Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 14,1.7-14.
Un jour de sabbat, Jésus était entré chez un chef des pharisiens pour y prendre son repas, et on l'observait. Remarquant que les invités choisissaient les premières places, il leur dit cette parabole : « Quand tu es invité à des noces, ne va pas te mettre à la première place, car on peut avoir invité quelqu'un de plus important que toi. Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendrait te dire : 'Cède-lui ta place', et tu irais, plein de honte, prendre la dernière place. Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t'a invité, il te dira : 'Mon ami, avance plus haut', et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui sont à table avec toi. Qui s'élève sera abaissé ; qui s'abaisse sera élevé. » Jésus disait aussi à celui qui l'avait invité : « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n'invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi t'inviteraient en retour, et la politesse te serait rendue. Au contraire, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; et tu seras heureux, parce qu'ils n'ont rien à te rendre : cela te sera rendu à la résurrection des justes. »
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris
Correspondance dans "l’Évangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta : Tome 5, Ch 23, p 159 - CD 5, piste 58 -
Je vois Jésus qui marche rapidement sur une grand-route que le vent froid d'un matin d'hiver balaie et durcit. Les champs, des deux côtés de la route, présentent à peine un timide duvet de moissons qui viennent de percer, un voile fin de verdure qui annonce la promesse du futur pain, mais une promesse vraiment à peine perceptible. Il y a encore, à l'ombre, des sillons dépourvus de cette verdure naissante et bénie, et seuls les sillons qui se trouvent dans les endroits plus ensoleillés ont cette verdure si légère et pourtant déjà joyeuse puisqu'elle parle du printemps qui arrive. Les arbres à fruits sont encore dépouillés sans un bourgeon qui se gonfle sur leurs branches obscures. Seuls les oliviers ont leur couleur éternelle gris-vert, aussi triste sous le soleil d'août que dans la faible clarté de cette matinée d'hiver. Et avec eux montrent leur couleur verte, un vert pâteux de céramiques à peine teintées, les feuilles grasses des cactées. Jésus chemine, comme souvent, à deux ou trois pas en avant de ses disciples. Ils sont tous bien enveloppés dans leurs manteaux de laine. A un certain moment, Jésus s'arrête et se retourne pour interpeller ses disciples: “Connaissez-vous le chemin?” “C'est le chemin, mais ensuite où se trouve la maison, nous ne le savons pas, car elle est à l'intérieur des terres… Peut-être là où se trouve ce bosquet d'oliviers…” “Non. Elle doit être là-bas au fond, au contraire, où se trouvent ces gros arbres dépouillés…” “Il devrait y avoir une route pour les chars…” En somme, ils ne savent rien de précis. On ne voit personne sur la route ou dans les champs. Ils avancent au hasard, en cherchant leur route. Ils trouvent une petite maisonnette de pauvres avec deux ou trois petits champs autour. Une fillette est en train de tirer de l'eau à un puits. “Paix à toi, fillette” dit Jésus en s'arrêtant à la limite de la haie qui a un passage pour la circulation. “Paix à toi. Que veux-tu?” “Un renseignement. Où se trouve la maison d'Ismaël le pharisien?” “Tu es égaré, Seigneur. Il te faut revenir au carrefour et prendre celle qui va vers le couchant du soleil. Mais il faut marcher beaucoup, beaucoup, car tu dois retourner là, au carrefour, et puis marcher, marcher. As-tu mangé? Il fait froid, et avec l'estomac vide, on le sent davantage. Entre, si tu veux. Nous sommes pauvres. Mais Toi aussi tu n'es pas riche. Tu peux t'en arranger. Viens.” Et d'une voix perçante, elle appelle: “Maman!” S'amène sur le seuil une femme d'environ trente-cinq, quarante ans. Son visage est honnête mais un peu triste. Dans ses bras elle a un enfant d'environ trois ans, à peine vêtu. “Entre. Le feu est allumé. Je te donnerai du lait et du pain.” “Je ne suis pas seul, j'ai ces amis.” “Qu'ils entrent tous et la bénédiction de Dieu avec les pèlerins que je loge.” Ils entrent dans une cuisine basse et sombre qu'égaie un feu pétillant. Ils s'assoient çà et là sur des coffres bruts. “Maintenant, je vais préparer… C'est le matin… Je n'ai encore rien mis en ordre… Excusez-moi.” “Tu es seule?” C'est Jésus qui parle. “J'ai un mari et des enfants. Sept. Les deux plus grands sont encore au marché de Naïm. Ils doivent y aller parce que mon mari est malade. Une grande douleur!