais pitié et je veux que sa puissance resplendisse après qu'ils l'ont méprisé. Toi, aveugle de naissance, tu la feras resplendir. Je sais ce que je dis. Viens et tu verras!". Et j'y suis allé et je n'étais pas encore arrivé à la maison de Joseph lorsqu'un homme m'a pris par la main, mais d'après la voix ce n'était pas celui d'hier, et il m'a dit: "Viens avec moi, frère" et je ne voulais pas aller, je croyais qu'il voulait me donner du pain et de l'argent, peut-être des vêtements, et je lui disais de me laisser aller parce que je savais où trouver Celui qu'on appelle Jésus. Et l'homme m'a dit: "Voici Jésus. Il est devant toi". Mais je n'ai rien vu car j'étais aveugle. J'ai senti deux doigts couverts de terre mouillée qui me touchaient des deux côtés et une voix qui disait: "Va vivement à Siloé et lave-toi et ne parle à personne" et je l'ai fait. Mais j'étais découragé car j'espérais y voir tout de suite et j'ai failli croire que c'était une plaisanterie de jeunes gens sans cœur et je me refusais presque à y aller, mais j'ai entendu une sorte de voix me dire: "Espère et obéis" et alors je suis allé à la fontaine et je me suis lavé et j'ai vu.” Et le jeune s'arrête extasié pour repenser à la joie de sa première vision… “Faites sortir l'homme. Nous voulons l'interroger” crient les cinq. Le jeune homme se fraie un chemin et sort sur le seuil. “Où est Celui qui t'a guéri?” “Je ne le sais pas” dit le jeune homme auquel un ami a murmuré: “Ce sont des scribes et des prêtres.” “Comment ne le sais-tu pas? Tu disais tout à l'heure que tu le savais. Ne mens pas aux docteurs de la Loi et au prêtre! Malheur à celui qui cherche à tromper les magistrats du peuple!” “Je ne trompe personne. Ce disciple m'a dit: "Il est dans cette maison" et c'était vrai, car j'en étais tout près quand j'ai été pris et conduit à Lui. Mais où il est maintenant, je ne le sais pas. Le disciple m'a dit qu'ils s'en vont. Il pourrait déjà avoir franchi les portes.” “Mais où allait-il?” “Qu'est-ce que j'en sais?! Peut-être en Galilée… Pour la façon dont on le traite ici!…” “Imbécile et impoli! Fais attention à la façon dont tu parles, lie du peuple! Je t'ai demandé par quelle route il se dirigeait.” “Mais comment voulez-vous que je le sache puisque j'étais aveugle? Un aveugle peut-il dire où va un autre?” “C'est bien. Suis-nous.” “Où voulez-vous me conduire?” “Chez les chefs des pharisiens.” “Pourquoi? Qu'ont-ils à faire avec moi? M'ont-ils guéri, par hasard, eux, pour que je doive les remercier? Quand j'étais aveugle et que je mendiais, mes mains n'ont jamais palpé leur argent, mes oreilles n'ont jamais entendu d'eux un mot de pitié, et mon cœur n'a jamais connu leur amour. Que dois-je leur dire? Il n'y en a qu'un à qui je doive dire "merci" après mon père et ma mère, qui pendant tant d'années m'ont aimé malheureux. Et c'est ce Jésus qui m'a guéri en m'aimant de tout son cœur, comme mes parents avec le leur, Moi, je ne vais pas trouver les pharisiens. Je reste avec ma mère et mon père pour jouir de voir leurs visages, et eux mes yeux qui sont nés maintenant, après tant de printemps depuis celui où je suis né, mais sans voir la lumière.” “Pas tant de paroles. Viens et suis-nous.” “Que non! Je ne viens pas! Avez-vous jamais par hasard essuyé une larme à ma mère humiliée par mon malheur, ou une sueur à mon père épuisé par le travail? Maintenant je puis le faire par mon aspect et je devrais les quitter et vous suivre?” “Nous te le commandons. Ce n'est pas toi qui commandes, mais le Temple et les chefs du peuple. Si l'orgueil d'être guéri te ferme l'intelligence pour te rappeler que nous commandons, nous te le rappelons. Avance! Marche!” “Mais pourquoi dois-je venir? Que voulez-vous de moi?” “Pour que tu fasses une déposition. C'est le sabbat. Œuvre accomplie pendant le sabbat. Elle doit être enregistrée à cause du péché, de ton péché et de celui de ce satan.” “C'est vous qui êtes satan! Vous qui êtes péché! Et je devrais