Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 17, 5-10.
Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : 'Déracine-toi et va te planter dans la mer', et il vous obéirait. « Lequel d'entre vous, quand son serviteur vient de labourer ou de garder les bêtes, lui dira à son retour des champs : 'Viens vite à table' ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : 'Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et que je boive. Ensuite tu pourras manger et boire à ton tour. ' Sera-t-il reconnaissant envers ce serviteur d'avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous : 'Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n'avons fait que notre devoir. ' »
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris
Correspondance dans "l'Evangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta : Tome 6, Ch 113, p 232 - CD 6, piste 83 -
La grève blanchit dans la nuit sans lune, mais éclairée par des milliers d'étoiles, des étoiles larges, invraisemblablement larges d'un ciel d'Orient. Ce n'est pas une lumière intense comme celle de la lune, mais c'est déjà une douce phosphorescence qui permet à celui, dont l'œil est fait à l'obscurité, de voir où il marche et ce qui l'entoure. Ici, sur la droite des voyageurs qui remontent vers le nord en côtoyant le fleuve, la douce luminosité stellaire découvre la frontière végétale que forment les roseaux, les saules et les arbres de haute futaie et, comme la lumière est très légère, ils semblent former une muraille compacte, continue, sans interruption, sans possibilité de pénétration, à peine rompue là où le lit d'un ruisseau ou d'un torrent, complètement à sec, trace une ligne blanche qui s'en va vers l'orient et disparaît au premier coude du minuscule affluent maintenant à sec. À leur gauche, par contre, les voyageurs discernent le reflet des eaux qui descendent vers la Mer Morte en murmurant, soupirant, bruissant, tranquilles et sereines. Et entre la ligne brillante des eaux couleur d'indigo, dans la nuit, et la masse noire opaque des herbes, des arbustes et des arbres, la bande claire de la grève, tantôt plus large, tantôt plus étroite, est parfois interrompue par un minuscule étang, reste d'une ancienne crue, avec encore un peu d'eau que le sol peu à peu absorbe, et où il reste des touffes d'herbes encore vertes alors qu'ailleurs elles se sont desséchées sur la grève certainement brûlante aux heures de soleil. Ces mares ou les touffes de joncs secs qui peuvent blesser les pieds nus dans les sandales, obligent les apôtres à se séparer de temps à autre pour ensuite se réunir en groupe autour du Maître qui avance de son pas allongé, toujours majestueux, le plus souvent en silence, le regard levé vers les étoiles plutôt que courbé vers le sol. Les apôtres, non, ils ne se taisent pas. Ils parlent entre eux, récapitulant les événements de la journée, en tirant des conclusions ou bien en prévoyant les développements futurs. Quelque rare parole de Jésus, souvent dite pour répondre à une question directe ou pour corriger quelque raisonnement défectueux ou peu charitable, ponctue le bavardage des douze. Et la marche se poursuit dans la nuit, en rythmant le silence nocturne d'un élément nouveau sur ces rives désertes: les voix humaines et le bruit des pas. Et les rossignols se taisent dans les feuillages, étonnés d'entendre des sons discordants et désagréables qui se mêlent, en la troublant, à l'habituelle rumeur des eaux et des brises, accompagnement habituel de leurs soli de virtuoses. Mais une question directe, qui ne concerne pas le passé mais l'avenir, vient rompre avec la violence d'une révolte, sans parler du ton plus aigu des voix agitées par le dédain ou la colère, la paix non seulement de la nuit mais celle plus intime des cœurs. Philippe demande s'ils seront à leurs maisons et dans combien de jours. Un