… Les fillettes m'aident. Celui-ci est le plus petit, mais j'en ai encore un autre à peine plus grand.” Le petit, maintenant vêtu de sa tunique, accourt pieds nus vers Jésus et le regarde avec curiosité. Jésus lui sourit. L'amitié se fait. “Qui es-tu?” demande l'enfant avec confiance. “Je suis Jésus.” La femme se retourne pour le regarder attentivement. Elle est restée avec un pain dans les mains, entre le foyer et la table. Elle ouvre la bouche pour parler, mais ensuite elle se tait. L'enfant continue: “Où vas-tu?” “Sur les chemins du monde.” “Pour quoi faire?” “Pour bénir les enfants qui sont bons et leurs maisons où l'on est fidèle à la Loi.” La femme se retourne pour faire un geste, puis elle fait un signe à Judas Iscariote qui est le plus près d'elle. Lui se penche vers la femme qui demande: “Qui est ton ami?” Et Judas, hautain, (il semble que le Messie soit tel grâce à son mérite et à sa bonté): “C'est le Rabbi de Galilée: Jésus de Nazareth. Tu ne le sais pas, femme?” “La Galilée n'est pas à notre portée et moi, j'ai tant de douleurs!… Mais… pourrais-je le Lui dire?” “Tu le peux” dit avec hauteur Judas. Mais il semble un gros bonnet qui accorde une audience… Jésus continue de parler avec l'enfant qui Lui demande s'il a Lui aussi des enfants. Pendant que la fillette déjà vue et une autre un peu plus grande apportent le lait et la vaisselle, la femme va près de Jésus. Elle reste un peu hésitante, puis elle pousse un cri étouffé: “Jésus, aie pitié de mon mari!” Jésus se lève. Il la domine de sa grande taille, mais il la regarde avec tant de bonté qu'elle s'enhardit. “Que veux-tu que je fasse?” “Il est très malade, Gonflé comme une outre, il ne peut se baisser pour travailler. Il ne trouve pas de repos, car il étouffe et s'agite… Et nous avons des enfants encore petits…” “Tu veux que je le guérisse? Mais pourquoi le veux-tu de Moi?” “Parce que c'est Toi. Je ne te connaissais pas, mais j'ai entendu parler de Toi. Le sort t'a conduit chez moi après que par trois fois je t'ai cherché à Naïm et à Cana. Deux fois il y avait aussi mon mari. Il te cherchait, malgré la souffrance qu'il éprouvait à aller en char… Maintenant aussi il est parti avec son frère… On nous avait rapporté que le Rabbi, ayant quitté Tibériade, allait à Césarée de Philippe. Il y est allé pour t'attendre…” “Je ne suis pas allé à Césarée. Je vais chez le pharisien Ismaël, et puis j'irai vers le Jourdain…” “Toi, qui es bon, chez Ismaël?” “Oui. Pourquoi?” “Parce que… parce que… Seigneur, je sais que tu dis de ne pas juger, de pardonner et de s'aimer. Je ne t'ai jamais vu, mais j'ai cherché à savoir de Toi, le plus que je pouvais, et j'ai prié l'Éternel de pouvoir t'entendre au moins une fois. Je ne veux pas faire une chose qui te déplaise… Mais comment on peut ne pas juger Ismaël et l'aimer? Moi, je n'ai rien de commun avec lui et je n'ai donc rien à lui pardonner. Les insolences, qu'il nous jette à la figure quand il rencontre notre pauvreté sur son chemin, nous les secouons avec la même patience que nous secouons la boue ou la poussière qu'il projette sur nous en passant rapidement avec son bige. Mais l'aimer et ne pas le juger, c'est trop difficile… Il est tellement méchant!” “Il est tellement méchant? Avec qui?” “Avec tout le monde. Il opprime ses serviteurs, il prête avec usure, et il a des exigences cruelles. Il n'aime que lui-même. Il est le plus cruel de la région. Il ne mérite rien, Seigneur.” “Je le sais. Tu dis vrai.” “Et tu vas chez lui?” “Il