venir déposer contre celui qui m'a fait du bien? Vous êtes ivres! Je viendrai au Temple pour bénir le Seigneur et rien de plus. J'ai été pendant tant d'années dans l'ombre de la cécité, mais mes paupières closes n'ont produit de ténèbres que pour mes yeux. Mon intelligence est restée dans la lumière, malgré cela, dans la grâce de Dieu, et elle me dit que je ne dois pas faire de tort à l'Unique Saint qui soit en Israël.” “Homme, assez! Tu ne sais pas qu'il y a des châtiments pour ceux qui s'opposent aux magistrats?” “Moi, je ne sais rien. Je suis ici et j'y reste. Et vous n'avez pas intérêt à me nuire. Vous voyez que Ophel tout entier est de mon côté?” “Oui! Oui! Laissez-le! Chacals! Dieu le protège. Ne le touchez pas! Dieu est avec les pauvres! Dieu est avec nous, affameurs et hypocrites!” Les gens crient et menacent dans une de ces manifestations spontanées du peuple qui sont les explosions de l'indignation des humbles envers ceux qui les oppriment, ou d'amour pour ceux qui les protègent. Et ils crient: “Malheur à vous si vous frappez notre Sauveur! L'Ami des pauvres! Le Messie trois fois Saint. Malheur à vous! On n'a pas craint les colères d'Hérode, ni celles des Chefs, quand on a voulu. Nous ne craignons pas les vôtres, vieilles hyènes aux mâchoires édentées! Chacals aux ongles coupés! Inutiles autoritaires! Rome ne veut pas de tumulte et n'opprime pas le Rabbi car Lui est paix, mais elle vous connaît. Hors d'ici! Hors des quartiers de ceux que vous opprimez par des dîmes plus fortes que leurs ressources, afin d avoir de l'argent pour satisfaire vos désirs et conclure des marchés honteux. Descendants de Jason! De Simon! Tortionnaires des vrais Eléazar, des saints Onias. Vous méprisez les prophètes! Hors d'ici! Hors d'ici!” Le tumulte s'enflamme toujours plus. Joseph d'Arimathie, écrasé contre un muret, jusqu'alors spectateur attentif mais inactif des faits, avec une agilité insoupçonnable chez un homme âgé et de plus empêtré dans ses vêtements et ses manteaux, saute debout sur le muret et crie: “Silence, habitants. Et écoutez Joseph l'Ancien!” Une, deux, dix têtes se tournent dans la direction du cri. Elles voient Joseph, on crie son nom. Il doit être connu et jouir de la faveur populaire car les cris d'indignation font place aux cris de joie: “Il y a Joseph l'Ancien! Vive lui! Paix et longue vie au juste! Paix et bénédiction au bienfaiteur des malheureux! Silence, pour que Joseph parle! Silence!” Le silence s'établit non sans mal et, pendant quelques minutes, on entend le bruit du Cédron au-delà de l'impasse. Toutes les têtes sont tournées vers Joseph, oublieuses de l'objet qui les tournait en direction opposée: les cinq malheureux et imprévoyants qui ont provoqué le tumulte. “Habitants de Jérusalem, hommes d'Ophel, pourquoi vous laissez-vous aveugler par les soupçons et la colère? Pourquoi manquer au respect et aux coutumes, vous toujours si fidèles aux lois des pères? Que craignez-vous? Peut-être que le Temple soit un Moloch qui ne rend pas ce qu'il accueille? Peut-être que vos juges soient tous aveugles, plus que votre ami, aveugles de cœur et sourds en matière de justice? N'est-il pas d'usage qu'un fait prodigieux soit déposé, écrit et conservé par qui de droit pour les Chroniques d'Israël? Permettez donc que même pour l'honneur du Rabbi que vous aimez, le miraculé monte faire une déposition pour l'œuvre que Lui a accomplie. Vous hésitez encore? Eh bien je me porte garant qu'il n'arrivera aucun mal à Bartolmaï, et vous savez que je ne mens pas. Comme un fils qui m'est cher, je l'accompagnerai là-haut, et je vous le ramènerai ici ensuite. Fiez-vous à moi, et ne faites pas du sabbat un jour de péché en vous révoltant contre vos chefs.” “Il a raison! On ne doit pas, nous pouvons le croire. C'est un juste. Dans les bonnes délibérations du Sanhédrin, il y a toujours sa voix.” Les gens changent d'idée et finissent par crier: “A toi, oui, notre ami, nous te le confions!” Et