secret besoin de repos, un désir inexprimé mais sous entendu d'affections familiales, se trouve dans la simple question de l'apôtre déjà âgé, qui est mari et père en plus qu'apôtre, et qui a des intérêts dont il doit s'occuper… Jésus se rend compte de tout cela et il se retourne pour regarder Philippe. Il s'arrête pour l'attendre, car Philippe est un peu en arrière avec Mathieu et Nathanaël. Arrivé près de Lui, il lui passe un bras autour des épaules en lui disant: “Bientôt, mon ami. Cependant je demande à ta bonté un autre petit sacrifice pourvu que tu ne veuilles pas te séparer auparavant de Moi…” “Moi, me séparer? Jamais!” “Et alors… je vais t'éloigner encore quelque temps de Bethsaïda. Je veux aller à Césarée Maritime, en passant par la Samarie. Au retour, nous irons à Nazareth et resteront avec Moi ceux qui n'ont pas de famille en Galilée. Puis, après quelque temps, je vous rejoindrai à Capharnaüm… Et là je vous évangéliserai pour vous rendre encore plus capables. Mais, si tu crois que ta présence à Bethsaïda est nécessaire… vas-y, Philippe. Nous nous retrouverons là…” “Non, Maître. Il est plus nécessaire de rester avec Toi! Mais, tu sais… Elle est douce la maison… et mes filles… Je pense que dans l'avenir je ne les aurai pas beaucoup avec moi… et je voudrais jouir un peu de leur chaste douceur. Mais si je dois choisir entre elles et Toi, c'est Toi que je choisis… et pour plusieurs raisons…” conclut Philippe en soupirant. “Et tu fais bien, mon ami, car je te serai enlevé avant tes filles…” “Oh! Maître!…” dit l'apôtre attristé. “C'est ainsi, Philippe” termine Jésus en baisant l'apôtre sur les tempes. Judas Iscariote, qui a bougonné entre ses dents depuis que Jésus a parlé de Césarée, élève la voix comme si d'avoir vu le baiser donné à Philippe lui avait fait perdre le contrôle de ses actes. Et il dit: “Que de choses inutiles! Moi, je ne sais vraiment pas quelle nécessité il y a d'aller à Césarée!” et il le dit avec une impétuosité débordante de fiel. Il semble vouloir sous entendre: “Toi qui y vas, tu es un sot.” “Ce n'est pas toi, mais le Maître qui doit juger de la nécessité des choses que nous faisons” lui répond Barthélemy. “Oui, hein? Comme si Lui se rendait bien compte des nécessités naturelles!” “Ohé! Tu es fou ou tu es sain? Sais-tu de qui tu parles?” lui demande Pierre en le secouant par le bras. “Je ne suis pas fou. Je suis le seul qui ait le cerveau sain, et je sais ce que je dis.” “Les belles choses que tu dis!” “Prie Dieu qu'Il ne te les compte pas!” “La modestie n'est pas ton fort!” “On dirait que tu as peur que l'on puisse te reconnaître pour ce que tu es, en allant à Césarée” disent ensemble et respectivement Jacques de Zébédée, Simon le Zélote, Thomas et Jude d'Alphée. L'Iscariote répond à ce dernier: “Je n'ai rien à craindre et vous rien à savoir. Mais je suis las de voir que l'on va d'erreur en erreur et que l'on se ruine. Des heurts avec les synhédristes, disputes avec les pharisiens, il ne manque plus que les romains…” “Comment? Mais il n'y a pas deux lunes tu étais fou de joie, tu étais plein d'assurance, tu étais, tu étais, tu étais… tu étais tout car tu avais pour amie Claudia!” observe ironiquement Barthélemy qui, tout en étant le plus… intransigeant, est le seul qui uniquement pour obéir au Maître ne se refuse pas à des contacts avec les romains. Judas reste un moment silencieux, car la logique de la question ironique est évidente et, à moins de paraître illogique, il ne peut démentir ce qu'il avait dit auparavant, mais ensuite il se reprend: “Ce n'est pas pour les romains que je dis cela. Je veux dire pour les romains comme ennemis. Elles, car au fond elles ne sont que quatre dames romaines, cinq ou six au maximum, ont promis de l'aide et seront fidèles à leurs promesses. Mais c'est parce que cela augmentera la rancœur de ses ennemis et Lui ne