m'a invité.” “Méfie-toi, Seigneur. Il ne l'aura pas fait par amour. Il ne peut t'aimer. Et Toi… tu ne peux l'aimer.” “Moi, j'aime même les pécheurs, femme. Je suis venu pour sauver celui qui est perdu…” “Mais lui, tu ne le sauveras pas. Oh! pardon d'avoir jugé! Toi, tu sais… Tout est bien de ce que tu fais! Pardonne à ma sotte langue et ne me punis pas.” “Je ne te punis pas, mais ne le fais plus. Aime même les méchants, non pas pour leur méchanceté, mais parce que c'est par l'amour qu'on leur obtient la miséricorde qui les convertit. Tu es bonne et désireuse de l'être encore davantage. Tu aimes la Vérité, et la Vérité qui te parle te dit qu'Elle t'aime, car selon la Loi, tu as de la pitié pour l'hôte et le pèlerin et c'est ainsi que tu as élevé tes enfants. Dieu sera ta récompense. Je dois aller chez Ismaël qui m'a invité pour me présenter à ses nombreux amis qui veulent me connaître. Je ne puis attendre ton mari qui, sache-le, est sur le chemin du retour. Mais dis-lui de souffrir encore un peu et de venir tout de suite chez Ismaël. Viens toi aussi. Je le guérirai.” “Oh! Seigneur!…” la femme est à genoux aux pieds de Jésus et le regarde riant et pleurant. Puis elle dit: “Mais c'est le sabbat, aujourd'hui!…” “Je le sais. J'ai besoin que ce soit le sabbat pour dire quelque chose à ce propos à Ismaël. Tout ce que je fais, je le fais dans un but clair et exempt d'erreur. Sachez-le tous, même vous, mes amis qui avez peur et voudriez que je conforme ma conduite aux convenances humaines pour ne pas en subir de dommage. C'est l'amour qui vous guide, je le sais. Mais vous devez savoir aimer mieux celui que vous aimez, en ne faisant jamais passer l'intérêt divin après l'intérêt de celui que vous aimez. Femme, je pars et je t'attends. Qu'il y ait une paix perpétuelle dans cette maison où on aime Dieu et sa Loi, où on respecte le mariage et où on élève saintement les enfants, où on aime le prochain et où on cherche la Vérité. Adieu.” Jésus met la main sur la tête de la femme et des deux fillettes, puis il se penche pour embrasser les enfants plus petits, et il sort. Maintenant un faible soleil d'hiver tempère la fraîcheur de l'air. Un garçon d'environ quinze ans attend avec un char rustique en très mauvais état. “Je n'ai que cela, Seigneur. Mais tu auras plus vite fait et plus commodément.” “Non, femme. Garde frais le cheval pour venir chez Ismaël. Montre-moi seulement la route la plus courte.” Le garçon se met à côté de Lui et, à travers champs et prés, ils vont vers une ondulation de terrain au-delà de laquelle il y a une vaste cuvette de quelques hectares bien cultivée, au milieu de laquelle se trouve une belle maison, large et basse, entourée d'un jardin bien cultivé. “Voici la maison, Seigneur” dit le garçon. “Si tu n'as plus besoin de moi, je vais rentrer à la maison pour aider la mère.” “Va et sois toujours un bon fils. Dieu est avec toi.” Jésus entre dans la somptueuse maison de campagne d'Ismaël. Des serviteurs, en grand nombre, accourent à la rencontre de l'Hôte, certainement attendu. D'autres vont prévenir le maître qui sort à la rencontre de Jésus en Lui faisant de profondes inclinations. “Sois le bienvenu, Maître, dans ma maison!” “Paix à toi, Ismaël ben Fabi. Tu m'as désiré. Je viens. Pourquoi m'as-tu invité?” “Pour avoir l'honneur de t'avoir et te présenter à mes amis. Je veux qu'ils soient aussi les tiens, comme je veux que tu sois pour moi un ami.” “Je suis ami de tout le monde, Ismaël.” “Je le sais. Mais, tu sais! Il est bien d'avoir des amitiés en haut lieu. La mienne et celle de mes amis sont telles. Toi, pardonne-moi de te le dire, tu négliges trop ceux qui peuvent t'appuyer…” “Et tu es de ceux-ci? Pourquoi?” “Je suis de ceux-ci. Pourquoi? Parce que je t'admire et que je veux que tu sois pour moi un ami.” “Ami! Mais sais-tu, Ismaël, le sens que je donne à ce mot? Pour beaucoup un ami cela veut dire une connaissance, pour d'autres un complice, pour d'autres un serviteur. Pour Moi cela veut dire: fidèle à la Parole du Père. Qui n'est pas cela ne peut