en s'adressant au jeune homme: “Va! Ne crains pas. Avec Joseph d'Arimathie, tu es en sécurité comme avec ton père et davantage” et ils ouvrent leurs rangs pour que le jeune homme puisse rejoindre Joseph qui est descendu de sa tribune improvisée, et quand il passe, ils disent: “Nous venons nous aussi. Ne crains pas!” Joseph, dans ses riches vêtements de laine luxueuse, met une main sur l'épaule du jeune homme, et il se met en route. La tunique bise et usagée du jeune homme, son petit manteau, frottent l'ample vêtement rouge foncé et le riche manteau encore plus foncé du vieux synhédriste. Par derrière, les cinq, et ensuite les innombrables gens d'Ophel… Les voilà au Temple, après avoir traversé les rues centrales, attirant l'attention d'une foule de gens qui se montrent du doigt l'ancien aveugle en disant: “Mais c'est l'aveugle qui mendiait! Et maintenant il a des yeux! Mais peut-être est-ce quelqu'un qui lui ressemble! Non, c'est certainement lui, et ils le conduisent au Temple. Allons nous rendre compte” et le cortège grossit toujours plus, jusqu'au moment où les murs du Temple les engloutissent tous. Joseph conduit le jeune homme dans une salle, ce n'est pas le Sanhédrin, où il y a des pharisiens et des scribes nombreux. Joseph entre, et avec lui Bartolmaï et les cinq. Les gens du peuple d'Ophel sont repoussés dans la cour. “Voilà l'homme. Je vous l'ai amené moi-même ayant, sans être vu, assisté à sa rencontre avec le Rabbi et à sa guérison, et je puis vous dire que ce fut tout à fait fortuit de la part du Rabbi. L'homme, vous l'entendrez dire vous aussi, fut amené ou plutôt invité à aller où était le Rabbi, par Judas de Kériot, que vous connaissez. Et moi j'ai entendu, et aussi ces deux ont entendu comme moi car ils étaient présents, comment ce fut Judas qui engagea Jésus de Nazareth à faire le miracle. Maintenant je dépose ici que s'il y a lieu de punir quelqu'un, ce n'est pas l'aveugle ni le Rabbi, mais l'homme de Kériot qui, Dieu me voit si je mens en disant ce que pense mon intelligence, est le seul auteur du fait en tant qu'il l'a provoqué par une manœuvre préméditée. J'ai parlé.” “Ta déclaration n'annule pas la faute du Rabbi. Si son disciple pèche, le Maître ne doit pas pécher. Et Lui a péché en guérissant le jour du sabbat. Il a accompli une œuvre servile.” “Cracher par terre n'est pas faire œuvre servile, et toucher les yeux d'un autre n'est pas faire œuvre servile. Moi aussi je touche l'homme et je ne crois pas pécher.” “Il a fait un miracle le jour du sabbat: c'est en cela qu'est le péché.” “Honorer le sabbat par un miracle est une grâce de Dieu et de sa bonté. C'est son jour. Et le Tout Puissant ne peut-Il pas le célébrer par un miracle qui fait resplendir sa puissance?” “Nous ne sommes pas ici pour t'écouter. Tu n'es pas accusé. C'est l'homme que nous voulons interroger. À toi de répondre. Comment as-tu obtenu la vue?” “Je l'ai dit et eux m'ont entendu. Le disciple de ce Jésus m'a dit hier: "Viens et je te ferai guérir". Et je suis venu, et j'ai senti qu'on me mettait de la boue ici et une voix qui me disait d'aller à Siloé et de me laver. Je l'ai fait et j'y vois.” “Mais sais-tu qui t'a guéri?” “Bien sûr que je le sais! Jésus. Je vous l'ai dit.” “Mais sais-tu exactement qui est Jésus?” “Moi, je ne sais rien. Je suis un pauvre et un ignorant, et il y a peu de temps, j'étais aveugle. Cela, je le sais et je sais que Lui m'a guéri et s'il a pu le faire Dieu est certainement avec Lui.” “Ne blasphème pas! Dieu ne peut être avec celui qui n'observe pas le sabbat” crient certains. Mais Joseph et les pharisiens Eléazar, Jean et Joachim font remarquer: “Et pourtant un pécheur ne peut faire de tels prodiges.” “Vous êtes séduits vous aussi par ce possédé?” “Non. Nous sommes justes, et nous disons que si Dieu ne peut être avec celui qui opère le jour du sabbat, il n'est pas possible non plus qu'un homme sans l'aide de Dieu fasse qu'un aveugle-né y voie” dit avec