le comprend pas et…” “Leur rancœur est complète, Judas. Et tu le sais comme Moi, et encore mieux que Moi” dit calmement Jésus en appuyant sur le “mieux”. “Moi? Moi? Que veux-tu dire? Qui sait les choses mieux que Toi?” “Tu viens de dire que toi seul connais les nécessités et la façon de s'y comporter…” lui réplique Jésus. “Mais pour les choses naturelles, oui. Je dis que tu connais les choses surnaturelles mieux que tous.” “C'est vrai, mais justement je te disais que tu connais mieux que Moi les choses, laides si tu veux, avilissantes si tu veux, naturelles, comme la rancœur de mes ennemis, comme leurs projets…” “Moi, je ne sais rien! Je ne sais rien. Je le jure sur mon âme, sur ma mère, sur Jéhovah…” “Assez! Il est dit de ne pas jurer” lui intime Jésus avec une sévérité qui semble Lui durcir jusqu'aux traits du visage qui s'immobilisent comme ceux d'une statue. “Eh bien, je ne vais pas jurer. Mais il me sera permis de dire, car je ne suis pas un esclave, qu'il n'est pas nécessaire, qu'il n'est pas utile, qu'il est même dangereux d'aller à Césarée, de parler avec les romaines…” “Et qui te dit que cela arrivera?” demande Jésus. “Qui? Mais tout! Tu as besoin de t'assurer d'une chose. Tu es sur les traces d'une…” il s'arrête, comprenant que la colère le fait trop parler. Puis il reprend: “Et moi, je te dis que tu devrais aussi penser à nos intérêts. Tu nous as tout enlevé: maison, gain, affections, tranquillité. Nous sommes des persécutés pour ta cause, et nous le serons aussi par la suite. Parce que Toi, tu le dis sur tous les tons, un beau jour tu t'en iras. Mais nous, nous restons, mais nous resterons ruinés, mais nous…” “Tu ne seras pas persécuté lorsque je ne serai plus parmi vous. Je te le dis, Moi qui suis la Vérité. Et je te dis que j'ai pris ce que vous m'avez donné spontanément, d'une manière insistante. Tu ne peux donc pas m'accuser de vous avoir enlevé d'autorité un seul de vos cheveux qui tombent quand vous les peignez. Pourquoi m'accuses-tu?” Jésus est déjà moins sévère, il est maintenant d'une tristesse qui veut ramener avec douceur à la raison, et je crois que la miséricorde qu'il montre, si pleine, si divine, est un frein pour les autres qui ne l'auraient pas, assurément, pour le coupable. Judas lui-même s'en rend compte et dans un de ces brusques revirements de son âme, sollicitée par deux forces contraires, il se jette à terre, se frappant la tête et la poitrine et criant: “Parce que je suis un démon, je suis un démon. Sauve-moi, Maître, comme tu sauves tant de possédés, sauve-moi! Sauve-moi!” “Que ne soit pas inerte ta volonté d'être sauvé.” “Elle existe, tu le vois. Je veux être sauvé.” “Par Moi. Tu exiges que je fasse tout. Mais je suis Dieu, et je respectes ton libre arbitre. Je te donnerai la force pour arriver à "vouloir". Mais vouloir n'être pas esclave, cela doit venir de toi.” “Je le veux! Je le veux! Mais ne va pas à Césarée! N'y va pas! Écoute-moi, comme tu as écouté Jean quand tu voulais aller à Acor. Nous avons tous les mêmes droits. Nous te servons tous de la même manière. Tu es obligé de nous satisfaire, à cause de ce que nous faisons… Traite-moi comme Jean! Je le veux! Quelle différence y a-t-il entre lui et moi?” “Il y a l'esprit! Mon frère n'aurait jamais parlé comme tu parles. Mon frère ne…” “Silence, Jacques. C'est Moi qui parle et à tous. Et toi, lève-toi et comporte-toi en homme, comme Moi je te traite, non comme un esclave qui gémit aux pieds de son maître. Sois homme, puisque tu tiens tant à être traité comme Jean qui, en vérité, est plus qu'un homme parce qu'il est chaste et qu'il est saturé de Charité. Allons, il est tard et je veux passer le fleuve à l'aube. C'est à cette heure que les pêcheurs rentrent ayant retiré les nasses, et il est facile de trouver une embarcation. La lune en ses derniers jours lève toujours plus haut son fin