être un ami pour Moi, ni Moi pour lui.” “Mais c'est justement parce que je veux être fidèle que je veux ton amitié, Maître. Tu ne le crois pas? Regarde: voici Eléazar qui arrive. Demande-lui comme je t'ai défendu auprès des Anciens. Eléazar, je te salue. Viens, car le Rabbi veut te demander une chose.” Profondes salutations et réciproques coups d'œil investigateurs. “Toi, Eléazar, dis ce que j'ai dit du Maître la dernière fois que nous nous sommes réunis.” “Oh! un véritable éloge! Une défense passionnée! Il m'est alors venu l'envie de t'entendre, tant Ismaël parlait de Toi, Maître, comme du Prophète le plus grand venu au peuple d'Israël. Je me souviens qu'il disait que personne n'avait une parole plus profonde que la tienne, n'exerçait une fascination plus grande, et que si tu sauras mettre en œuvre l'épée, comme tu sais parler, il n'y aura pas de roi plus grand que Toi en Israël.” “Mon Royaume!… Il n'est pas humain, ce Royaume, Eléazar.” “Mais le Roi d'Israël?!” “Que s'ouvrent vos esprit pour comprendre les paroles secrètes. Il viendra le Royaume du Roi des rois. Mais non pas selon les estimations humaines. Non pas pour ce qui périt, mais pour ce qui est éternel. On y arrive non par un chemin fleuri et triomphal, ni sur un tapis empourpré du sang ennemi, mais par le rude chemin du sacrifice et par la douce échelle du pardon et de l'amour. Ce sont les victoires contre nous-mêmes qui nous donneront ce Royaume. Et que Dieu veuille que le plus grand nombre d'israélites puissent me comprendre. Mais il n'en sera pas ainsi. Vous pensez ce qui n'est pas. Dans ma main, il y aura un sceptre et c'est le peuple d'Israël qui l'y aura mis, Royal et Éternel. Aucun roi ne pourra l'enlever à ma Maison. Mais beaucoup en Israël ne pourront le voir sans frémir d'horreur, car il aura un nom qui sera atroce pour eux.” “Tu ne nous crois pas capables de te suivre?” “Si vous le vouliez, vous le pourriez. Mais vous ne le voulez pas. Pourquoi vous ne voulez pas? Vous êtes âgés désormais. L'âge devrait vous donner compréhension et justice. Justice aussi pour vous-mêmes. Les jeunes… pourront se tromper et puis se repentir. Mais vous! La mort est toujours proche pour les plus âgés. Eléazar, tu es moins enveloppé dans les théories que beaucoup de tes semblables. Ouvre ton cœur à la Lumière…” Ismaël revient avec cinq autres pharisiens pompeux. “Venez donc dans la maison” dit le maître. Et, quittant l'atrium garni de sièges et de tapis, ils entrent dans une pièce où on leur apporte des amphores et des bassines pour les ablutions. Puis ils passent dans la salle à manger très richement préparée. “Jésus à côté de moi, entre Eléazar et moi” commande le maître. Et Jésus, qui s'était tenu au fond de la salle près des disciples un peu intimidés et laissés de côté, doit s'asseoir à la place d'honneur. Le repas commence avec de nombreux plats de viandes et de poissons rôtis. Des vins et, me semble-t-il, des sirops, ou au moins des eaux miellées, passent et repassent. Tous essaient de faire parler Jésus. L'un d'eux, un vieillard tout tremblotant, demande d'une voix éraillée de vieillard décrépit: “Maître, est-ce vrai ce qu'on dit, que tu as l'intention de modifier la Loi?” “Je ne changerai pas un iota à la Loi. Au contraire, (et Jésus appuie sur les mots) je suis justement venu pour la rendre de nouveau intègre comme quand elle fut donnée à Moïse.” “Voudrais-tu dire qu'elle a été changée?” “Non, jamais. Uniquement qu'elle a subi le sort de toutes les choses élevées mises dans la main de l'homme.” “Que voudrais-tu dire? Précise.” “Je veux dire que l'homme, par suite de l'ancien orgueil ou pour l'ancien foyer de la triple luxure, a voulu en retoucher les paroles droites et en a fait quelque chose qui opprime les fidèles alors que, pour ceux qui les ont retouchées, ce n'est qu'un amas de phrases… qu'on laisse à l'usage des autres.” “Mais, Maître! Nos rabbins…” “C'est une accusation!” “Ne nous déçois pas dans notre désir de t'être utile!