calme Eléazar, et les autres sont de son avis. “Et le démon, où le mettez-vous?” crient, hargneux, les mauvais. “Je ne puis croire, et vous non plus ne le croyez pas, que le démon puisse faire des œuvres capables de faire louer le Seigneur” dit le pharisien Jean. “Et qui le loue?” Le jeune homme, ses parents, Ophel tout entier, et moi avec eux, et avec moi tous ceux qui sont justes et ont une crainte sainte de Dieu” réplique Joseph. Les mauvais, tout penauds, ne sachant qu'objecter, s'en prennent à Sidonia dit Bartolmaï: “Toi, que dis-tu de celui qui t'a ouvert les yeux?” “Pour moi, c'est un prophète, et plus grand qu'Élie avec le fils de la veuve de Sarepta. Car Élie a fait revenir l'âme dans l'enfant, mais ce Jésus m'a donné ce que je n'avais jamais perdu, ne l'ayant jamais eu: la vue. Et si, en un éclair, il m'a fait des yeux avec rien, sauf un peu de boue, alors qu'en neuf mois ma mère, avec sa chair et son sang n'a pas réussi à me les faire, il doit être grand comme Dieu qui avec de la boue a fait l'homme.” “Va-t'en! Va-t'en! Blasphémateur! Menteur! Vendu!” et ils chassent l'homme comme si c'était un damné. “L'homme ment. Ce ne peut être vrai. Tous peuvent le dire que celui qui est aveugle de naissance ne peut guérir. C'est peut-être quelqu'un qui ressemble à Bartolmaï, et que le Nazaréen a préparé… ou bien… Bartolmaï n'a jamais été aveugle.” Devant cette affirmation surprenante, Joseph d'Arimathie réplique: “Que la haine aveugle, on le sait depuis le temps de Caïn, mais qu'elle rende stupide, on ne le savait pas encore. Vous semble-t-il que quelqu'un arrive au plein développement de la jeunesse en feignant d'être aveugle pour… attendre un présumable événement éclatant et très éloigné? Ou que les parents de Bartolmaï ne connaissent pas leur fils ou se prêtent à ce mensonge?” “L'argent peut tout, et eux sont pauvres.” “Le Nazaréen l'est plus qu'eux.” “Tu mens! Il Lui passe par les mains des sommes de satrape.” “Mais elles ne s'y arrêtent pas un instant. Ces sommes appartiennent aux pauvres. Elles servent pour le bien, non pour le mensonge.” “Comme tu le défends! Et tu es un des Anciens!” “Joseph a raison. Il faut dire la vérité, quelle que soit la charge que l'homme occupe” dit Eléazar. “Courez rappeler l'aveugle et amenez-le de nouveau ici, et que d'autres aillent chercher les parents et les ramènent ici” crie Elchias en ouvrant la porte toute grande et en donnant ses ordres à certains qui attendent dehors. Et sa bouche est presque couverte de bave tant la colère l'étrangle. Les uns courent d'un côté, les autres de l'autre. Le premier qui revient c'est Sidonia dit Bartolmaï, étonné et ennuyé. Ils le fichent dans un coin le regardant comme une meute de chiens qui guette un gibier… Puis, après un bon moment, voilà qu'arrivent ses parents entourés de la foule. “Vous, venez dedans et les autres dehors!” Les deux entrent épouvantés et ils voient leur fils là-bas au fond, en bonne forme, mais en état d'arrestation. La mère gémit: “Mon fils! Et ce devait être un jour de fête pour nous!” “Écoutez-nous. C'est votre fils, cet homme?” demande avec rudesse un pharisien. “Oui, c'est notre fils! Et qui voulez-vous que ce soit sinon lui?” “Vous en êtes vraiment sûrs?” Le père et la mère sont tellement abasourdis par la question que avant de répondre ils se regardent. “Répondez!” “Noble pharisien, peux-tu penser qu'un père et une mère puissent se tromper à propos de leur enfant?” dit humblement le père. “Mais… pouvez-vous jurer que… Oui. Que pour une somme d'argent il ne vous a pas été demandé de dire que c'est votre fils alors que c'est quelqu'un qui lui ressemble?” “Demandé de dire? Et par qui donc? Jurer? Mais mille fois, et sur l'autel et le Nom de Dieu, si tu veux!” Et ils l'affirment avec tant d'assurance que le plus obstiné en serait démonté. Mais les pharisiens ne se démontent pas! Ils demandent: “Mais votre fils n'était pas né aveugle?” “Si, il était né ainsi. Avec les paupières closes et par dessous le vide, rien…” “Et comment donc y voit-il maintenant? Il a des yeux sur lesquels s'ouvrent des paupières. Vous ne voudriez tout de même pas dire que des yeux puissent naître ainsi, comme des fleurs au printemps, et qu'une paupière s'ouvre absolument comme le fait le calice d'une fleur!