croissant. Nous pouvons, grâce à sa plus grande lumière, aller plus vite. Écoutez. En vérité je vous dis que personne ne doit se vanter de faire son propre devoir et exiger pour cela, qui est un devoir, des faveurs spéciales. Judas a rappelé que vous m'avez tout donné, et il m'a dit qu'en retour j'ai le devoir de vous satisfaire pour ce que vous faites. Mais rendez-vous un peu compte. Parmi vous, il y a des pêcheurs, des propriétaires terriens, plus d'un qui possède un atelier, et le Zélote qui avait un serviteur. Eh bien, quand les garçons de la barque, ou les hommes qui comme serviteurs vous aidaient à l'oliveraie, à la vigne ou dans les champs, ou les apprentis de l'atelier, ou simplement le serviteur fidèle qui s'occupait de la maison ou de la table, avaient fini leur travail, vous mettiez-vous par hasard à les servir? Et n'en est-il pas ainsi dans toutes les maisons et toutes les affaires? Quel homme, ayant un serviteur qui laboure ou qui fait paître, ou un ouvrier à l'atelier, lui dit quand il a fini le travail: "Va tout de suite à table"? Personne. Mais soit qu'il revienne des champs, soit qu'il ait déposé ses outils, tout patron dit: "Fais-moi à manger, mets-toi en tenue et, avec des vêtements propres, sers-moi pendant que je mange et bois. Après, tu mangeras et boiras". Et on ne peut pas dire que cela soit dureté de cœur. En effet le serviteur doit servir son maître et le maître ne lui a pas d'obligation, parce que le serviteur a fait ce que son maître au matin lui avait commandé. En effet, si le maître a le devoir d'être humain avec son propre serviteur, le serviteur a aussi le devoir de ne pas être paresseux et dissipateur, mais de coopérer au bien-être de celui qui l'habille et le nourrit. Supporteriez-vous que vos mousses, vos ouvriers agricoles ou autres, votre domestique, vous disent: "Sers moi, puisque j'ai travaillé"? Je ne crois pas. De même vous, en regardant ce que vous avez fait et ce que vous faites pour Moi - et, dans l'avenir, en regardant ce que vous ferez pour continuer mon œuvre et continuer à servir votre Maître -vous devez toujours dire, parce que vous verrez aussi que vous avez toujours fait beaucoup moins que ce qu'il était juste de faire pour être au pair avec tout ce que vous avez eu de Dieu: "Nous sommes des serviteurs inutiles car nous n'avons fait que notre devoir". Si vous raisonnez ainsi, vous ne sentirez plus de prétentions ni de mécontentements s'élever en vous, et vous agirez avec justice.” Jésus se tait. Tous réfléchissent. Pierre donne un coup de coude à Jean qui réfléchit en tenant ses yeux bleu clair fixés sur les eaux, qui de la couleur indigo passent à l'argent azuré sous les rayons de la lune, et il lui dit: “Demande-lui quand quelqu'un fait plus que son devoir. Moi, je voudrais arriver à faire plus que mon devoir…” “Moi aussi, Simon. Je pensais justement à cela” lui répond Jean avec son beau sourire sur les lèvres, et il demande à haute voix: “Maître, dis-moi: l'homme, ton serviteur, ne pourra-t-il jamais faire plus que son devoir pour te dire avec ce plus, qu'il t'aime complètement?” “Enfant, Dieu t'a tant donné, qu'en toute justice, ton héroïsme serait toujours peu. Mais le Seigneur est si bon qu'Il ne mesure pas ce que vous Lui donnez avec sa mesure infinie, mais qu'Il le mesure avec la mesure limitée de la capacité humaine. Et quand Il voit que vous avez donné sans parcimonie, avec une mesure comble, débordante, généreuse, alors Il dit: "Ce serviteur m'a donné plus que son devoir ne lui imposait. Aussi Je lui donnerai la surabondance de mes récompenses".” “Oh! comme je suis content! Moi, alors, je te donnerai une mesure débordante pour avoir cette surabondance!” s'écrie Pierre. “Oui, tu me la donneras, vous me la donnerez. Tout homme aimant la Vérité, la Lumière, me la donnera. Et ils seront avec Moi surnaturellement heureux.”