…” “Hé! Hé! Ils ont raison de t'appeler révolté!” “Silence! Jésus est mon hôte. Qu'il parle en toute liberté.” “Nos rabbins, pour commencer, se sont ingéniés et ont peiné dans l'intention sainte de rendre plus facile l'application de la Loi. Dieu Lui-même a commencé cet enseignement quand aux paroles des dix commandements Il a ajouté des explications plus détaillées. Cela pour que l'homme n'eût pas l'excuse de ne pas avoir su comprendre. Œuvre sainte donc celle des maîtres qui ont brisé en morceaux, pour les petits de Dieu, le pain donné par Dieu à l'esprit. Mais sainte quand elle poursuivait un but qui était droit. Il n'en fut pas toujours ainsi. Et maintenant moins que jamais. Mais pourquoi voulez-vous me le faire dire, vous qui vous offensez si je vous énumère les fautes des puissants?” “Des fautes! Des fautes! Nous n'avons que des fautes, nous?” “Je voudrais que vous n'ayez que des mérites!” “Mais nous ne les avons pas. Tu le penses et ton regard le dit. Jésus, ce n'est pas en critiquant que l'on acquiert l'amitié des puissants. Tu ne régneras pas. Tu n'en connais pas l'art.” “Je ne demande pas de régner suivant vos idées, et je ne mendie pas des amitiés. C'est l'amour que je veux, mais un amour honnête et saint. Un amour qui va de Moi à ceux que j'aime, et qui se manifeste en usant à l'égard des pauvres de ce dont je prêche l'usage: la miséricorde.” “Moi, depuis que je t'ai entendu, je ne prête plus à usure” dit l'un. “Et Dieu t'en récompensera.” “Le Seigneur m'est témoin que je n'ai plus frappé mes serviteurs qui auraient mérité le fouet, quand on m'a eu dit une de tes paraboles” dit un autre. “Et moi? C'est plus de dix boisseaux d'orge que j'ai laissés dans les champs pour les pauvres!” dit encore un autre. Les pharisiens se louent copieusement. Ismaël n'a pas parlé. Jésus l'interpelle: “Et toi, Ismaël?” “Oh! moi! J'ai toujours usé de miséricorde. Je n'ai qu'à continuer comme j'ai toujours fait.” “C'est bien pour toi! S'il en est ainsi réellement, tu es l'homme qui ne connaît pas les remords.” “Oh! certainement pas!” Jésus le transperce de son œil de saphir. Eléazar touche le bras de Jésus: “Maître, écoute-moi. J'ai un cas spécial à te soumettre. J'ai acquis récemment une propriété d'un malheureux qui s'est ruiné pour une femme. Il me l'a vendue, mais sans me dire qu'il y avait une vieille servante, sa nourrice, maintenant aveugle et presque idiote. Le vendeur n'en veut pas. Moi… je n'en voudrais pas. Mais, la jeter à la rue… Que ferais-tu, Maître?” “Toi, que ferais-tu si tu devais donner un conseil à un autre?” “Je dirais: "Garde-la. Tu ne te ruineras pas pour un pain".” “Et pourquoi parlerais-tu ainsi?” “Mais!… parce que je pense que c'est ainsi que j'agirais et je voudrais qu'on agisse ainsi à mon égard…” “Tu es très près de la Justice, Eléazar. Agis comme tu conseillerais de le faire et le Dieu de Jacob sera toujours avec toi.” “Merci, Maître.” Les autres bougonnent entre eux. “Qu'avez-vous à murmurer?” demande Jésus. “N'ai-je pas parlé juste? Et lui n'a-t-il pas parlé avec justice? Ismaël, défends tes hôtes, toi qui as toujours agi avec miséricorde.” “Maître, tu parles bien, mais… si on agissait toujours ainsi!… On serait victime des autres.” “Et il vaut mieux, selon toi, que ce soient les autres qui soient nos victimes, n'est-ce pas?” “Je ne dis pas cela. Mais il y a des cas…” “La Loi dit d'avoir miséricorde…” “Oui, pour le frère pauvre, pour l'étranger, le pèlerin, la veuve et l'orphelin. Mais cette vieille, qui est tombée dans les bras d'Eléazar, n'est pas sa sœur, ni pèlerine, ni étrangère, ni orpheline ou veuve. Rien pour lui. Ni plus ni moins qu'un vieux tableau, oublié par le vrai maître dans la propriété vendue. Eléazar pourrait donc la chasser sans scrupules d'aucune sorte. Enfin la responsabilité de la mort de la vieille ne lui reviendrait pas, mais reviendrait à son vrai maître…” “… qui ne peut plus la garder puisqu'il est pauvre lui aussi, et par conséquent lui aussi est exempt d'obligations. De sorte que si la petite vieille meurt de faim, c'est elle qui est coupable, n'est-ce pas?” “C'est