…” dit un autre pharisien avec un rire sarcastique. “Nous savons que cet homme est vraiment notre fils depuis presque trente ans, et qu'il est né aveugle, mais comment maintenant il y voit, nous ne le savons pas et nous ne savons pas qui lui a ouvert les yeux. Du reste, demandez-le-lui. Il n'est pas idiot et ce n'est pas un enfant. Il a l'âge. Interrogez-le et il vous répondra.” “Vous mentez” s'écrie un des deux qui avaient toujours suivi l'aveugle. “Lui, dans votre maison, a raconté comment il a été guéri et par qui. Pourquoi dites-vous que vous ne le savez pas?” “Nous étions tellement abasourdis par la surprise que nous n'avons pas entendu” disent les deux en s'excusant. Les pharisiens s'adressent à Sidonia dit Bartolmaï: “Avance ici, toi, et donne gloire à Dieu s'il t'est possible! Tu ne sais pas que celui qui t'a touché les yeux est un pécheur? Tu ne le sais pas? Eh bien apprends-le. Nous te le disons, nous qui le savons.” “Mais, ce sera comme vous dites. Pour moi, si c'est un pécheur, je ne le sais pas. Je sais seulement qu'avant j'étais aveugle et que maintenant j'y vois, et clair.” “Mais que t'a-t-il fait? Comment t'a-t-il ouvert les yeux?” “Je vous l'ai déjà dit et vous m'avez entendu. Maintenant vous voulez l'entendre de nouveau? Pourquoi? Peut-être voulez-vous devenir ses disciples?” “Imbécile! Sois-le, toi, disciple de cet homme. Nous, nous sommes disciples de Moïse, et nous savons tout de Moïse et que Dieu lui a parlé. Mais de cet homme nous ne savons rien, ni d'où il vient, ni qui il est, et aucun prodige du Ciel ne l'indique comme prophète.” “C'est là précisément que se trouve le merveilleux! Que vous ne savez pas d'où il est et que vous dites qu'aucun prodige n'indique qu'il soit juste. Mais Lui m'a ouvert les yeux et personne de nous d'Israël n'avait jamais pu le faire, pas même l'amour d'une mère et les sacrifices de mon père. Une chose pourtant que nous savons tous, aussi bien vous que moi, c'est que Dieu n'exauce pas le pécheur, mais celui qui craint Dieu et fait sa volonté. On n'a jamais entendu dire que quelqu'un dans le monde entier ait pu ouvrir les yeux à un aveugle-né, mais cela, Jésus l'a fait. Si Lui n'était pas de Dieu, il n'aurait pas pu le faire.” “Tu es né entièrement dans le péché, et tu as l'esprit difforme autant et plus que ne l'était ton corps, et tu prétends nous faire la leçon? Va-t'en, misérable avorton, et fais-toi satan avec ton séducteur. Dehors! Dehors, tout le monde, plèbe imbécile et pécheresse!” et ils les jettent dehors: fils, père et mère comme si c'étaient trois lépreux. Les trois s'en vont rapidement, suivis par leurs amis, mais arrivé hors de l'enceinte, Sidonia se retourne et dit: “Et restez! Et dites ce que vous voulez. Ce qu'il y a de vrai c'est que j'y vois et j'en loue Dieu. Et satan, c'est vous qui le serez, et non pas le Bon qui m'a guéri.” “Tais-toi, fils! Tais-toi! Pourvu que cela ne nous fasse pas du mal!…” gémit la mère. “Oh! ma mère! L'air de cette salle t'a empoisonné l'âme, toi qui dans ma douleur m'enseignais à louer Dieu et qui maintenant dans la joie ne sais pas le remercier, et qui crains les hommes? Si Dieu m'a tant aimé et t'a aimée au point de nous donner le miracle, ne saura-t-Il pas nous défendre d'une poignée d'hommes?” “Ton fils a raison, femme. Allons à notre synagogue pour louer le Seigneur, puisqu'ils nous ont chassés du Temple. Et allons-y vivement avant la fin du sabbat…” Et, pressant le pas, ils se perdent dans les chemins de la vallée.
Extrait de la Traduction de “L’évangile tel qu’il m’a été révélé” de Maria Valtorta ©Centro Editoriale Valtortiano, Italie http://www.mariavaltorta.com/