Extrait de la Traduction de “L’évangile tel qu’il m’a été révélé” de Maria Valtorta ©Centro Editoriale Valtortiano, Italie http://www.mariavaltorta.com/
Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : 'Déracine-toi et va te planter dans la mer', et il vous obéirait. « Lequel d'entre vous, quand son serviteur vient de labourer ou de garder les bêtes, lui dira à son retour des champs : 'Viens vite à table' ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : 'Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et que je boive. Ensuite tu pourras manger et boire à ton tour. ' Sera-t-il reconnaissant envers ce serviteur d'avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous : 'Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n'avons fait que notre devoir. ' »
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris
Correspondance dans "l'Evangile tel qu'il m'a été révélé" de Maria Valtorta : Tome 6, Ch 113, p 232 - CD 6, piste 83 -
La grève blanchit dans la nuit sans lune, mais éclairée par des milliers d'étoiles, des étoiles larges, invraisemblablement larges d'un ciel d'Orient. Ce n'est pas une lumière intense comme celle de la lune, mais c'est déjà une douce phosphorescence qui permet à celui, dont l'œil est fait à l'obscurité, de voir où il marche et ce qui l'entoure. Ici, sur la droite des voyageurs qui remontent vers le nord en côtoyant le fleuve, la douce luminosité stellaire découvre la frontière végétale que forment les roseaux, les saules et les arbres de haute futaie et, comme la lumière est très légère, ils semblent former une muraille compacte, continue, sans interruption, sans possibilité de pénétration, à peine rompue là où le lit d'un ruisseau ou d'un torrent, complètement à sec, trace une ligne blanche qui s'en va vers l'orient et disparaît au premier coude du minuscule affluent maintenant à sec. À leur gauche, par contre, les voyageurs discernent le reflet des eaux qui descendent vers la Mer Morte en murmurant, soupirant, bruissant, tranquilles et sereines. Et entre la ligne brillante des eaux couleur d'indigo, dans la nuit, et la masse noire opaque des herbes, des arbustes et des arbres, la bande claire de la grève, tantôt plus large, tantôt plus étroite, est parfois interrompue par un minuscule étang, reste d'une ancienne crue, avec encore un peu d'eau que le sol peu à peu absorbe, et où il reste des touffes d'herbes encore vertes alors qu'ailleurs elles se sont desséchées sur la grève certainement brûlante aux heures de soleil. Ces mares ou les touffes de joncs secs qui peuvent blesser les pieds nus dans les sandales, obligent les apôtres à se séparer de temps à autre pour ensuite se réunir en groupe autour du Maître qui avance de son pas allongé, toujours majestueux, le plus souvent en silence, le regard levé vers les étoiles plutôt que courbé vers le sol. Les apôtres, non, ils ne se taisent pas. Ils parlent entre eux, récapitulant les événements de la journée, en tirant des conclusions ou bien en prévoyant les développements futurs. Quelque rare parole de Jésus, souvent dite pour répondre à une question directe ou pour corriger quelque raisonnement défectueux ou peu charitable, ponctue le bavardage des douze. Et la marche se poursuit dans la nuit, en rythmant le silence nocturne d'un élément nouveau sur ces rives désertes: les voix humaines et le bruit des pas. Et les rossignols se taisent dans les feuillages, étonnés d'entendre des sons discordants et désagréables qui se mêlent, en la troublant, à l'habituelle rumeur des eaux et des brises, accompagnement habituel de leurs soli de virtuoses. Mais une question directe, qui ne concerne pas le passé mais l'avenir, vient rompre avec la violence d'une révolte, sans parler du ton plus aigu des voix agitées par le dédain ou la colère, la paix non seulement de la nuit mais celle plus intime des cœurs. Philippe demande s'ils seront à leurs maisons et dans combien de