cela, Maître. C'est le sort de ceux… qui ne servent plus. Les malades, les vieux, les incapables, sont condamnés à la misère, à la mendicité. Et la mort est ce qu'il y a de meilleur pour eux… C'est ainsi depuis que le monde est monde et il en sera toujours ainsi…” “Jésus, aie pitié de moi!” Un cri de détresse entre par les fenêtres fermées, car la salle est fermée et avec les lampes allumées, peut-être à cause du froid. “Qui m'appelle?” “Quelque importun. Je le ferai chasser. Ou quelque mendiant. Je lui ferai donner un pain.” “Jésus, je suis malade. Sauve-moi!” “Je l'ai dit: un importun. Je punirai les serviteurs pour l'avoir fait passer.” Et Ismaël se lève. Mais Jésus, plus jeune d'au moins vingt ans et qui le dépasse du cou et de la tête, le fait se rasseoir en lui mettant la main sur l'épaule et en commandant: “Reste, Ismaël. Je veux voir celui qui me cherche. Faites-le entrer.” Il entre un homme aux cheveux encore noirs. Il peut avoir environ quarante ans. Mais il est enflé comme un tonneau et jaune comme un citron, avec les lèvres violettes entrouvertes et la bouche haletante. Il est accompagné par la femme de la première partie de la vision. L'homme avance avec peine à cause de la maladie et de la crainte. Il voit qu'on le regarde d'un si mauvais œil! Mais Jésus a quitté sa place et il est allé vers le malheureux en le prenant par la main et en l'amenant au milieu de la salle dans l'espace vide entre les tables disposées en fer à cheval. Exactement sous le lampadaire. “Que veux-tu de Moi?” “Maître… je t'ai tant cherché… depuis si longtemps… Je ne veux rien que la santé… pour mes enfants et ma femme… Toi, tu peux tout… Vois à quoi je suis réduit…” “Et tu crois que je puis te guérir?” “Si je le crois!… Tout pas m'est douloureux… toute secousse pénible… mais pourtant j'ai fait des milles pour te chercher… et puis avec le char je t'ai suivi aussi… mais je ne te rattrapais jamais… Si je le crois!… Je suis étonné de n'être pas encore guéri, depuis que ma main est dans la tienne, car tout en Toi est saint, ô Saint de Dieu.” Le pauvre souffle comme un phoque par l'effort qu'il fait pour tant parler. La femme regarde son mari et Jésus, et elle pleure. Jésus les regarde et il sourit. Puis il se tourne et il demande: “Toi, vieux scribe, (il parle au vieux à la voix chevrotante qui a parlé le premier) réponds-moi: est-il permis de guérir pendant le sabbat?” “Pendant le sabbat il n'est permis de faire aucun travail.” “Même pas de sauver quelqu'un du désespoir? Ce n'est pas un travail manuel.” “Le sabbat est consacré au Seigneur.” “Quelle œuvre plus digne d'un jour sacré que de faire qu'un fils de Dieu dise à son Père: "Je t'aime et te loue parce que Tu m'as guéri"?!” “Il doit le faire, même s'il est malheureux.” “Chanania, sais-tu qu'en ce moment ton bois le plus beau est en train de brûler, et que toute la pente de l'Hermon rougit de l'éclat des flammes?” Le vieil homme bondit comme si un aspic l'avait mordu: “Maître, tu dis la vérité ou bien est-ce une plaisanterie?” “Je dis la vérité. Je vois et je sais.” “Oh! malheureux que je suis! Mon bois le plus beau! Des milliers de sicles en cendre! Malédiction! Maudits soient les chiens qui m'y ont mis le feu! Que leurs viscères brûlent comme mon bois!” Le petit vieux est désespéré. “Ce n'est qu'un bois, Chanania, et tu te plains! Pourquoi ne donnes-tu pas louange au Seigneur, dans ce malheur? Lui ne perd pas du bois qui renaît, mais la vie et le pain de ses enfants, et il devrait donner la louange que toi tu ne donnes pas? Donc scribe, il ne m'est pas permis de le guérir le jour du sabbat?” “Maudit sois-tu, lui et le sabbat! J'ai bien autre chose à penser, moi…” et, bousculant Jésus qui lui avait mis une main sur le bras, il sort furieux et on l'entend brailler de sa voix chevrotante pour avoir son char. “Et maintenant?” demande Jésus en tournant son regard vers les autres. “Et maintenant vous, dites-moi: est-ce permis ou non?” Personne ne répond. Eléazar baisse la tête après avoir entrouvert les lèvres, que pourtant il