jours. Un secret besoin de repos, un désir inexprimé mais sous entendu d'affections familiales, se trouve dans la simple question de l'apôtre déjà âgé, qui est mari et père en plus qu'apôtre, et qui a des intérêts dont il doit s'occuper… Jésus se rend compte de tout cela et il se retourne pour regarder Philippe. Il s'arrête pour l'attendre, car Philippe est un peu en arrière avec Mathieu et Nathanaël. Arrivé près de Lui, il lui passe un bras autour des épaules en lui disant: “Bientôt, mon ami. Cependant je demande à ta bonté un autre petit sacrifice pourvu que tu ne veuilles pas te séparer auparavant de Moi…” “Moi, me séparer? Jamais!” “Et alors… je vais t'éloigner encore quelque temps de Bethsaïda. Je veux aller à Césarée Maritime, en passant par la Samarie. Au retour, nous irons à Nazareth et resteront avec Moi ceux qui n'ont pas de famille en Galilée. Puis, après quelque temps, je vous rejoindrai à Capharnaüm… Et là je vous évangéliserai pour vous rendre encore plus capables. Mais, si tu crois que ta présence à Bethsaïda est nécessaire… vas-y, Philippe. Nous nous retrouverons là…” “Non, Maître. Il est plus nécessaire de rester avec Toi! Mais, tu sais… Elle est douce la maison… et mes filles… Je pense que dans l'avenir je ne les aurai pas beaucoup avec moi… et je voudrais jouir un peu de leur chaste douceur. Mais si je dois choisir entre elles et Toi, c'est Toi que je choisis… et pour plusieurs raisons…” conclut Philippe en soupirant. “Et tu fais bien, mon ami, car je te serai enlevé avant tes filles…” “Oh! Maître!…” dit l'apôtre attristé. “C'est ainsi, Philippe” termine Jésus en baisant l'apôtre sur les tempes. Judas Iscariote, qui a bougonné entre ses dents depuis que Jésus a parlé de Césarée, élève la voix comme si d'avoir vu le baiser donné à Philippe lui avait fait perdre le contrôle de ses actes. Et il dit: “Que de choses inutiles! Moi, je ne sais vraiment pas quelle nécessité il y a d'aller à Césarée!” et il le dit avec une impétuosité débordante de fiel. Il semble vouloir sous entendre: “Toi qui y vas, tu es un sot.” “Ce n'est pas toi, mais le Maître qui doit juger de la nécessité des choses que nous faisons” lui répond Barthélemy. “Oui, hein? Comme si Lui se rendait bien compte des nécessités naturelles!” “Ohé! Tu es fou ou tu es sain? Sais-tu de qui tu parles?” lui demande Pierre en le secouant par le bras. “Je ne suis pas fou. Je suis le seul qui ait le cerveau sain, et je sais ce que je dis.” “Les belles choses que tu dis!” “Prie Dieu qu'Il ne te les compte pas!” “La modestie n'est pas ton fort!” “On dirait que tu as peur que l'on puisse te reconnaître pour ce que tu es, en allant à Césarée” disent ensemble et respectivement Jacques de Zébédée, Simon le Zélote, Thomas et Jude d'Alphée. L'Iscariote répond à ce dernier: “Je n'ai rien à craindre et vous rien à savoir. Mais je suis las de voir que l'on va d'erreur en erreur et que l'on se ruine. Des heurts avec les synhédristes, disputes avec les pharisiens, il ne manque plus que les romains…” “Comment? Mais il n'y a pas deux lunes tu étais fou de joie, tu étais plein d'assurance, tu étais, tu étais, tu étais… tu étais tout car tu avais pour amie Claudia!” observe ironiquement Barthélemy qui, tout en étant le plus… intransigeant, est le seul qui uniquement pour obéir au Maître ne se refuse pas à des contacts avec les romains. Judas reste un moment silencieux, car la logique de la question ironique est évidente et, à moins de paraître illogique, il ne peut démentir ce qu'il avait dit auparavant, mais ensuite il se reprend: “Ce n'est pas pour les romains que je dis cela. Je veux dire pour les romains comme ennemis. Elles, car au fond elles ne sont que quatre dames romaines, cinq ou six au maximum, ont promis de l'aide et seront fidèles à leurs promesses. Mais c'est parce que cela augmentera la rancœur de ses ennemis et Lui ne le comprend pas et…” “Leur rancœur est complète, Judas. Et tu le