referme, saisi par le froid qui a envahi la salle. “Eh bien, Moi, je vais parler” dit Jésus. Et son aspect est imposant et sa voix est un tonnerre comme toujours quand il va opérer un miracle. “Je vais parler. Je parle. Je dis: homme, qu'il te soit fait selon ce que tu crois. Tu es guéri. Loue l'Éternel. Va en paix.” L'homme reste interdit. Peut-être pensait-il redevenir d'un coup agile comme autrefois. Et il lui semble qu'il n'est pas guéri. Mais qui sait ce qu'il ressent… Il pousse un cri de joie, se jette aux pieds de Jésus et les baise. “Va, va! Sois toujours bon. Adieu!” L'homme sort suivi de la femme qui, jusqu'au dernier moment, se retourne pour saluer Jésus. “Pourtant, Maître… Dans ma maison… Le jour du sabbat…” “Tu n'approuves pas! Je le sais. Et c'est pour cela que je suis venu. Ami, toi? Non. Mon ennemi. Tu n'es pas sincère avec Moi, ni avec Dieu.” “Tu m'offenses, maintenant?” “Non, je dis la vérité. Tu as dit qu'Eléazar n'est pas tenu de secourir cette petite vieille parce qu'elle n'appartient pas à sa propriété. Mais toi, tu avais deux orphelins dans ta propriété. C'étaient les enfants de deux serviteurs fidèles qui sont morts au travail, l'un avec la faux en main, l'autre tuée par une fatigue excessive. Pour que tu la gardes, elle avait dû ajouter à son service celui de son mari. Tu disais: "J'ai fait un contrat pour deux travailleurs et, pour te garder, j'exige ton travail et celui du mort". Et elle te l'a donné, et elle est morte avec l'enfant qu'elle portait, car cette femme était mère, et elle n'a pas eue la pitié que l'on a pour une bête qui engendre. Où sont maintenant ces deux petits?” “Je ne sais pas… Ils sont disparus, un jour.” “Ne mens pas maintenant. Il suffit d'avoir été cruel. Il ne faut pas ajouter le mensonge pour rendre tes sabbats odieux à Dieu, même s'ils sont exempts d'œuvres serviles. Où sont ces petits?” “Je ne sais pas. Je ne sais plus, crois-le.” “Moi, je le sais. Je les ai trouvés un soir de novembre, froid, pluvieux, sombre. Je les ai trouvés affamés et tremblants, près d'une maison, comme deux petits chiens à la recherche d'une bouchée de pain… Maudits et chassés par un homme qui avait des entrailles de chien, un homme pire qu'un chien, car un chien aurait eu pitié de ces deux orphelins. Et toi et cet homme, vous n'avez pas eu pitié. Leurs parents ne te servaient plus, n'est-ce pas? Ils étaient morts. Les morts ne peuvent que pleurer dans leurs tombeaux, en entendant les sanglots de leurs enfants malheureux dont les autres ne s'occupent pas. Cependant les morts portent à Dieu, par leur esprit, leurs pleurs et ceux de leurs enfants orphelins, et ils disent: "Seigneur, exerce-Toi nos vengeances, puisque le monde opprime quand il ne peut plus exploiter". Les deux petits n'étaient pas encore en âge de te servir, n'est-ce pas? Oui et non, car la petite pouvait servir pour glaner… Et tu les as chassés, en leur refusant même le peu de bien qui appartenait au père et à la mère. Ils pouvaient mourir de faim et de froid comme deux chiens sur un chemin. Ils pouvaient vivre en devenant l'un voleur l'autre une prostituée, car la faim porte au péché. Mais que t'importait? Il y a un moment, tu as cité la Loi à l'appui de tes théories. Et la Loi ne dit-elle pas alors: "Ne faites pas de tort à la veuve et à l'orphelin. Si vous leur faites du tort, leurs voix s'élèveront vers Moi, J'entendrai leurs cris et ma fureur s'enflammera et je vous exterminerai par l'épée, et vos femmes resteront veuves et vos enfants orphelins"? N'est-ce pas ce que dit la Loi? Et alors, pourquoi ne l'observes-tu pas? Tu m'as défendu auprès des autres? Et alors pourquoi ne prends-tu pas, en toi-même, la défense de ma Doctrine? Tu veux être pour Moi un ami? Et alors pourquoi fais-tu le contraire de ce que je dis? L'un de vous est en train de courir à perdre haleine, s'arrachant les cheveux à cause de la ruine de son bois. Et il ne se les arrache pas pour les ruines de son cœur! Et toi, qu'attends-tu pour le faire? Pourquoi voulez-vous vous croire parfaits, vous auxquels