sais comme Moi, et encore mieux que Moi” dit calmement Jésus en appuyant sur le “mieux”. “Moi? Moi? Que veux-tu dire? Qui sait les choses mieux que Toi?” “Tu viens de dire que toi seul connais les nécessités et la façon de s'y comporter…” lui réplique Jésus. “Mais pour les choses naturelles, oui. Je dis que tu connais les choses surnaturelles mieux que tous.” “C'est vrai, mais justement je te disais que tu connais mieux que Moi les choses, laides si tu veux, avilissantes si tu veux, naturelles, comme la rancœur de mes ennemis, comme leurs projets…” “Moi, je ne sais rien! Je ne sais rien. Je le jure sur mon âme, sur ma mère, sur Jéhovah…” “Assez! Il est dit de ne pas jurer” lui intime Jésus avec une sévérité qui semble Lui durcir jusqu'aux traits du visage qui s'immobilisent comme ceux d'une statue. “Eh bien, je ne vais pas jurer. Mais il me sera permis de dire, car je ne suis pas un esclave, qu'il n'est pas nécessaire, qu'il n'est pas utile, qu'il est même dangereux d'aller à Césarée, de parler avec les romaines…” “Et qui te dit que cela arrivera?” demande Jésus. “Qui? Mais tout! Tu as besoin de t'assurer d'une chose. Tu es sur les traces d'une…” il s'arrête, comprenant que la colère le fait trop parler. Puis il reprend: “Et moi, je te dis que tu devrais aussi penser à nos intérêts. Tu nous as tout enlevé: maison, gain, affections, tranquillité. Nous sommes des persécutés pour ta cause, et nous le serons aussi par la suite. Parce que Toi, tu le dis sur tous les tons, un beau jour tu t'en iras. Mais nous, nous restons, mais nous resterons ruinés, mais nous…” “Tu ne seras pas persécuté lorsque je ne serai plus parmi vous. Je te le dis, Moi qui suis la Vérité. Et je te dis que j'ai pris ce que vous m'avez donné spontanément, d'une manière insistante. Tu ne peux donc pas m'accuser de vous avoir enlevé d'autorité un seul de vos cheveux qui tombent quand vous les peignez. Pourquoi m'accuses-tu?” Jésus est déjà moins sévère, il est maintenant d'une tristesse qui veut ramener avec douceur à la raison, et je crois que la miséricorde qu'il montre, si pleine, si divine, est un frein pour les autres qui ne l'auraient pas, assurément, pour le coupable. Judas lui-même s'en rend compte et dans un de ces brusques revirements de son âme, sollicitée par deux forces contraires, il se jette à terre, se frappant la tête et la poitrine et criant: “Parce que je suis un démon, je suis un démon. Sauve-moi, Maître, comme tu sauves tant de possédés, sauve-moi! Sauve-moi!” “Que ne soit pas inerte ta volonté d'être sauvé.” “Elle existe, tu le vois. Je veux être sauvé.” “Par Moi. Tu exiges que je fasse tout. Mais je suis Dieu, et je respectes ton libre arbitre. Je te donnerai la force pour arriver à "vouloir". Mais vouloir n'être pas esclave, cela doit venir de toi.” “Je le veux! Je le veux! Mais ne va pas à Césarée! N'y va pas! Écoute-moi, comme tu as écouté Jean quand tu voulais aller à Acor. Nous avons tous les mêmes droits. Nous te servons tous de la même manière. Tu es obligé de nous satisfaire, à cause de ce que nous faisons… Traite-moi comme Jean! Je le veux! Quelle différence y a-t-il entre lui et moi?” “Il y a l'esprit! Mon frère n'aurait jamais parlé comme tu parles. Mon frère ne…” “Silence, Jacques. C'est Moi qui parle et à tous. Et toi, lève-toi et comporte-toi en homme, comme Moi je te traite, non comme un esclave qui gémit aux pieds de son maître. Sois homme, puisque tu tiens tant à être traité comme Jean qui, en vérité, est plus qu'un homme parce qu'il est chaste et qu'il est saturé de Charité. Allons, il est tard et je veux passer le fleuve à l'aube. C'est à cette heure que les pêcheurs rentrent ayant retiré les nasses, et il est facile de trouver une embarcation. La lune en ses derniers jours lève toujours plus haut son fin croissant. Nous pouvons, grâce à sa plus grande lumière, aller plus vite. Écoutez. En vérité je vous dis que personne ne doit se vanter de faire son propre devoir et exiger pour cela, qui est un devoir, des faveurs spéciales. Judas a rappelé que vous m'avez tout donné, et il m'a dit qu'en retour j'ai le devoir de vous satisfaire pour ce que vous faites. Mais rendez-vous un peu compte. Parmi vous, il y a des pêcheurs, des propriétaires terriens, plus d'un qui possède un atelier, et le Zélote qui avait un serviteur. Eh bien, quand les garçons de la barque, ou les hommes qui comme serviteurs vous aidaient à l'oliveraie, à la vigne ou dans les champs, ou les apprentis de l'atelier, ou simplement le serviteur fidèle qui s'occupait de la maison ou de la table, avaient fini leur travail, vous mettiez-vous par hasard à les servir? Et n'en est-il pas ainsi dans toutes les maisons et toutes les affaires? Quel homme, ayant un serviteur qui laboure ou qui fait paître, ou un ouvrier à l'atelier, lui dit quand il a fini le travail: "Va tout de suite à table"? Personne. Mais soit qu'il revienne des champs, soit qu'il ait déposé ses outils, tout patron dit: "Fais-moi à manger, mets-toi en tenue et, avec des vêtements propres, sers-moi pendant que je mange et bois. Après, tu mangeras et boiras". Et on ne peut pas dire que cela soit dureté de cœur. En effet le serviteur doit servir son maître et le maître ne lui a pas d'obligation, parce que le serviteur a fait ce que son maître au matin lui avait commandé. En effet, si le maître a le devoir d'être humain avec son propre serviteur, le serviteur a aussi le devoir de ne pas être paresseux et dissipateur, mais de coopérer au bien-être de celui qui l'habille et le nourrit. Supporteriez-vous que vos mousses, vos ouvriers agricoles ou autres, votre domestique, vous disent: "Sers moi, puisque j'ai travaillé"? Je ne crois pas. De même vous, en regardant ce que vous avez fait et ce que vous faites pour Moi - et, dans l'avenir, en regardant ce que vous ferez pour continuer mon œuvre et continuer à servir votre Maître -vous devez toujours dire, parce que vous verrez aussi que vous avez toujours fait beaucoup moins que ce qu'il était juste de faire pour être au pair avec tout ce que vous avez eu de Dieu: "Nous sommes des serviteurs inutiles car nous n'avons fait que notre devoir". Si vous raisonnez ainsi, vous ne sentirez plus de prétentions ni de mécontentements s'élever en vous, et vous agirez avec justice.” Jésus se tait. Tous réfléchissent. Pierre donne un coup de coude à Jean qui réfléchit en tenant ses yeux bleu clair fixés sur les eaux, qui de la couleur indigo passent à l'argent azuré sous les rayons de la lune, et il lui dit: “Demande-lui quand quelqu'un fait plus que son devoir. Moi, je voudrais arriver à faire plus que mon devoir…” “Moi aussi, Simon. Je pensais justement à cela” lui répond Jean avec son beau sourire sur les lèvres, et il demande à haute voix: “Maître, dis-moi: l'homme, ton serviteur, ne pourra-t-il jamais faire plus que son devoir pour te dire avec ce plus, qu'il t'aime complètement?” “Enfant, Dieu t'a tant donné, qu'en toute justice, ton héroïsme serait toujours peu. Mais le Seigneur est si bon qu'Il ne mesure pas ce que vous Lui donnez avec sa mesure infinie, mais qu'Il le mesure avec la mesure limitée de la capacité humaine. Et quand Il voit que vous avez donné sans parcimonie, avec une mesure comble, débordante, généreuse, alors Il dit: "Ce serviteur m'a donné plus que son devoir ne lui imposait. Aussi Je lui donnerai la surabondance de mes récompenses".” “Oh! comme je suis content! Moi, alors, je te donnerai une mesure débordante pour avoir cette surabondance!” s'écrie Pierre. “Oui, tu me la donneras, vous me la donnerez. Tout homme aimant la Vérité, la Lumière, me la donnera. Et ils seront avec Moi surnaturellement heureux.”
Extrait de la Traduction de “L’évangile tel qu’il m’a été révélé” de Maria Valtorta ©Centro Editoriale Valtortiano, Italie http://www.mariavaltorta.com/
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