le sort a donné une haute situation? Et si vous l'êtes en quelque chose, pourquoi ne cherchez-vous pas à l'être en tout? Pourquoi me haïssez-vous parce que je découvre vos plaies? Je suis le Médecin de votre esprit. Est-ce qu'un médecin peut guérir sans découvrir et nettoyer les plaies? Mais ne savez-vous pas qu'un grand nombre, et cette femme qui est sortie est une de ceux-là, méritent la première place au banquet de Dieu en dépit de leur apparence mesquine! Ce n'est pas l'extérieur, c'est le cœur et l'esprit qui ont de la valeur. Dieu vous voit, du haut de son trône, et Il vous juge. Combien Il en voit qui valent mieux que vous! Par conséquent, écoutez. Prenez toujours comme règle de conduite cela: quand on vous invite à un banquet de noces, choisissez toujours la dernière place. Double honneur vous en reviendra quand le maître vous dira: "Ami, avance". Honneur de mérite et honneur d'humilité. Alors que… O triste moment pour un orgueilleux d'avoir la honte de s'entendre dire: "Va là-bas, au fond, car il y a quelqu'un qui est plus que toi". Et faites la même chose dans le banquet secret de votre esprit pour les noces avec Dieu. Qui s'humilie sera exalté, et qui s'exalte sera humilié. Ismaël, ne me hais pas parce que Moi je te soigne. Moi, je ne te hais pas. Je suis venu pour te guérir. Tu es plus malade que cet homme. Tu m'as invité pour te donner du lustre à toi-même et satisfaire tes amis. Souvent tu invites, mais par orgueil et pour ton plaisir. Ne le fais pas. N'invite pas les riches, les parents, les amis. Mais ouvre ta maison, ouvre ton cœur aux pauvres, aux mendiants, aux estropiés, aux boiteux, aux orphelins et aux veuves. Ils ne te donneront en échange que des bénédictions. Mais Dieu les changera pour toi en grâces. Et à la fin… oh! à la fin, quel sort bienheureux pour tous les miséricordieux qui seront récompensés par Dieu à la résurrection des morts! Malheur à ceux qui caressent seulement une espérance de profit et puis ferment leur cœur au frère qui ne peut plus servir. Malheur à eux! Je ferai les vengeances de ceux qui ont été abandonnés.” “Maître… je… je veux te satisfaire. Je prendrai encore ces enfants.” “Non.” “Pourquoi?” “Ismaël?!…” Ismaël baisse la tête. Il veut faire l'humble. Mais c'est une vipère à laquelle on a pressé le venin et elle ne mord plus parce qu'elle sait qu'elle n'en a plus, mais pourtant elle attend le moment de mordre… Eléazar essaie de ramener la paix en disant: “Bienheureux ceux qui prennent part au banquet de Dieu dans leur esprit et dans le Royaume éternel. Mais crois-le, Maître, c'est la vie qui nous apporte des obstacles. Les charges… les occupations…” Jésus dit la parabole du banquet (Mt 22,2-10; Lc 14,16-24) et pour finir: “Les charges… les occupations, as-tu dit. C'est vrai. C'est pour cela que je t'ai dit, au commencement de ce banquet, que mon Royaume se conquiert par des victoires sur soi-même et non par des victoires sur des champs de bataille. La place au grand Banquet est pour ces humbles de cœur qui savent être grands par leur fidèle amour qui ne mesure pas le sacrifice et qui surmonte tout pour venir à Moi. Même une heure suffit pour changer un cœur. Pourvu que ce cœur le veuille. Et il suffit d'une parole. Je vous en ai tant dit. Et je regarde… Dans un cœur va naître une plante sainte. Dans les autres, des ronces pour Moi et, dans ces ronces, des aspics et des scorpions. Peu importe. Je vais droit mon chemin. Qui m'aime me suive. Je vais en appelant à ma suite. Que ceux qui ont le cœur droit viennent à Moi. Je vais en instruisant. Que ceux qui cherchent la justice s'approchent de la Fontaine. Pour les autres… pour les autres c'est le Père Saint qui les jugera. Ismaël, je te salue. Ne me hais pas. Réfléchis. Et rends-toi compte que j'ai été sévère par amour, non par haine. Paix à cette maison et à ceux qui l'habitent, paix à tous si vous la méritez.”
Extrait de la Traduction de “L’évangile tel qu’il m’a été révélé” de Maria Valtorta ©Centro Editoriale Valtortiano, Italie http://www.mariavaltorta.com/